Neo-défi lecture 2016-continué-en-2017 : un livre épistolaire.
Helene Hanff : 84, Charing Cross Road
Ce court ouvrage pioché au hasard à la médiathèque, qui l'avait mis en évidence sur un présentoir, fut une agréable découverte. C'est un roman pour les lecteurs qui aiment les livres, qui aiment les livres qui parlent de livres, qui aiment les livres qui parlent de lecteurs qui aiment les livres.
En effet, il s'agit d'un échange de lettres entre Helene Hanff, l'auteure elle-même (dont j'ignorais totalement l'existence : Wikipédia m'apprend que cette écrivaine américaine a publié des pièces de théâtre ainsi que des scénarions pour la télévision), et différentes personnes liées de près ou de loin à une librairie anglaise, Marks & Co. Cette librairie est spécialisée dans les livres anciens. Helene Hanff, lectrice pointue de littérature anglaise, est sans cesse à la recherche de l'ouvrage rare qui manque absolument à sa bibliothèque. En 1949, elle écrit donc à Marks & Co une lettre dans laquelle elle joint la liste de tous les livres qu'elle souhaiterait acquérir. Franck Doel, le libraire consciencieux qui lui répond aura à coeur d'honorer ces commandes, mais aussi d'entretenir cette étrange relation épistolaire qui s'instaure entre eux. Etrange pour plusieurs raisons. La différence de ton, d'abord, entre les deux correspondants (Helene étant très franche, n'hésitant pas à verser dans la familiarité ou à secouer son interlocuteur quand elle se languit de recevoir tel ou tel livre, alors que Franck reste très professionnel et poli). Egalement, la faculté qu'ils ont tous les deux de rester centré sur leur objectif, tout en dévoilant des aspects plus ou moins intimes de leurs vies respectives. Enfin, le fait que les épistoliers se multiplient : côté américain, Helene écrit parfois à une amie, dont on peut lire les réponses ; côté anglais, tout l'entourage de Franck se met à vouloir correspondre avec Helene. On lira ainsi des lettres de son épouse, de sa fille, d'une voisine d'immeuble, et j'en passe.
Ce roman présente un intérêt documentaire, car on y lit le contraste entre les quotidiens de part et d'autre de l'Atlantique en ces années d'après-guerre : les restrictions alimentaires en Angleterre, qui poussent Helene à envoyer de nombreux colis de nourriture (les oeufs, notamment, sont une fête pour les Doel et leurs proches), la précarité d'Helene Hanff, lectrice de scripts avant d'être écrivaine, vivotant dans une grande simplicité, émerveillée d'avoir entre les mains des livres avec de si belles reliures.
Mais c'est surtout, je le disais au début, un très beau livre sur les livres. On y découvre une lectrice pour le moins atypique, qui lit Catulle comme la Vulgate, Sappho comme Jane Austen, Laurence Sterne comme Virginia Woolf. C'est une épicurienne qui aime l'odeur des livres, leur toucher, leurs couleurs. Elle plonge dans les textes au point de parler avec leurs auteurs : « M. de Tocqueville vous envoie ses compliments et me prie de vous annoncer qu’il est bien arrivé en Amérique. Il reste assis là avec un air supérieur parce que tout ce qu’il dit se révèle exact. » Elle a des principes bien particuliers quant aux livres et à la lecture : elle n'achètera un livre que si elle l'a déjà lu ; elle en jette certains, sans aucun état d'âme. Tout ceci semble illustrer les "droits imprescriptibles du lecteur" tels que les énonce Daniel Pennac dans Comme un roman ; et d'ailleurs, tiens, la toute récente réédition de novembre 2016 est préfacée par Pennac himself.
Ce n'est pas qu'un roman pour lecteurs, c'est aussi visiblement une histoire pour cinéphiles : il a effectivement été adapté en 1987, avec Anthony Hopkins et Anne Bancroft, excusez du peu, dans les rôles principaux.
Une lecture très stimulante, donc, à prolonger avec d'autres un peu plus légères mais toujours pour les amoureux des livres : La bibliothèque des coeurs cabossés, grand succès de Katarina Bivald en 2015 (lu et aimé), La cote 400 de Sophie Divry ou encore Le mystère Henri Pick de David Foenkinos (pas lus).