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La petite Mu qui plume
23 mai 2016

Rémi Chaurand, Charles Dutertre : Papa qui lit

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J'ai découvert cet album dans l'émission Les maternelles (l'air de rien, grande fournisseuse d'idées lecture ou de découvertes de toutes sortes de personnages et d'initiatives en tout genre). Nathalie Le Breton avait été très enthousiaste par cette figure du papa qui prend en charge la lecture du soir avec ses enfants. L'histoire m'avait semblée brouillonne, mais rigolote. J'ai voulu constater par moi-même.

Les illustrations, tout d'abord. J'ai tout de suite su que j'avais déjà vu les illustrations de Charles Dutertre quelque part, et je viens de vérifier : c'est bien cela, il a travaillé pour Astrapi. J'avais toujours aimé ces petits personnages qui s'amusaient souvent avec le décor.

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Il y en a de partout sur les pages (il faut dire qu'il y a quand même quatre soeurs dans cette histoire, plus le père, plus le chien, plus parfois la mère... ça en fait, du monde). Et pas seulement des personnages : il y a aussi plein de livres à l'intérieur du livre. Avec un petit coup d'autopromotion pour les éditions Didier Jeunesse, sous forme de clin d'oeil illustré (tiens, La culotte du loup, une autre histoire du duo Servant-Le Saux, voir ici).

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Tous ces personnages, tous ces livres, c'est bien ça le problème dans cette histoire. Il est l'heure de se coucher, et, avant cela, de lire le livre du soir. Mais avec quatre filles à contenter et à canaliser (heureusement, le chien, lui, ne pipe mot), ça tourne à la débandade. Impossible de mettre tout le monde d'accord sur le livre. L'une raconte la fin dès que son père ouvre la bouche, l'autre veut plus de coussins, une troisième veut réciter sa poésie... Et le père a une nouvelle lubie : il faut absolument lire un poème de Victor Hugo avant de se coucher.

C'est bien ce que j'avais senti dans la rapide présentation des Maternelles : l'histoire part vraiment dans tous les sens. En même temps, c'est normal, avec toute cette agitation. En fait, bien que ce soit l'une des soeurs qui raconte l'histoire, on se met bien plus à la place du pauvre papa qui ne sait plus où donner de la tête. On a l'impression que ce livre est moins fait pour les enfants que pour les adultes : parents débordés, voire instituteurs ou animateurs dépassés. Mais l'ensemble est parfaitement réaliste, et tout le monde en prend pour son grade, les enfants comme les adultes. Il y a un passage très drôle où le père doit interrompre la lecture parce que son téléphone a sonné, et où il demande pardon à ses enfants en leur faisant "des petits yeux de chat trop mignon". Touché !

La fin est savoureuse. (Il faut bien tourner les pages jusqu'au bout !) En revanche, je n'ai pas vu autant de féminisme que les animatrices des Maternelles (pour comprendre, lisez la fin). Plutôt une modernité très forte, dans la représentation de la parentalité d'aujourd'hui, qui envoie promener le mythe de la perfection. Ce papa débordé, qui veut cultiver ses enfants mais ne sait pas que le poème "Mirlababi surlababo" vient des Misérables, qui veut défendre son autorité mais oublie d'éteindre son téléphone, il ressemble à beaucoup de parents et il en est attachant. C'est bien lui, le personnage principal, et d'ailleurs, le titre nous l'indiquait déjà.

J'ai beaucoup aimé cet album sur la lecture, sur la famille, sur la façon d'être adulte, la façon d'être enfant... Bref, sur la vie, quoi !

 Ce billet poursuit mon partenariat avec les éditions Didier Jeunesse.

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16 mai 2016

Stéphane Servant, Laetitia Le Saux : Purée de Cochons

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Chez les enfants, les histoires de recettes ont toujours fait recette. Cette Purée de cochons fera-t-elle exception ? Ou saura-t-elle combler vos pupilles enchantées ?

