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La petite Mu qui plume
18 avril 2013

La fille qui dort

Encore un livre de Florence Hinckel qui ne ressemble pas aux autres ! Et qui a déçu mes attentes, créées par une histoire que je trouvais originale et qui me parlait plutôt pas mal (celle d'une lycéenne atteinte de narcolepsie, qui tente d'oublier, voire de dépasser cette maladie en s'inscrivant à l'atelier théâtre de son lycée). Je m'attendais à quelque chose de beaucoup plus consistant : l'histoire de Théa pour l'éternité était tout de même suffisamment développée pour capter l'attention du lecteur, jusque dans les dernières pages ; quant à Zéro commentaire, je n'avais pas été convaincue par l'intrigue et les choix narratifs mais le roman avait au moins le mérite de s'attarder sur l'intériorité d'un personnage un peu plus fouillé que cette "fille qui dort". 

J'ai eu l'impression de lire une romance adolescente comme il en existe tant, avec toute la panoplie : la mère relou, le frère pénible, le bel inaccessible, la prof trop-compréhensive-de-la-mort-qui-tue... La narcolepsie n'étant qu'un prétexte pour faire de l'héroïne une éternelle incomprise. Du divertissement pour ados, sans plus. Vite lu, vite oublié !

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18 avril 2013

L'homme qui a séduit le soleil

Comme cela m'arrive de temps en temps avec mes élèves exceptionnels, c'est l'un d'entre eux qui m'a conseillé ce livre, et non l'inverse. Ou plutôt : j'avais placé ce livre dans ma sélection pour une lecture cursive (voir la sélection en question dans ce billet), mais je ne l'avais pas lu... Comme l'élève était revenu vers moi en me disant "C'est difficile et les personnages sont niais !", je me suis attelée à la lecture, pour savoir quoi lui répondre, quand même !

Alors : principale difficulté, le choix de suivre différents personnages selon les chapitres. On commence avec Gabriel, personnage fictif de jeune comédien de rue, qui va être embauché par Monsieur Poquelin, donc : Molière. Le livre s'intéresse autant aux déboires du jeune homme qu'aux problèmes du dramaturge vieillissant. Mais le roman s'intéresse également à Fouquet, au roi... Peut-être cela est-il effectivement difficile à suivre et peu habituel pour un lecteur de douze à treize ans. Mais je trouve, pour ma part, que c'est cela qui fait la richesse de ce roman jeunesse : une volonté de montrer que tout, dans l'Histoire, est lié, du destin d'un moucheur de chandelles (rôle que Molière va donner à Gabriel) à celui d'un surintendant du roi. On a une vraie plongée dans le siècle de Louis XIV, habilement romancée. 

Quant aux personnages niais... bon, c'est de la littérature jeunesse, il ne faut pas être trop difficile ! 

Je retiendrai donc, quand même, que le niveau est peut-être plus élevé que je ne le croyais (l'élève en question est quand même notre meilleur élève de 5e et, sans doute, bientôt, notre meilleur élève tout court, quand le "champion actuel", en 3e, sera parti du collège...)

 

18 avril 2013

Tarja

Pour présenter ce livre, on ne peut s'empêcher d'en donner les premiers mots : "Au collège, sans prétention, j'ai une sacrée réputation : ils disent tous que je suis une salope."

Voici donc le troisième Sciarini que je lis cette année. Les mécanismes d'accroche, sur moi, fonctionnent bien : j'apprécie la référence musicale de cette première phrase (j'ai compris que la musique était très importante pour cet auteur et, donc, pour ses personnages), j'aime la rupture de registre, le basculement vers la réalité brute et crue ; et la couverture me plaît également, dans ce mélange d'innocence et de noirceur. Pari d'éditeur et d'auteur réussi. Voyons maintenant l'histoire.

Je découvre un personnage presque encore plus torturé que les précédents, si c'est possible : une adolescente dont la réputation "tourne" sur les réseaux sociaux. Elle est devenue une star, elle a son groupe sur Facebook : "Si toi aussi tu penses que Tarja est une salope." Sa sexualité s'affiche donc au grand jour, et elle en porte aussi les conséquences en elle : elle est enceinte. De son professeur de lettres. Qui, bien entendu, ne veut plus d'elle, et encore moins de leur enfant. Elle va donc s'éloigner et tenter de se reconstruire, de se rapprocher d'elle-même et surtout de cet enfant à venir. 

