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La petite Mu qui plume
9 octobre 2011

La chute

"La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge, au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur."

Les mots de l'époque : 

Deux adjectifs me viennent à l'esprit pour parler de ce livre : riche et prenant. Riche parce qu'on y trouve des confessions, des récits anecdotiques, de l'humour, de la poésie (l'écriture de Camus, le poète, fait merveille dans ses descriptions d'Amsterdam), et une très grande réflexion philosophique, éthique et spirituelle. Théologien de la mort de Dieu, observateur très lucide de la nature, Camus est en outre un conteur au grand art. Le personnage se dévoile avec subtilité, jamais le texte ne se fait manichéen - bien au contraire, il nous pousse à l'indulgence éclairée. On se prend même à s'attacher au personnage, tout en gardant une certaine réserve. Malgré quelques passages un peu longs, je considère ce récit comme indispensable. 

Les mots de maintenant : 

Encore une fois, je souris en me relisant : "riche et prenant", ouah, dis donc, le top du top de l'originalité pour une critique de livre, fallait bien attendre la fin de la phrase pour les lâcher, ceux-là !

Bon, plus sérieusement. J'ai créé une catégorie qui est évidemment contestable (mais le temps des dissertations "Qu'est-ce qu'un classique ?" est à présent derrière moi, on ne va donc pas ergoter là-dessus), et qui me posera sans doute problème pour certains titres que je ne saurais où classer. Ce qui est assez drôle, c'est que, dans mon carnet, La chute est le seul classique ; il aurait pu y avoir L'arrache-coeur (Vian), et Mademoiselle Else (Schnitzler, pour la littérature étrangère), mais ces deux titres sont restés à l'état d'ébauche, je n'ai pas voulu, ou pas pu, en écrire une critique. Comme si j'avais éprouvé une sorte de répugnance, ou de gêne, ou je ne sais quoi d'autre, à donner mon avis sur ces oeuvres tellement commentées. Alors, pourquoi l'ai-je fait sur Camus ? Peut-être parce que l'oeuvre m'a vraiment marquée (pourtant, je n'en ai qu'un souvenir assez vague aujourd'hui), peut-être aussi parce qu'à l'époque, ça "faisait bien", pour moi, d'avoir fait la critique d'"un Camus"...

De lui, j'ai aimé aussi Les justes (que j'ai relu, d'ailleurs, et que j'aimerais relire aujourd'hui), je n'ai pas été spécialement emportée ni marquée par L'étranger, et je n'ai pas aimé La Peste, dont j'ai trouvé le style très plat. 

Juste un morceau choisi, pas spécialement représentatif de l'ouvrage, mais que j'aime beaucoup : 

"La Hollande est un songe, monsieur, un songe d'or et de fumée, plus fumeux le jour, plus doré la nuit, et nuit et jour ce songe est peuplé de Lohengrin comme ceux-ci, filant rêveusement sur leurs noires bicyclettes à hauts guidons, cygnes funèbres qui tournent sans trêve, dans tout le pays, autour des mers, le long des canaux. Ils rêvent, la tête dans leurs nuées cuivrées, ils roulent en rond, ils prient, somnambules, dans l'encens doré de la brume, ils ne sont pas là."

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Commentaires
M
Post-scriptum : y aurait-il un moyen quelconque d'utiliser l'italique? (Ah, ce que c'est que l'habitude des normes à l'écrit.)
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M
Je suis tombée dans 'La Chute' un peu par hasard. Comme beaucoup, je ne connaissais d’Albert Camus que 'L’Étranger'. Le récit me plut et m’incita à continuer de découvrir les écrits camusiens ('Les Justes', 'Le Mythe de Sisyphe'). Est-ce l’intitulé du livre qui m’attira ou sa relative brièveté ? Peut-être sa première ou sa quatrième de couverture – les lignes révélées dévoilaient cet instant critique où le narrateur, dans la nuit, passe à côté d’une jeune femme en noir, penchée sur le parapet d’un pont, le regard plongé dans le courant du fleuve ; le bruit d’un corps qui s’écrase dans l’eau puis des cris stopperont sa marche quelques pas plus loin sans qu’il se retourne… Je garde de cette lecture une image assez cinématographique, l’alternance entre deux plans : un homme qui va et vient dans les rues désertes mouillées par la pluie, d’une part ; le discours tout oratoire de ce même individu lorsque, pour pause à ses déambulations solitaires, il livre, dans son bar habituel, sa vision du monde moderne et de lui-même, d’autre part. Poétique, 'La Chute' est également un texte dérangeant, qui perce l’animalité de l’humanité, la mauvaise-bonne conscience. À croire donc que le brouillard d’Amsterdam cache le brouillard de chaque être (in)humain capable du pire. <br /> <br /> J’ai retrouvé mon exemplaire. Des post-it verts colorent le coin des pages intéressantes. Comme, par exemple, ce passage, vers la fin :<br /> <br /> « Ces nuits-là, ces matins plutôt, car la chute se produit à l’aube, je sors, je vais, d’une marche emportée, le long des canaux. Dans le ciel livide, les couches de plumes s’amincissent, les colombes remontent un peu, une lueur rosée annonce, au ras des toits, un nouveau jour de ma création. Sur le Damrak, le premier tramway fait tinter son timbre dans l’air humide et sonne l’éveil de la vie à l’extrémité de cette Europe où, au même moment, des centaines de millions d’hommes, mes sujets, se tirent péniblement du lit, la bouche amère, pour aller vers un travail sans joie. Alors, planant par la pensée au-dessus de tout ce continent qui m’est soumis sans le savoir, buvant le jour d’absinthe qui se lève, ivre enfin de mauvaises paroles, je suis heureux à mourir ! Oh ! soleil, plages, et les îles sous les alizés, jeunesse dont le souvenir désespère ! » (Albert Camus, La Chute [1956], Paris, Gallimard, coll. « Folio plus », 2006 [1997], p.120-121).
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Le royaume de Kensuké

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