Je m'arrête ici. Stéphane Servant maîtrise l'art de la rime bien mieux que moi. J'ai apprécié la qualité du jeu sur les sonorités, qui permet au passage de faire découvrir des mots nouveaux aux petits lecteurs ou auditeurs : le loup est "guilleret" à l'idée de cuisiner les "porcelets", le loup est "barbichu" avec une queue tordue... Toute la panoplie de l'oralité est mise en oeuvre pour rendre cet album facile à lire, à écouter, à mémoriser : les rimes, donc, les comptines, les petites formules récurrentes, un texte qui utilise typographie, couleurs, disposition pour guider le rythme ou les intonations. Presque un manuel d'apprentissage pour conteurs débutants (ça tombe bien, c'est mon cas !).

Et ça tombe bien, puisqu'il est question de lecture là-dedans. L'histoire commence comme il se doit, avec trois cochons dans la casserole d'un loup. Mais, problème, le loup ne sait pas lire. Et comment suivre une recette si on ne peut pas la lire ? Les porcelets vont faire tourner notre loup en bourrique, et l'envoyer chercher des ingrédients inutiles, juste pour gagner du temps. Jusqu'au jour où, sans le vouloir, le loup se retrouve dans une école. Quelle aubaine ! Il va enfin pouvoir apprendre à lire ! Mais alors, les cochons peuvent commencer à se faire du mauvais sang...

J'ai été plutôt déçue par l'histoire. Je m'attendais à ce que les personnages secondaires (l'ours, le corbeau, la grand-mère) soient davantage exploités. Il y a de petits détails intéressants sur les images, mais rien de très exceptionnel. Par ailleurs, je ne suis pas très fan du graphisme. J'aime bien l'effet "papier découpé" mais je trouve les lignes et les couleurs un peu trop tranchées. Je suis allée jeter un oeil sur le site de Laetitia Le Saux, pour voir le reste de son travail. J'y ai trouvé d'autres dessins un peu plus doux, aux traits un peu plus ronds ou aux couleurs un peu plus nuancées. Je pense cependant que, dans Purée de cochons, la franchise des formes et des teintes peut plaire aux enfants.

Bref, une histoire à lire et à tester sur le public concerné : les enfants ! Et s'ils en redemandent, on retrouve les trois petits cochons railleurs et le loup raillé dans La culotte du loup (sorti en 2011, prix des Incorruptibles).

 Ce billet inaugure mon partenariat avec les éditions Didier Jeunesse.

25 avril 2016

Perrine Joe, Anne-Soline Sintès : Ma nounou est une girafe

Ma nounou est une girafe rognée

On aurait envie de rajouter au titre : "Et alors ?" Ce qui résumerait parfaitement l'idée de cet album qui parle de différence. L'histoire pourrait ne jamais avoir lieu, parce que, quand on annonce à un petit garçon, Arsène, que sa nouvelle nounou est une girafe, il commence par faire une sale tête. Mais ça ne dure qu'une double page : dès qu'on la tourne, on découvre plein d'aventures partagées entre les deux personnages. Un long cou, c'est quand même utile de temps en temps.

Mais, après ces premières pages, un nouvel événement se produit dans l'histoire : des panneaux "Interdit aux longs cous" apparaissent à différents lieux stratégiques de la ville. Evidemment, le cerveau du lecteur adulte se met en route. On s'imagine (enfin, je m'imagine) tout de suite des wagons pleins à craquer menant vers un lointain zoo désaffecté, ou même une étoile en peau tachetée. En fait, ça ne va pas si loin. L'histoire se concentre plutôt sur les "manounoufestations" organisées à l'initiative d'Arsène, d'une part, et sur l'enquête visant à trouver qui est à l'origine de ces panneaux, d'autre part. La solution à cette enquête est toute simple et toute la gravité qui aurait pu peser sur la situation s'envole d'un seul coup à la fin.