Tout cela est très noir. D'autant plus que Tarja porte aussi en elle la mort de sa meilleure amie, un traumatisme lourd à porter. Tout le roman est donc une histoire de mort et de vie. Avec la balance qui penche du côté de la vie : Jean-Noël Sciarini ne laisse jamais ses lecteurs s'enfermer dans le marasme ou la morbidité. 

J'ai toujours un peu de mal avec ce style très tourmenté, avec ces nombreuses digressions, cette manière de raconter extrêmement labyrinthique. Je continue de penser qu'on pourrait arriver aux mêmes effets par d'autres voies littéraires. Mais je comprends ce que l'auteur cherche à nous dire, et je dois reconnaître qu'il n'a pas peur de s'attaquer à des sujets forts et pourtant terriblement actuels et vrais. 


 

18 avril 2013

Vive la République !

Je ne le connaissais pas ; il m'avait tenté ; je l'ai dévoré !!!

Tous les ingrédients étaient réunis ici pour me plaire : 

- l'humour alerte et efficace de mon écrivaine préférée, un humour qui ne prend pas une ride au fil des ans et des ouvrages (Marie-Aude Murail a beau être une vraie machine à écrire, elle ne m'a pour l'instant jamais déçue, ce qui est un exploit, car rare sont les écrivains "à succès" qui ne me lassent pas au dixième roman...) ;

- le thème, bien entendu, et son personnage principal : une jeune maîtresse qui fait son année de stage dans une école de centre-ville pas pour autant de tout repos (ça me rappelle quelque chose, ça...) ; 

- et de nombreux clins d'oeil à d'autres personnages et d'autres histoires créés précédemment. J'en oublie sûrement, mais j'ai pu reconnaître Emilien baby-sitter, Emilien moniteur de colo (avec sa collègue égoïste-mangeuse de biscuits Lu), la petite dylexique à qui Emilien donnait des cours... Peut-être aussi Bart de Oh ! Boy, à travers Eloi, peut-être aussi le couple colocataire de Simple (ai oublié les noms...) à travers Eloi et sa coloc Nathalie... 

Bref, visiblement, Marie-Aude Murail s'est amusée à reprendre tous les ingrédients qu'elle connaît, à les mettre dans un grand sac, à bien secouer pour les retrouver bien redistribués dans une histoire de grands et de petits. 

Et moi, je ris toujours autant. Et, même, à la fin, j'ai quelques larmes au coin de l'oeil. 

Alors, certes, c'est très stéréotypé. Mais, quand on lit Marie-Aude Murail, il faut chercher la jouissance et le plaisir des mots, rien d'autre. Chez moi, en tout cas, ça fonctionne. Et chez vous ? 

 

 

25 février 2013

Les disparitions d'Annaëlle Faier

9782211206822

 Découverte littérature jeunesse 2012-2013

Vous vous demanderez peut-être pourquoi, alors que j'ai été déçue par Le garçon bientôt oublié, et en particulier, par le style qui y était adopté, j'ai décidé de remettre le couvert avec le même auteur. 
Réponse hypocrite : je n'aime pas rester sur une mauvaise impression ; je voulais donner une deuxième chance à Sciarini.
Réponse franche : le titre de ce livre contient le prénom de ma belle-soeur - prénom assez peu fréquent - et ça m'a fait sourire ; je veux me tenir au courant de l'actualité récente de la littérature jeunesse et ce livre en fait partie. 

Et vous allez bien sûr vouloir savoir si, oui ou non, ce livre m'a davantage plu que le précédent. La réponse globale est "oui". La réponse détaillée peut se faire en deux temps, classiques : les "contre", puis les "pour". 

Comme dans Le Garçon..., j'ai été gênée par des longueurs. J'ai trouvé que, parfois, la narratrice (et donc, l'auteur ?) se regardait écrire. Le morcellement en paragraphes et en chapitres donne l'impression de chercher à créer un suspense ; quelquefois, c'est le cas, mais je me suis souvent dit : "Ah ? On était censé attendre quelque chose, là ?". (N'est pas Armistead Maupin, ni Alexandre Dumas, ni Maupassant, d'ailleurs, qui veut.)
Enfin, je n'ai pas trouvé la thématique de départ exceptionnellement originale : une adolescente qui raconte sa rupture avec son premier copain, et le divorce de ses parents, qu'elle apprend le même jour. Même traitée sous l'angle de la magie, cela ne change pas grand-chose - l'héroïne de l'histoire se voit comme une "superhéroïne inversée", terme qu'elle répète à longueur de pages, et qui, de leitmotiv, devient rengaine assez lassante, comme d'ailleurs l'étaient les "qui suis-je" et "le garçon presque oublié" dans l'opus précédent. Dommage que des formules qui, la première fois, sont jolies ou amusantes, finissent par ne plus l'être du tout à force d'être rabâchées.

