: un sentiment en bande dessinée
Je viens de recevoir et, donc, de lire les deux derniers tomes de cette série, voici donc l'occasion de plumer sur cette oeuvre découverte il y a plusieurs années déjà.
Resituons : j'étais encore étudiante, et j'envisageais de travailler à un mémoire sur ce roman méconnu, et pourtant ô combien passionnant, de notre Hugo national, à savoir, donc, L'Homme qui rit. Un récit foisonnant comme Hugo sait si bien en faire. Jugez-en vous-mêmes :
Le héros en est Gwynplaine, un jeune enfant vendu aux comprachicos qui, par une affreuse mutilation de la bouche, en ont fait à jamais un "homme qui rit". Sauvés in extremis d'un naufrage par ces comprachicos repentis, il doit désormais s'en sortir seul. Sur sa route, il croise un cadavre de femme raidi par la mort et la neige, et, sur son sein, une toute petite fille, encore un bébé, qu'il décide de sauver. Ils arrivent tous deux chez Ursus, un vieux philosophe saltimbanque aux mille tours, et son chien Homo (tout un programme, déjà dans les noms...), qui les adopte presque aussitôt, et baptise le bébé Dea. Bientôt, les deux hommes se rendent compte que Dea est aveugle. Seule condition pour qu'elle tombe éperdument amoureuse de Gwynplaine, ce monstre qu'elle ne voit pas.
La petite troupe gagne sa vie en improvisant un théâtre ambulant, qui bat son plein : les gens viennent voir l'Homme qui rit, peut-être plus que la pièce en elle-même. Jusqu'au jour où tout bascule : Gwynplaine est capturé, emmené dans un château, où l'on lui apprend qu'il est lord Clancharlie, pair d'Angleterre. C'est le bouffon devenu seigneur. Il est mis au pied du mur et doit choisir entre son ancienne et sa nouvelle vie. A moins qu'il n'arrive à trouver le moyen de se servir de la seconde pour servir la première...
Il y a, tout à la fois, des Misérables, du Ruy Blas, du Notre-Dame, dans cette histoire qui mêle amour, politique, aventure. Et c'est mon roman préféré : je ne saurais pas vraiment dire pourquoi. A ceux qui voudraient le découvrir mais que les trop longues envolées hugoliennes - dont je suis peu friande, d'ailleurs, c'est bien pour ça que je préfère de loin son théâtre - inquiètent, je conseille sans honte l'édition abrégée de chez L'Ecole des Loisirs. Il s'agit en effet du véritable texte, seulement amputé de certains passages. Les puristes peuvent hurler au scandale, il n'empêche que je trouve que c'est une manière agréable de faire connaissance avec le texte ; libre au lecteur, ensuite, de se tourner vers l'édition intégrale (que je recommande, cette fois-ci, chez Le livre de poche, collection "Les classiques de Poche". Plus confortable pour la lecture que l'édition GF, par exemple, elle est très correctement commentée et annotée par Myriam Roman, enseignante à la Sorbonne, membre du "Groupe Hugo", avec la collaboration de Delphine Gleizes, qui, elle, est de Lyon II - et que j'ai eu l'honneur de fréquenter de temps en temps.
Bref. Revenons à nos moutons, à savoir, la BD. Si je l'ai découverte, c'est parce que, dans mon projet de mémoire, je comptais m'intéresser aux différentes adaptations visuelles du roman. Je pensais tout d'abord aux films, voire aux mises en scène, mais je suis tombée à ce moment-là sur cette bande dessinée, dont le deuxième tome venait tout juste de sortir.
Et, si je salue l'idée et l'effort pour adapter un roman à la fois méconnu et complexe, je ne suis pas fan du résultat. Déjà parce que je n'adhère pas au graphisme. C'est très "bande dessinée d'aventure", avec de nombreux gros plans, des cases asymétriques, sans doute pour donner du mouvement et du rythme. Sur moi, le seul effet, c'est que ça m'embrouille et que je m'ennuie très vite. J'apprécie la bande dessinée mais je me rends compte que je reste très classique, et que je mets en premier critère celui de la lisibilité. Mais d'autres lecteurs de BD apprécieront sans doute justement ce que je n'aime guère. Pour ce qui est du texte, il reste assez fidèle à celui de Hugo... peut-être trop, d'ailleurs : ce qui passe bien en roman peut être rapidement indigeste en BD...
Donc, je n'ai pas été spécialement convaincue.
J'ai préféré cette adaptation-là, en un seul volume, du dessinateur et scénariste Fernando De Felipe :
Le dessin est moins précis, les couleurs se fondent entre elles, le tout baigne dans une lumière bleutée, celle de la nuit, et l'ensemble se rapproche plus, à mon sens, du monde assez mystérieux et onirique proposé par Hugo. Les pages de présentation des "chapitres" (librement inspirés des nombreuses parties du roman) s'inspirent de l'univers médiéval et des cartes de tarot : encore une fois, cela me semble tout à fait en accord avec le projet hugolien. Par ailleurs, l'obligation de raconter l'histoire en un seul volume a conduit à trancher dans le texte, ce qui en fait quelque chose de plus digeste, malgré les ellipses qui nécessitent tout de même une lecture attentive et un lecteur concentré.
Je regrette donc quelque peu l'achat de ces quatre tomes de la série de Jean-David Morvan et Nicolas Delestret, surtout au prix des bandes dessinées... Définitivement, je me dis qu'il vaut mieux que je passe d'abord par la case "emprunt"... encore faut-il que les ouvrages en question soient disponibles dans ma médiathèque !