Peut-être avez-vous senti que j'ai été un peu déçue par la fin et la teneur générale de l'album. Après une première fausse piste, due à la couverture et à la première page, qui me faisait croire à une histoire d'apprivoisement entre un enfant grognon et un adulte atypique, puis une seconde qui semblait nous emmener sur une réécriture de l'antisémitisme nazi, j'étais un peu décontenancée. Mais je pense avoir lu cet album avec des yeux trop adultes. En fait, c'est surtout une histoire pleine de fantaisie et d'optimisme, qui montre que tout problème peut avoir sa solution. Sans vous en dévoiler trop sur la fin, il y  est question de communication et de confrontation des différences. A la relecture, je reconnais avoir apprécié les nombreuses trouvailles rigolotes, tant dans le texte que dans les illustrations.

En lisant d'autres critiques sur le net, j'ai vu que le chemin de lecture avait été dans le sens inverse, c'est-à-dire que les lecteurs ont d'abord vu la fantaisie, puis ont su déceler le sérieux et la gravité entre les lignes. Le blog Littéraventures le conseille à ceux "qui ont déjà tout lu de [sa] sélection "Vivre ensemble". "

Et vous, adopterez-vous cette nounou d'enfer ?

Auteure : Perrine Joe
Illustratrice : Anne-Soline Sintès
Editions Le Père Fouettard

J'ai piqué cette photo sur Café Powell, webzine culturel

 

24 avril 2016

Shyam/Durgabai/Urveti : La vie nocturne des arbres

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C'était cet article de la librairie des Croquelinottes, à Saint-Etienne, qui m'avait donné envie de me procurer ce livre particulier. Particulier, d'abord, parce que rare : il a été édité en tirage limité. Et en effet, sur mon site habituel de commandes en lignes : définitivement indisponible. C'est à Paris, à L'Arbre à lettres, que j'ai pu faire l'acquisition de l'exemplaire n°1550 sur 3000.

Particulier, ensuite, car cet album mêle un thème universel et maintes fois traité en littérature, l'arbre, et des auteurs-illustrateurs beaucoup moins connus, issus d'une civilisation indienne, la tribu Gond.

Qui sont les Gond ? Ce peuple du centre de l'Inde est issu d'un ancien royaume se nomment eux-mêmes "montagnards". Leur attachement à la nature et à leur environnement est ancestral et toujours ancré dans leurs traditions. Sur le site d'une galerie, on lit ceci : "Sous l’empire Britannique et après l’indépendance de l’Inde, la spoliation de leurs terres et la déforestation sont telles que les Gond ne trouvent plus leur arbre bien aimé, le Mahua : « On nous a pris la forêt, nous ne savons plus d’où nous venons », disent les Gond. L’arbre sacré très souvent représenté, est le symbole de cet attachement à leur mémoire et de cette perte." Ca ne vous rappellerait pas quelque chose ? Un film avec des gens tout bleus qui se battent, eux aussi pour un arbre sacré ? Ce n'est pas donc pas pour rien que notre époque actuelle, qui commence à s'inquiéter des rapports de l'homme à la nature, découvre et met à l'honneur des artistes qui parlent de la nature originelle. D'accord, l'art gond reste assez confidentiel encore, mais depuis les années 1980, ils se font une place dans les galeries et les musées. Et pour les livres, depuis la première édition de La vie nocturne..., c'est Actes Sud Junior qui s'en charge.

Voilà pour le contexte. Mais le livre, le livre !

C'est un bel objet pour tous les sens. 
Il se touche : les pages sont épaisses, striées, presque rugueuses ; les dessins sérigraphiés, avec leurs lignes croisées et entrelacées, se lisent du bout des doigts autant qu'avec les yeux.
Il se respire... enfin, il le faisait peut-être au tout début (les Croquelinottes parlent d'"une odeur d’Inde, mélange de papier et de bois de santal"), mais c'est devenu très subtil... Cela dit, la magie de la synesthésie, ce mélange des sens dans notre cerveau, fait effet ; synesthésie d'ailleurs très importante chez les Gond, pour qui la musique se transforme en couleur.
Bien sûr, il se regarde. On a pu reprocher à l'art gond sa naïveté. De fait, chaque image a une apparence de simplicité, couleurs franches sur fond noir, pas de décor. Mais la précision et la richesse du trait interpelle, tout comme certains détails qui ne se révèlent pas au premier regard : on découvre des personnages comme cachés dans les branches, le feuillage ou les racines. On est dans le camouflage, ou bien la métamorphose, en tout cas une union intime des éléments de la nature.
Enfin, il s'écoute. Les textes sont des miniatures de contes, de fables, de mythes, qui disent l'animisme du peuple Gond : "Le Khirsali nous entoure et nous protège où que nous soyons. Il est dans les barrières de nos champs, dans les bordures de nos maisons, dans les lattes des toits au-dessus de nos têtes et dans les portes qui gardent nos entrées." Je parlais de métamorphoses et de camouflage : goûtez donc l'histoire de "l'arbre à douze cors". C'est facile, elle tient en une phrase : "Il arrive qu'un arbre soit en réalité un cerf à douze cors se tenant sur une butte et abritant un nid d'oiseau".