Passons aux points positifs.  

Le thème de la musique m'a davantage parlé ici que dans Le Garçon. Pourquoi, alors qu'il y  est finalement moins développé ? Peut-être parce que les chansons en question m'étaient plus familières, comme bien sûr le Feeling good de Nina Simone, qui accompagne un épisode important de l'histoire d'Annaëlle ? Je ne sais pas.
De nombreuses belles formules m'ont interpellée, suffisamment pour que j'ai envie de les relire, de feuilleter de nouveau certains chapitres pour les retrouver, m'en imprégner, et en recopier certaines ici (quand j'aurai une minute). Mais des formules bien trouvées, il y en avait aussi dans Le Garçon. Pourquoi ne les ai-je pas retenues ? Là encore, je n'ai pas de réponse à apporter. 

Et si j'étais plus conformiste que je ne le croyais ? Et si j'avais préféré ce roman au précédent juste parce qu'on y présente une héroïne aux problèmes plus banals (rupture amoureuse et divorce de ses parents, les deux couples initiaux étant tout ce qu'il y a de plus hétéro, de plus orthosexués) ?
En même temps, cela peut être tout simplement une question d'identification, ce récit-là me permettant davantage de me projeter que dans celui d'un transgenre male to female

Et, en relisant, notamment cette phrase-là, "Tu as réussi, malgré deux absences si importantes pour toi [...] à écrire un livre", je pense que tout est effectivement une question de projection. Cette sensation de disparition, je l'ai vécue également, bien que je l'aie nommée autrement à l'époque, par le mot de "vide". Et si toute la force de ce roman résidait dans cette idée très simple : montrer comment on peut (qu'on soit adolescent, adulte, peu importe) transcender ou remplacer ce vide (qui s'appelle aussi dépression, médicalement parlant) par l'écriture ou la création ? Ou, si je peux me permettre la formule galvaudée, mais qui s'applique très bien ici, remplacer des maux par des mots ? 

Si cela est vraiment l'objectif que souhaitait atteindre l'auteur, alors je trouve qu'il a rempli le contrat, et que, finalement, ce genre de réflexion sur l'écriture n'est pas si souvent présente dans la littérature ado. Et, même si cela a pris un certain temps, au fur et à mesure de ma lecture, cette réflexion a fini par me toucher. 

Pour conclure, j'ai l'impression - à confirmer avec d'autres lectures ; d'ailleurs une autre, Tarja, est déjà sur mon étagère - qu'un roman de Sciarini est comme une mixture trop liquide : on peut s'y noyer et passer à côté de la saveur pourtant bien existante. Pour ma part, j'ai comme envie de passer le roman au chinois, pour n'en retenir que la matière la plus dense et la plus précieuse. Moins de pages, moins de répétitions, moins d'enjolivements, mais plus d'arôme. 

Pour conclure bis, j'ai bien fait de réitérer. Je commence à cerner certaines caractéristiques littéraires chez Sciarini, assez positives, que je n'avais pas assez remarquées lors de ma première rencontre avec cet auteur. A suivre ! 

 

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20 février 2013

Le carnet de Théo, tome 1 : Dans ma bulle

Et maintenant, même si cela pourra surprendre ou faire froncer les sourcils, voici un roman que j'ai bien plus apprécié que Le garçon bientôt oublié, toujours sur cette thématique du genre. 

Aucune prétention dans ce récit sous forme de journal intime, qui baigne dans l'univers japonisant des mangas et dans le petit monde bien caractéristique des adolescents en pleine rebellion contre la terre entière. 

Et pourtant. Ce roman n'est pas tout à fait comme les autres ; il sème de petits cailloux qui, considérés un à un, n'ont l'air de rien, mais dont l'assemblage produit en fait quelque chose d'assez intéressant. 

