Frangine
Découverte littérature jeunesse 2013
C'est un roman qui fait énormément de bien, à cette époque où les anti-mariage gay ne se lassent pas de descendre dans la rue et de parler de "l'intérêt des enfants".
Le sujet du livre est en effet brûlant d'actualité : les deux personnages principaux, à savoir Joachim, le narrateur, en terminale, et sa soeur Pauline, en seconde, sont élevés par leurs deux mères qui les ont eus par PMA. Ils se sont déjà entendus appeler des "bébés Thalys", du nom du train qui emmène les couples homosexuels accomplir leur désir de paternité en Belgique, puisque cela leur est interdit en France. Ils ont toujours vécu dans un bain d'amour et de protection, peut-être trop : arrivés au lycée, Joachim mais surtout Marion sont confrontés, évidemment, à la bêtise et à la violence de leurs congénères. Joachim a réussi à traverser les années sans se laisser déstabiliser, mais pour Marion, les choses sont beaucoup plus dures. Son frère la voit s'enfoncer peu à peu, et, quand il apprend que sa soeur est victime de harcèlement, son sang ne fait qu'un tour et il décide de prendre les choses en main.
C'est donc un roman qui ne nie pas la difficulté traversée par les deux ados. Mais ce n'est pas une histoire pour dire : "Si vous êtes gays et que vous avez des enfants, attention, ils vont morfler". C'est un roman sur le harcèlement, sur la bêtise de l'âge adolescent, sur la violence de certaines relations humaines, parce que, oui, toutes ces choses-là existent. Mais c'est aussi un roman sur l'amour unique qui existe entre un frère et une soeur, et, au-delà, entre les membres d'une famille, quel que soit le "modèle" de cette famille. C'est un roman sur la construction de la personnalité, sur la découverte du monde, sur l'acceptation de la différence, la sienne et celle des autres.
L'une des grandes forces de l'ouvrage, c'est de promener le focus, l'oeil de la caméra, sur les quatre personnages qui constituent cette famille : non seulement Joachim, qui est le narrateur principal, Pauline, qui reste le personnage central de l'histoire, mais aussi Maman et Maline, les deux mères, qui ont aussi leur lot de problèmes à gérer au quotidien. Les remises en question professionnelles, les liens avec leurs propres parents... Un lecteur adulte peut donc apprécier que le roman ne soit pas uniquement centré sur des questions adolescentes ; et un lecteur plus jeune n'aura aucun mal à se projeter dans ces destins "de grandes personnes", car il n'y a pas de rupture dans l'écriture.
J'ai lu sur un blog que cette histoire "n'avait rien de particulier". Cette même blogueuse ajoute aussitôt avoir compris que, justement, l'intérêt est là : des histoires de harcèlement adolescent, on en déjà lues (et parfois vues, ou vécues, hélas), mais le sujet de l'homoparentalité n'est pas tant abordé dans la littérature ado. Je ne peux qu'approuver ce point. En revanche, quand à la fin, elle écrit que ce n'est pas un roman "particulièrement émouvant", je ne suis pas d'accord : de l'émotion, il y en a, à revendre. Pas une émotion noire, triste, mais de vraies belles sensations qui donnent le sourire et les larmes en même temps, tant l'histoire racontée semble vraie, et tant elle dégage de force, de vie et d'optimisme.
A lire, et à faire lire, à tout le monde, petits et grands. Vraiment une chouette découverte !