Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La petite Mu qui plume
25 février 2013

Poil de Carotte

[Relecture]

C'est Vipère au poing qui m'a donné envie de relire (pour la troisième fois me semble-t-il) cet autre classique du XXe siècle français. J'y ai retrouvé le même plaisir qu'auparavant, avec certains passages qui s'écrivaient presque tout seuls dans ma tête, comme cela m'arrive parfois lorsque je me replonge dans des pages maintes fois parcourues. 

De Jules Renard, j'aime le style elliptique, fragmentaire, ou peu importe comme on le nomme, cette forme d'écriture brève qu'on retrouve également dans son Journal, que j'ai feuilleté, il y a quelques années, et dans lequel j'avais glané de nombreuses citations (l'une de mes préférées étant : "N'écoutant que son courage qui ne lui disait rien, il se garda d'intervenir". Regardez dans vos papillottes, à Noël prochain, vous l'y retrouverez peut-être !).

Ce style, il l'applique, dans Poil de Carotte, à l'histoire de ce jeune souffre-douleur - contrairement à Brasse-Bouillon dans le roman d'Hervé Bazin, Poil de Carotte est incompris de tous, et n'a pas l'instinct de révolte du héros de Vipère au poing - qui n'est autre que lui-même. Et c'est avec une ironie mordante, mais teintée d'une énorme tendresse, qui transpire dans toutes les pages, que Jules Renard tend au lecteur le portrait et les mésaventures de cet enfant naïf, sensible, mais parfois cruel à force de sensibilité : c'est ainsi qu'il fera renvoyer un surveillant de dortoir en mouchardant au directeur des embrassades prétendûment déplacées entre ce surveillant et un élève, tout simplement par jalousie de n'avoir pas été, lui, embrassé. Ce n'est qu'à la fin du roman que Poil de Carotte arrive à la même conclusion que Brasse-Bouillon avait en tête dès le début de l'histoire. Il l'énonce ainsi, avec toute cette simplicité qui le caractérise : "Mon cher papa, j'ai longtemps hésité mais il faut en finir. Je l'avoue : je n'aime plus maman." Et je me suis rendue compte que j'avais mis de côté dans ma mémoire cette évolution du personnage vers la maturité, et cette fin en demi-teinte. 

Ce que j'en avais gardé, en revanche, c'est l'humour. Certains chapitres sont tout simplement irrésistibles. J'ai gardé depuis toujours une préférence pour la correspondance entre Poil de Carotte et son père. Les deux dernières lettres du chapitre sont fort connues, mais je ne résiste pas - irrésistibles, je vous disais - au plaisir de les partager ici : 

« De M. Lepic à Poil de Carotte.
Mon cher Poil de Carotte,
Ta lettre de ce matin m’étonne fort. Je la relis vainement. Ce n’est plus ton style ordinaire et tu y parles de choses bizarres qui ne me semblent ni de ta compétence ni de la mienne.
D’habitude, tu nous racontes tes petites affaires, tu nous écris les places que tu obtiens, les qualités et les défauts que tu trouves à chaque professeur, les noms de tes nouveaux camarades, l’état de ton linge, si tu dors et si tu manges bien.
Voilà ce qui m’intéresse. Aujourd’hui, je ne comprends plus. À propos de quoi, s’il te plaît, cette sortie sur le printemps quand nous sommes en hiver ? Que veux-tu dire ? As-tu besoin d’un cache-nez ? Ta lettre n’est pas datée et on ne sait si tu l’adresses à moi ou au chien. La forme même de ton écriture me paraît modifiée, et la disposition des lignes, la quantité de majuscules me déconcertent. Bref, tu as l’air de te moquer de quelqu’un. Je suppose que c’est de toi, et je tiens à t’en faire non un crime, mais l’observation.

Réponse de Poil de Carotte.
Mon cher papa,
Un mot à la hâte pour t’expliquer ma dernière lettre. Tu ne t’es pas aperçu qu’elle était « en vers. »

Sans oublier ce conseil hautement avisé du père, en réponse à son fils qui lui demande de lui rapporter des livres lors de son voyage à Paris :  « Mon cher Poil de Carotte, Les écrivains dont tu me parles étaient des hommes comme toi et moi. Ce qu’ils ont fait, tu peux le faire. Écris des livres, tu les liras ensuite. »

Il fut bien inspiré ! 

 


 

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Magistrales lettres, en effet ! <br /> <br /> Après "Vipère au poing" et "Poil de Carotte", vas-tu te lancer dans "L’Enfant" de Vallès ?
Répondre
Publicité
Lecture en cours

 

Le royaume de Kensuké

Visiteurs
Depuis la création 97 507
Publicité