Tout d'abord, il s'agit d'un roman graphique. Le personnage principal est fan de mangas. Cette passion ressort tout naturellement dans le journal intime (le pas très original "carnet" du titre) que Théo décide de tenir, puisque ce journal sera parsemé d'images, croquis sur le vif, dessins plus travaillés, portraits de personnages importants, ou encore autoportraits visant à immortaliser l'émotion de la journée (un peu à la manière d'un smiley amélioré). On aime ou on n'aime pas ce genre d'illustrations, mais l'idée est astucieuse et bien mise en oeuvre : montrer que Théo manie autant le crayon à dessin que le stylo pour écrire, et faire en sorte que ces images participent à l'histoire. 

Ensuite, la question du masculin et du féminin est habilement posée dans ce récit. Autour de ce thème du genre gravitent d'autres questions, qui, comme dans le roman de Jean-Noël Sciarini, peuvent se résumer en une seule : qui suis-je ? Le tout sans grande originalité, mais avec juste assez de subtilité pour qu'on comprenne le mal-être de Théo sans voir en ce personnage un martyre larmoyant (ce qui m'avait gênée chez Toni, le garçon bientôt oublié). 

Le style adopté par l'auteur est cohérent par rapport au personnage : de l'humour, de la vivacité, du dialogue, un vocabulaire simple. Je le répète, aucune prétention. Mais une manière intelligente de raconter une histoire.

Le récit s'achève sur une fin ouverte, puisqu'il y a un deuxième tome, et un troisième à paraître. J'ai mordu à l'histoire et j'ai donc bien l'intention de lire la suite. 

Une réserve me vient tout de même à l'esprit, disons plutôt une déception. Théo veut se lancer dans la réalisation d'un manga, et lui vient alors l'idée d'un personnage principal, une "adolescente androgyne dont la particularité est de transformer parfois en garçon", notamment sous l'emprise de la colère. Une sorte de Hulk transgenre. Il y aurait eu là une piste extrêmement intéressante à suivre, tout un travail sur les stéréotypes des récits prisés par les ados et l'univers des superhéros. Mais Théo abandonne cette idée, sur les conseils d'un ami, et choisit de raconter la vie de personnages plus ordinaires. J'ai trouvé ça fort dommage. Cette piste sera-t-elle de nouveau abordée dans les prochains tomes ? J'en doute, mais l'espoir est permis !  

20 février 2013

Le garçon bientôt oublié

Je vais sans doute décevoir mon amie Arty... mais j'ai moi-même été déçue par ce qui aurait pu être mon Graal, la fin de ma longue quête (depuis l'été dernier déjà) du roman parfait sur le thème des transgenres. 

Bon, eh bien, raté. Non seulement je ne me vois pas le donner à lire à mes élèves de cinquième (mais cela, je le savais déjà, le livre s'adresse plutôt à des lycéens), mais moi-même, je n'ai pas été emballée. 

Première raison : la construction du livre, trop décousue. Jean-Noël Sciarini alterne des narrations à la première personne pendant lesquelles le héros, Toni, raconte un quotidien à la fois banal et difficile, empli de questionnements sur son identité, et des extraits de journal intime ou de "classeurs". Les fiches contenues dans ce classeur sont autant de pièces d'un "dossier d'enquête" que Toni mène sur lui-même. Pour essayer de se trouver, de comprendre qui il est. 
L'idée de ces fiches était intéressante. Je ne suis pas réticente aux écritures fragmentaires, aux collages, loin de là. Mais ici, je ne sais pas, ça ne prend pas. Manque d'homogénéité. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi telle fiche intervient à tel moment et pas un autre. J'ai l'impression qu'il n'y a aucun lien entre ces fiches et l'histoire qui se raconte à ce moment-là. 
Comme Toni est en quête de la chanson qui changera sa vie, il demande à de nombreuses personnes de lui parler de la chanson qui a changé la leur, de vie. Et les témoignages en question sont notés dans des fiches. Moi qui suis passionnée de musique, cela aurait pu me parler, et même me plaire beaucoup. Mais non, ça ne fonctionne pas. 