Afficher l'image d'origine

Vous avez goûté, écouté, regardé, respiré et touché : vous pourrez poursuivre le voyage avec les récits et les images de Création, chez le même éditeur, ou d'autres albums, écrits ou illustrés par Bhajju Shyam ou Bai Durga.

12 avril 2016

Le petit barbare, Renato Moriconi

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Attention, coup de coeur !

Que se cache-t-il derrière cette couverture au format décalé d'un jaune éclatant ? Côté face, une illustration épurée. Côté  pile, cette unique phrase : "Fièrement juché sur son destrier, le petit barbare affronte de grands dangers..."

A l'intérieur, pas de texte. Des aquarelles sur fond blanc, qui donnent l'impression que le petit barbare de la couverture a été copié collé sur toutes les pages. Face aux épreuves qui se succèdent,  il reste imperturbable, sans qu'un seul trait de son visage ne bouge.

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C'est dans ces épreuves qu'il faut retrouver le registre épique de la phrase présente en quatrième de couverture. Vous le voyez bien dans l'illustration ci-dessus, Renato Moriconi a choisi d'ancrer son personnage dans un univers qui rappelle les héros et les monstres de l'Antiquité. Un peu d'Odyssée, un peu de Métamorphoses... et beaucoup de plaisir à partager entre les plus petits et les plus grands. A ce titre, malgré l'absence de texte, on peut vraiment parler d'un album littéraire.

Au petit lecteur - ou à ses grands conteurs - d'imaginer les aventures du héros muet, avec un invariant : évidemment, il gagne tout le temps.

Et puis, et puis, à la fin... Une surprise attend le personnage et ses lecteurs ! L'album prend toute sa saveur, et, comme tous les ouvrages "à chute", on n'a qu'une envie : recommencer la lecture depuis le début, tout content d'avoir la solution de l'énigme !

De l'art, de la littérature, du mystère... Une pépite à mettre d'urgence dans vos bibliothèques !

Auteur et illustrateur : Renato Moriconi
Editions Didier Jeunesse

Neo-défi lecture 2016 : Un livre sans mots 

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26 octobre 2013

Gérard Moncomble, Anne Romby : Kahalim l'Opulent

Me promenant dans les rayons jeunesse de la médiathèque, j'ai tout de suite reconnu, sur la couverture de cet album, les dessins d'Anne Romby que j'avais découverts dans le magnifique Fleur de Cendre. Qui plus est, je connais aussi l'auteur, Gérard Moncomble, dont j'étais férue quand j'étais petite (j'ai lu, pêle-même, Un privé chez les Nababs, Chiche-Mirepoix contre Mirepoix-Chiche, L'heure du rat - qui m'avait fait forte impression - et sans doute bien d'autres que j'oublie). Je m'apprête donc à passer un bon moment en feuilletant cet album aux inspirations orientales. 

J'en ressors un peu sur ma faim. Comme dans tout conte, la fin est prévisible, la morale se dessine dès les premières lignes ; du coup, j'ai trouvé qu'il y avait trop de choses, trop de mots, entre le début et la fin. La langue de Moncomble est belle, c'est vrai, mais depuis toujours, je suis plutôt adepte du minimalisme, et j'ai trouvé la poésie des mots trop diluée dans un excès de lignes. 
Les illustrations, quant à elles, restent à la hauteur de ce à quoi je m'attendais, avec un choix de couleurs très réfléchi, un travail sur les lignes, les courbes, qui soulignent les moments de doute, de rêve, de cauchemar qui rôdent autour du héros.

