Lettres de l'intérieur
Allez, sur ma lancée, je re-plume. Je vais tenter de mettre à jour ma liste de lectures cursives, ce qui n'est pas une mince affaire, puisqu'elle mêle des titres lus il y a fort longtemps, d'autres pas complètement lus mais figurant sur ma liste d'après des conseils d'autres collègues, et d'autres encore tellement marquants pour moi que je ne sais pas par où commencer pour plumer à leur sujet.
Lettres de l'intérieur fait partie de cette dernière catégorie. Bref historique de ma rencontre avec ce livre :
1998 (je crois) : je fais partie du jury décernant le Prix Lucioles des jeunes lecteurs. On se réunit une fois tous les deux mois, on échange nos impressions sur une série de livres parus dans l'année en littérature jeunesse, pré-sélectionnés par la libraire responsable du rayon jeunesse, et à la fin de l'année, on élit notre préféré. Cette année-là, Lettres de l'intérieur a été élu à une grande majorité.
Par la suite, je l'ai souvent relu, souvent conseillé. Arrivée sur mon premier poste d'enseignante, quelle ne fut pas ma joie (et ma surprise) de découvrir que le CDI de mon collège possédait ce roman, en série qui plus est !! Les anciens programmes permettant à l'époque de travailler la littérature jeunesse en oeuvre intégrale (c'est-à-dire en l'étudiant en classe), je me suis jetée sur l'occasion avec ma classe de 4e, dans mon chapitre sur l'épistolaire. Pari gagnant : la majorité des élèves de la classe ont aimé ce livre. L'une d'entre elles a prononcé LA phrase magique : "Madame, je n'aime pas lire, et ben pourtant je l'ai dévoré, celui-là !" (NB : plus tard dans l'année, c'est elle qui m'a réclamé L'île des esclaves de Marivaux, pour le lire en entier après un extrait étudié en classe).
L'an dernier, je l'ai proposé dans ma liste de lectures cursives sur l'épistolaire. Seule une élève l'a choisi (il faut dire qu'en Ecole des Loisirs, ce n'est pas le plus bas prix...) mais elle l'a aimé aussi. Je ne l'ai plus proposé en oeuvre intégrale pour me conformer aux nouveaux programmes (et parce que je suis d'accord avec l'idée de se concentrer, en classe, sur des lectures plus classiques et plus difficiles, en laissant la littérature jeunesse pour les lectures à la maison).
Bref, tout ça pour dire que ce livre traverse les années et les générations et qu'il fonctionne toujours.
Quand je l'ai découvert, ce fut vraiment une lecture coup de poing. J'ai tout adoré : la narration sous forme de lettres, les personnages, l'intrigue aux nombreux rebondissements, les thèmes.
Impossible de résumer ce livre sans dévoiler la révélation qui a lieu au milieu du livre. Auparavant, l'histoire semble être celle, banale, de deux adolescentes qui ne se connaissent que par l'intermédiaire d'une annonce postée dans un magazine : Tracey cherche une correspondante et Mandy lui répond. Elles s'écrivent des lettres d'adolescentes, mais un certain déséquilibre se fait voir petit à petit : si Mandy connaît les déboires d'une vie sans originalité (des parents aimants mais des galères financières, une soeur ultra-complice mais des histoires de coeur compliquées...), Tracey, elle, semble avoir une vie parfaite : fille unique, gâtée par des parents richissimes, un petit ami sans défauts, des fêtes à tire-larigots... C'est à la moitié du roman que tout bascule. Des thématiques traditionnelles du roman d'ados, on passe à des thèmes beaucoup plus durs, qui nous sortent de notre quotidien. Les personnages s'étoffent alors.
Âmes sensibles s'abstenir : le style est familier dans la première partie, celui de deux ados qui s'écrivent sans chichis, mais il se fait violent et cru dans la deuxième partie. Certains faits sont dévoilés tels quels, d'autres sont sous-entendus mais se comprennent assez aisément. Certains resteront toujours dans le secret, ce qui est presque pire, car on peut tout imaginer. La fin est complètement inattendue : il faut avoir les nerfs solides.
L'intérêt pédagogique de ce roman n'est certes pas dans le style, qui reste très oral (qui plus est, traduit de l'australien - mais pas Valérie Dayre, qui n'est pas n'importe qui). En revanche, la structure est éminemment intéressante dans un chapitre sur l'épistolaire : l'échange parfois déséquilibré entre les deux amies, certaines lettres laissées sans réponse permettent de travailler sur les différents points de vue, et de montrer que, dans un roman épistolaire, l'intrigue se construit "en pointillés". Pour travailler sur l'implicite, c'est parfait. On peut proposer, à partir de la fin, divers travaux d'écriture permettant de vérifier ce que les élèves ont compris, et de tester leur imagination. Enfin, une réflexion annexe peut être menée sur les avantages et les limites (voire les dangers) d'une communication virtuelle : j'ai testé une sorte de "débat" avec ma classe de quatrième et il en est sorti des choses très intéressantes.
Je le conseille et le re-conseille donc. Documentalistes, faites-le acheter pour votre CDI, et, si vous le pouvez, en série : on a besoin de ce genre de livres pour montrer aux élèves que la littérature n'est pas un truc ennuyeux et réservé aux adultes.