Deuxième raison : ce n'est en fait pas le style que j'aime. Toni s'écoute écrire. En littérature jeunesse, j'ai besoin de davantage de fluidité, de véritable autodérision, d'ironie. Ici, trop de lamentations, et presque, de chichis. Du coup, je n'accroche pas à une histoire que je sens pourtant profonde et bouleversante. J'ai cette désagréable impression que l'auteur a gâché un potentiel par une écriture inadaptée. Je ne suis pas sensible à la poésie de l'écriture. Les incessants "qui suis-je", "qui je suis" finissent par me lasser. Un roman sur l'interrogation d'un adolescent né dans le mauvais corps : oui, mais pas comme ça. Du coup, je compare : dans La face cachée de Luna, faire raconter l'histoire par la soeur du personnage central, c'était ingénieux. Cela permettait justement de mettre en valeur la souffrance de Liam/Luna sans en faire de trop, sans ennuyer le lecteur. 

Donc : déçue. J'ai senti beaucoup de pistes, mais aucune ne m'a conduite là où j'aurais aimé aller. Dommage ! 

Lionel Labosse n'est en fait guère plus convaincu que moi. 

La critique de Citrouille rejoint en partie ce que j'ai écrit. 

Pour contrebalancer ces critiques mitigées, vous pouvez lire ceci, mais cela ne vous apportera guère plus d'informations...

J'invite donc Arty à (re)passer par ici pour donner son avis ! 

13 février 2013

Le passeur

               

 (Je plume sur une vieillerie, afin de compléter les liens des mes listes de lectures cursives  . Dorénavant ces lectures datées seront signalées par un [Vieillerie] au début du message.)

Ce livre a toujours été une référence pour moi. Le principe en est très simple : l'auteur a créé un univers (qui se situerait à une époque indéterminée, mais après la nôtre) dans lequel sensations et émotions ne font quasiment plus partie de la vie des hommes. Un enfant se fait mal ? On lui donne un comprimé rudement efficace : à peine a-t-il eu le temps de connaître un semblant de douleur qu'elle a déjà disparu. Même le désir sexuel est contrôlé par une autre pilule, non pas contraceptive (le problème ne se pose de toute façon pas : seules certaines femmes de la société peuvent enfanter, les "mères porteuses", considérées comme inférieures par le reste des habitants), mais tueuse de fantasmes. On doit confesser ses rêves en famille au petit déjeuner. On ne doit pas mentir. Enfin (même si la liste est loin d'être finie), on ne peut pas connaître le plaisir d'hésiter entre une pomme rouge et une pomme verte, car les couleurs n'existent plus. Plus exactement, on n'arrive plus à les percevoir.
Dans ce monde, un personnage détient des connaissances que nul autre ne possède : c'est le Passeur. Lors de la cérémonie de ses douze ans, âge auquel le Conseil attribue définitivement une fonction sociale à tout adolescent, Jonas apprend qu'il a été choisi pour être le nouveau Passeur. Rien ne sera plus comme avant pour lui ; ou plutôt, peu à peu, tout redeviendra comme avant - avant que le monde dans lequel il vit n'ait été affadi et rigidifié. 

La qualité de ce genre de roman tient évidemment beaucoup à la cohérence de l'univers créé. Sur ce point, rien à redire : les détails sont magistralement coordonnés. Tout y est réaliste à en faire parfois froid dans le dos. On ressent, avec Jonas, cette impression d'enfermement - dont il ne peut prendre conscience qu'après avoir découvert qu'il a existé autre chose, et qu'il existe peut-être encore autre chose, ailleurs. 

Ecrit dans un style sans difficulté, ce livre est pour moi une très grande oeuvre à partager avec nos élèves, idéale pour enrichir une réflexion sur l'utopie ou la contre-utopie, la frontière entre les deux étant parfois très mince. On peut y lire aussi une réflexion sur le totalitarisme, même si finalement rien n'est centré sur le pouvoir, dont on ne sait pas vraiment, d'ailleurs, qui le détient - hormis les membres du Conseil. C'est enfin une très belle histoire sur le plaisir, le bonheur ; sur la vie, tout simplement. 

A lire et à faire lire ! 

7 février 2013

Silhouette

Découverte littérature jeunesse 2012-2013

Toujours à Lune et l'autre, j'ai découvert, dans une quasi-exclusivité (pour tout dire, la librairie l'avait reçu la veille, et le libraire ne l'avait pas encore lu), le dernier Mourlevat. 

Voici un texte différent de ses précédents ouvrages, sur le plan générique : cette fois-ci, Mourlevat a opté pour l'écriture brève en publiant un recueil de nouvelles, et a laissé de côté l'imaginaire et la science-fiction pour camper ses récits dans un cadre strictement réaliste. 