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Cependant, j'ai une préférence pour des illustrations moins oniriques, aux traits plus précis et aux couleurs plus variées, comme sur ces pages :

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A noter aussi, la qualité du papier utilisé par les éditions Milan jeunesse (même éditeur que pour Fleur de Cendre, et j'avais déjà noté cette particularité) : un papier qui n'est pas glacé., épais et strié. Il contribue beaucoup au plaisir de lecture. 

Une chose est certaine, les albums illustrés par Anne Romby sont de ceux qu'on aime posséder sur les rayons de sa bibliothèque, tant ce sont de beaux objets. Et, ô joie ! Elle en a illustré bien d'autres ! 

 

 

12 octobre 2013

Albert Lemant : Lettres des Isles Girafines

Vous pensez bien qu'un album comme celui-ci, la passionnée de girafes qu'est la petite Mu ne pouvait pas passer à côté... Eh bien, pourtant, je l'avoue, je ne l'ai découvert que récemment. Je n'ai en revanche pas traîné à en faire l'acquisition. Après lecture, mon opinion reste partagée. 

Esthétiquement parlant, c'est une réussite. Dans un monochrome de tons chocolat, avec une technique qui me semble être de l'aquarelle, ou peut-être de l'encre, mêlée à du dessin, l'auteur et dessinateur Albert Lemant nous promène de page en page dans un monde visuel qui n'est qu'une longue variation du motif "girafin". On retrouve les couleurs et les formes de ces animaux si majestueux et élégants - ce n'est pas moi qui vous dirait le contraire. Le souci du détail est poussé à l'extrême : je viens d'ailleurs à peine de voir apparaître, dans la carte ci-dessous, la silhouette qui m'est pourtant si familière...

En plus d'être superbes et minutieusement réalisées, ces illustrations débordent de créativité. Puisqu'il s'agit bien d'un récit de voyage, c'est à un journal de bord que ressemble cet album, avec tout l'arsenal graphique qui va de pair : des croquis, schémas, faux timbres, faux tampons, signatures calligraphiées... cohabitent, façon scrapbooking, avec les illustrations pleine page. 

L'objet, donc, est magnifique et plaira beaucoup, tant aux fans de girafe qu'aux amateurs de journaux de voyage ou aux enfants. 

Le récit, quant à lui, ne m'a pas entièrement satisfaite. Pour résumer, il s'agit du voyage de l'explorateur britannique Marmaduke Lovingstone, qui part en 1912 découvrir les Isles Girafines, en terre africaine. Il envoie des lettres, qui tiennent lieu de journal de bord, à lady Pawlette, l'épouse du capitaine parti à ses côtés. L'aventure se déroule à merveille dans un premier temps, puisque les hommes parviennent à destination, et découvrent une civilisation exceptionnelle, qui les ravit au plus haut point. Puis, petit à petit, les excès du colonialisme anglais font des ravages sur les membres de l'expédition, à qui il arrive des choses de plus en plus étranges...

L'idée est très bonne, elle permet de lire cet album à plusieurs niveaux, de faire, bien sûr, toutes sortes de liens avec des événements historiques, de lancer des réflexions sur la notion de civilisation, sur la question de l'Autre. L'aspect merveilleux ne m'a pas gêné, du moins pas en tant que tel. Mais je suis tout de même restée très perplexe quant à la fin. Après une longue première partie où les détails s'ajoutent très progressivement, à la fin, tout va très vite, et, à mon sens, trop de pistes sont lancées. Pour un album, destiné tout de même à un jeune public (publié chez Seuil Jeunesse), j'aurais préféré quelque chose de plus clair, de plus simple, quitte à aller vers plus de didactisme. 