Dix nouvelles sont proposées au lecteur, et, disons-le tout de suite, ce sont quasiment dix bijoux d'art littéraire.

J'ai été happée dès les deux premiers textes. Le premier raconte comment la vie d'une mère de famille a changé le jour où elle postula à un casting de figuration pour un film de son acteur préféré. Le second met en scène un jeune ado à qui ses parents ont enfin donné le droit de partir en vacances tout seul en colo, et non avec eux comme toutes les années précédentes, mais qui se rend compte, dans le car, qu'il n'a pas respecté entièrement les consignes laissées par ses parents en quittant la maison, et qu'il a enfermé le chat dans sa chambre...
Dans les deux cas, le récit m'a portée, et la fin m'a vraiment serré le coeur. L'art de la "nouvelle à chute", Mourlevat le maîtrise à la perfection. 

Tous les autres récits ne m'ont peut-être pas procuré la même émotion, mais j'y ai quand même apprécié une écriture précise, efficace, qui ne cède pas au relâchement, à la familiarité, comme cela peut être le cas chez certains auteurs jeunesse. Certaines histoires sont plus farfelues que d'autres : on retrouve, plus ou moins, l'esprit de La vie extraordinaire des gens ordinairesdéjà plumé sur ce forum. Mais on retrouve surtout l'esprit de la nouvelle réaliste telle qu'elle existe depuis le XIXe siècle, et ce qu'affectionnait particulièrement Maupassant : croiser la vie d'un individu moyen avec une bizarrerie quelconque, et raconter cela du mieux possible, en faisant ressortir tout l'extraordinaire des résultats de ce croisement. Des faits divers mis en récit : c'est tout à fait ce à quoi se livre Mourlevat dans ce recueil. 
(Donc, là, mon radar "oeuvres exploitables avec élèves" clignote avec ferveur : à proposer en lecture cursive dans une classe de quatrième, après l'étude de nouvelles de Maupassant, par exemple. Ou, si on étudie encore ce genre de textes malgré leur disparition du programme, pour définir ce qu'est une nouvelle à chute.)

Comme pour Terrienne, j'ai aimé, aussi, l'ancrage local, particulièrement fort dans la première nouvelle. Cela donne l'agréable sensation d'être chez soi et de s'y promener paisiblement... jusqu'à ce que la bizarrerie fasse intrusion. 

Enfin, la dernière nouvelle exploite avec brio la mise en abyme et le thème de l'écriture. On y découvre un écrivain novice qui, en prenant le train pour donner à un éditeur le manuscrit de son premier recueil de nouvelles, se fait voler ledit manuscrit... 

Aux amateurs de Mourlevat comme aux autres : n'hésitez-pas et attaquez très vite votre lecture ! 

7 février 2013

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Découverte littérature jeunesse 2012-2013

Lors de mon dernier passage à Saint-Etienne, découverte d'une petite librairie sympathique, Lune et l'autre, qui a le mérite de proposer des genres très variés (romans, essais, littérature jeunesse, beaux livres...) malgré le peu d'espace, et de mettre en valeur de nombreux ouvrages, ce qui donne très envie de se laisser tenter. 

Et, donc, au rayon ados, je tombe sur ce petit ouvrage à la couverture... gaie, si je puis me permettre ce jeu de mots. Je me le permets car je trouve cette couverture à la fois ingénieuse ("maline", comme y diraient dans Top Chef) et joyeuse, lumineuse. 

Pourtant, l'histoire qui y est brièvement racontée (le livre ne fait que 56 pages, très aérées ; on est plutôt du côté d'une longue nouvelle que d'un roman) ne l'est pas tellement, lumineuse : le jeune héros, qui écrit à la première personne, se fait régulièrement frapper et traiter de "fiotte" ou de "pédé" par les garçons du collège. Mais le pire pour lui n'est pas cela ; le pire, c'est de voir que son père, au lieu de l'aider et de faire cesser ces agissements, semble cautionner implicitement, en incitant son fils à se défendre s'il veut montrer qu'il est un homme, un vrai. 
Il s'agit donc surtout d'une histoire sur la relation entre père et fils, davantage peut-être qu'une réflexion sur l'homosexualité. Le style est simple, mais épouse bien les sentiments du personnage. Et c'est la fin qui apporte la lumière qui manquait aux pages précédentes, et qui, a posteriori, éclaire l'ouvrage tout entier. 