C'est sans doute sa complexité qui fait l'intérêt de cet album, c'est pourquoi je ne doute pas que bien d'autres que moi puissent l'apprécier dans tous ses aspects. Pour ma part, j'hésiterais par exemple à travailler sur le récit avec des élèves, même grands - mais je sais que d'autres le font - ; en tout cas, je feuillette l'objet avec un plaisir inlassable. 

On me dit dans l'oreillette que l'album possède une suite : Le journal d'Emma, dont vous pourrez lire un commentaire chez Parolimage DaDo, lectures pour adolescents. Epuisé en librairie, d'après ce que j'ai compris. Mais qu'à cela ne tienne : les ventes d'occasion seront mes amies ! A suivre, donc. 

8 juin 2013

Fleur de Cendre

Un bien bel objet que cet album, et qui peut plaire à de nombreux lecteurs. 

Jouons à un jeu (celui qu'on nous a d'ailleurs proposé dans la formation que j'ai suivie sur la lecture). Voici une série de haïkus, qui racontent une histoire : 

Reflet d'un amour perdu
L'eau grise d'ennui
Pleure le soleil.

La poudre de riz,
Et l'éventail palpitait
Au du printemps. 

Les deux précieuses parties,
Coeurs vides d'amour,
La belle resta seule.

D'un charme le chou
Devint un beau palanquin
Et le grillon son valet.

Le fils du Soleil
Entrevit soudain
L'amour d'une belle.

Du coeur de la nuit
La belle s'envola
Laissant une geta sur le sol.

Il l'a retrouvée
Sa belle envolée de lune
Et de coquelicots !

Bon. Auriez-vous reconnu une histoire ? Une histoire que vous connaissez, sans nul doute ?
Peut-être si je vous explique que le est une forme de théâtre japonais, qui donne lieu à de grandes cérémonies ? Ou qu'une geta est un type de chaussures traditionnel au Japon ? Ou encore qu'un palanquin est une chaise à porteur, utilisée en Asie ?...
Si vous avez encore un doute, penchez-vous sur le titre : cette Fleur de Cendre, elle ne vous rappellerait pas quelqu'un ? Qui se serait nommée Cucendron dans une tradition européenne, puis renommée autrement, d'un nom plus agréable à l'oreille, et devenu beaucoup plus célèbre ?

Eh bien, oui, vous avez trouvé, cet album est la réécriture d'un conte célèbre (comme c'est le cas de très nombreux albums), mais, pour une fois, pas du Petit Chaperon rouge (très souvent adapté), mais bien de Cendrillon. La transposition dans l'univers du Japon des empereurs, de cette Asie des légendes, joue sur plusieurs tableaux : le récit, qui change la pantoufle en geta, le carrosse en palanquin, les arbres en bambous, la cheminée en hibashi (petit fourneau), le bal du prince en représentation de théâtre ... et j'en passe. Outre le vocabulaire et le contexte géographique et culturel du récit, la conteuse Annick Combier a aussi joué sur un patchwork d'écriture, égrenant à travers le récit en prose cette forme poétique très particulière du haïku qui peut très bien se lire indépendamment du récit, comme nous en avons pu faire l'expérience plus haut. Enfin, ce sont bien sûr les magnifiques illustrations d'Anne Romby qui explorent cet univers, à travers ses couleurs sombres et précieuses (bleu nuit, ocre, rouge rubis), ses raffinements de détails, beaucoup de fleurs, beaucoup de chevelures noir nacré... 

      

Un très bel album, donc, qui entend montrer le lien entre les traditions littéraires, et le caractère universel des contes et légendes. 

 

30 mai 2013

Une histoire à quatre voix

Aujourd'hui est un grand jour : j'inaugure une nouvelle catégorie sur ce blog, celle des albums. Et j'ai bien précisé "pour petits et grands" : d'abord parce que, c'est vrai, ce genre littéraire un peu à part, ni roman illustré, ni bande dessinée, n'est pas réservé aux seuls tout-petits, et puis surtout parce que je serais de toute façon bien incapable de plumer sur des albums de tout-petits uniquement (je peux être sensible à un type d'illustrations ou un autre, trouver l'histoire originale ou joliment écrite... mais je ne pense pas avoir assez de clés pour écrire des articles intéressants à ce sujet). 

Alors, pourquoi les albums ? Parce que j'ai assisté à une formation, dans le cadre du PAF (= Plan Académique de Formation, c'est-à-dire ces formations auxquelles nous avons droit tout au long de notre carrière, à condition qu'il reste de la place, que ce ne soit pas annulé, que notre chef nous laisse y aller, etc, etc...), qui s'intitulait "Stratégies de lecture en 6e". Le but était de nous proposer des pistes pour aider les lecteurs en difficulté que l'on accueille bien évidemment dans nos classes de 6e. Il y avait à boire et à manger dans cette formation, mais j'ai bien aimé l'après-midi, consacré aux albums. Déjà, c'était plus sympa que d'écouter de longs discours sur la méthode globale et la méthode syllabique, ça faisait retourner en enfance (ah, les Claude Ponti ! Ah, Les mystères de Harris Burdick !), et puis, mine de rien, ça donne effectivement des pistes. Et enfin, ça m'a ouvert un nouvel horizon de lecture.

Aujourd'hui, j'ai choisi de vous présenter Une histoire à quatre voix d'Anthony Browne. 

Le principe : raconter une seule et même histoire, celle d'un père emmenant sa fille et son chien au parc, et d'une mère y accompagnant sa chienne  et son fils, en utilisant successivement les voix des quatre personnages (humains - on ne fait pas parler les chiens). 

L'intérêt pédagogique : faire travailler les élèves sur les différents points de vue, leur apprendre à retrouver des indices dans un texte (les indices qui montrent qu'il s'agit de la même histoire, les marques permettant néanmoins de différencier les personnages). Cette lecture "facile" peut être le point de départ d'autres lectures que les élèves pourront alors faire seuls. On nous a donné l'exemple de L'enfant-océan, court roman de Jean-Claude Mourlevat, certes préconisé dès le CM1, mais auquel les petits lecteurs ne comprendront strictement rien s'ils n'ont pas été habitués à ce genre de narration. 

Le reste (parce qu'un album ne sert pas qu'à faire cours, et heureusement) : des illustrations d'aspect naïf, mais très riches, dont on sent parfois l'inspiration artistique, comme cette maison qui fait irrémédiablement penser à Hopper : 

Bien d'autres références picturales sont présentes (mais je n'ai pu que feuilleter l'album, assez rapidement, et lire l'histoire à côté, photocopiée, je ne peux donc malheureusement pas vous en parler avec précision - je compte bien réparer cela dès ma prochaine visite à la médiathèque). Le choix de représenter les personnages par des singes est certes surprenant, étant donné le réalisme de l'histoire, mais cela contribue bien sûr à rendre ce récit universel, accessible aux plus jeunes comme aux adultes (il est question de perte d'emploi, de confrontation de classes sociales...). La présentation est aérée, elle fait la part belle aux images, comme il est de rigueur dans un album, mais le texte est lui aussi mis en valeur, avec un choix ingénieux de changement typographique qui permet de repérer d'un simple regard la différence entre les narrateurs

       

Pour que vous puissiez admirer plus confortablement certaines images, je vous renvoie vers ce blog, Le Journal de Chrys : l'article donne vraiment envie de lire l'album, et il m'a aussi appris l'existence d'un autre album, Une promenade au parc, qui aurait été le point de départ d'Une histoire à quatre voix

A bientôt pour de futures découvertes dans ce genre tout neuf chez la petite Mu ! 

PS : Je viens de découvrir qu'Anthony Browne avait illustré ce fameux unique roman jeunesse de Ian McEwan, l'un de mes auteurs préférés de ces dernières années. Bon sang mais c'est bien sûr ! Je reconnais la patte de l'illustrateur et ce goût pour l'anthropomorphisme des animaux (ou l'animalisation des humains, c'est selon) : 

Retrouvez la petite Mu sur son nouveau blog ! Cliquez ici

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Le royaume de Kensuké

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