Une jolie histoire que je mettrais volontiers dans les mains de mes élèves, qui pose beaucoup de questions, mais qui ouvre aussi de nombreuses pistes. 

 

24 janvier 2013

L'année de l'orientation

Lionel Labosse, rédacteur du site Altersexualités.com dont je parle décidément de plus en plus souvent, m'a fait le plaisir de passer par ici, et surtout de m'envoyer son tout premier roman, L'Année de l'orientation, première tentative littéraire pour parler de ce(s) thème(s) qui lui tient(tiennent) tant à coeur. 

A peine reçu, tout de suite dévoré. Et aussitôt lu, aussitôt plumé. 

J'ai aimé, tout d'abord, le titre. Une trouvaille simple mais lumineuse, évidente, qui trouve son explication dans cette phrase de Karim, l'un des deux personnages : "A l'école il faut remplir les papiers pour l'orientation, le conseil de classe est dans une semaine. Mais pour mon orientation sexuelle, à qui j'en parle ?" En effet, Karim est en troisième, à l'âge où les études prennent un sens, mais peut-être pas autant que les multiples questionnements sur l'identité et les sentiments. D'ailleurs, les unes ne vont pas sans les autres, car c'est au collège que se jouent de nombreuses scènes décisives, entre rumeurs répandues à travers la cour de récré, moqueries ouvertes de certains "camarades", ou tentatives plus ou moins maladroites des professeurs pour aborder ces sujets-là. 

Derrière ce titre, et cette petite citation qui résume à elle seule le projet de l'ouvrage, que trouve-t-on ? Un roman épistolaire à deux voix, masculines : celle de Karim, banlieusard-mais-pas-tant-que-ça, dans un collège assez bien famé autour de Paris, qui s'interroge donc sur son orientation, et celle de Julien, qui vient de déménager, laissant derrière lui Paris et son ami Karim, et qui se pose des questions, lui, sur la nouvelle vie de son père. Très vite, on comprend que les deux copains vont pouvoir partager un sujet de conversation qui les touche tous les deux de près, mais de manière différente ; mais on comprend aussi, avec eux, que ce sujet-là ne sera que le déclencheur de nombreux autres objets de réflexion. Les deux ados décident de tout se dire, de se "tirer des coups d'épistolaire", comme dit Karim, se moquant de lui-même, en souvenir de ce cours de français où il avait mélangé les mots (et moi, ce cow-boy de la lettre qui en perd son français, ça me fait franchement penser aux Mini-westerns de Mathias Malzieu, ce qui n'est pas pour me déplaire). Ce à quoi Julien répond : "je propose que notre échange de lettres soit plutôt une sorte de roulette russe : au lieu de viser l'autre, on met une vraie balle - c'est-à-dire un vrai secret - dans le barillet, et on vise sa propre tête." Car "si on ne joue pas sa vie à tout moment, à quoi rime l'amitié ?"

En tout cas, l'amitié ne rimera pas avec pédé, car, n'en déplaise aux lecteurs avides de romances, dans ce premier tome du moins (je ne connais pas encore le second, Karim et Julien), la frontière ne sera pas franchie. Déjà, on donne un coup de pied dans un stéréotype encore assez marqué de nos jours : oui, deux garçons de quinze ans peuvent s'écrire des lettres, tenir une sorte de journal intime à deux, sans être amoureux l'un de l'autre. C'est donc avant tout un beau roman sur l'amitié, qui pourra rappeler aux adolescents à quel point il est essentiel d'avoir quelqu'un à qui parler, et donc, de l'intérêt d'aller au-delà des préjugés, et d'oser faire le premier pas amical, en choisissant par exemple la voie/voix de l'écrit si ça facilite les choses. 

Il y a de très beaux passages, de très jolies formules, que j'ai appréciées tout au long de ma lecture, et que je vous plumerai ici dès que j'aurai un peu plus de temps à vous consacrer. 

Malheureusement - tout ne peut pas être parfait, surtout dans un premier roman - je retrouve, à côté de ces beaux passages, certains traits d'écriture qui me gênent parfois en littérature jeunesse. On a des ados qui ne parlent pas tout à fait comme des ados, et cela me titille toujours un peu. Notamment quand les deux garçons se livrent à des considérations syntaxo-linguistiques, réfléchissant à l'influence de l'usage d'une relative par rapport à une complétive dans les relations humaines : moi, en tant qu'ex-étudiante de lettres, ça me réjouit, ce n'est pas le problème, mais j'imagine mal un élève de troisième, même doué en français, en venir à de telles réflexions. Cela dit, Lionel Labosse s'est expliqué dans son essai Altersexualité, éducation et censure : "Quand un adolescent - qui n'est pas forcément un idiot - ouvre un livre, il s'adonne sciemment à une activité de compensation insolite par rapport à son mode de vie, et il n'est pas fâché d'y trouver un contrepoint [...]". Alors, soit. Disons que c'est une question de goût. Quelques jeux de mots, parfois bien trouvés, mais qui semblent un peu perdus au milieu des tirades très sérieuses des deux épistoliers. Enfin, les personnages adultes me semblent moins bien réussis que les personnages adolescents. Un peu trop "cools" pour les personnages sympathiques, un peu trop "nuls" pour les personnages moins reluisants. Comme chez Gudule, on a l'impression que l'univers des adultes entre sans cesse en relation avec celui des ados alors que, souvent, dans la vraie vie, c'est le contraire : les mondes restent parallèles, surtout quand les ados ont entre douze et seize ans. 

Pour résumer, en tant que lectrice adulte, j'ai tourné les pages avec plaisir, même si j'ai noté, à intervalles réguliers, des particularités stylistiques qui me déplaisent. Cela dit, je n'hésiterai pas à proposer ce roman à des adolescents, à qui, je pense, l'histoire et l'écriture pourraient plaire, car eux, comme le dit Lionel Labosse, ne cherchent pas toujours (du moins pas ceux qui aiment vraiment lire) un livre en forme de miroir. 

Et le pari est gagné puisque j'ai maintenant envie de connaître la suite de leurs aventures, dans ce deuxième tome

 

23 janvier 2013

Le roi Arthur

Lecture cursive - Roman de chevalerie - Niveau cinquième 

Un classique indémodable pour ma part. Sincèrement, j'ai dû le lire une quinzaine de fois, toujours avec le même plaisir. 

Le principe du récit, c'est le même dans tous les livres de Morpurgo (ça peut en devenir lassant à la longue...) : l'histoire débute dans un univers réaliste, à notre époque, avec un personnage adolescent. Ici, il s'agit d'un garçon (dont on ne saura jamais le prénom, habile moyen de nous faire comprendre que le véritable héros de l'histoire, ce n'est pas lui, et que n'importe qui pourrait le remplacer), vivant au bord de la mer, qui se donne pour défi de rejoindre, à pied, une île, en profitant de la marée basse. Malgré tous ses préparatifs, il se fait surprendre par l'eau, et croit se noyer. Jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux et se retrouve dans une pièce étrange, meublée par une immense table ronde, en compagnie d'un vieil homme qui dit s'appeler Arthur. Alors s'ouvre un autre récit, celui qu'on attend, d'après le titre : les aventures du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde. 

On ne doit pas lire ce livre avec des yeux d'historien. Les légendes y sont parfois malmenées, la psychologie des personnages est calquée sur nos habitudes contemporaines, et assez éloignées de ce qu'on trouve dans les textes médiévaux. Mais ce roman a le grand mérite de faire découvrir de nombreux personnages (Arthur, Guenièvre, Merlin, Lancelot, mais également Tristan et Iseut, Gauvain, Galaad, la fée Morgane...) à de jeunes lecteurs qui ne les connaissent pas forcément, et qui ont tendance à tout mélanger. Les grandes lignes sont respectées, c'est déjà beaucoup. Et Morpurgo possède un grand talent de conteur. Ses petits chapitres, chacun consacré à un personnage, ou une aventure, tiennent le lecteur en haleine, sans le noyer dans le flot d'actions qu'on trouve souvent dans les romans de chevalerie - et qui, personnellement, ont tendance à m'ennuyer. Par ailleurs, les deux versants de ce monde médiéval sont montrés, le côté brillant, voire clinquant, des grandes aventures, des batailles remportées, des amours partagées, comme la noirceur qui envahit les dernières années du règne d'Arthur, la violence qui monte peu à peu. Le caractère tragique de certaines histoires est souligné, sans lourdeur. 

Puis le jeune personnage principal revient à la réalité, s'en retourne chez lui, ces histoires plein la tête - et le lecteur avec lui. Morpurgo, pour moi, a su trouver un langage propre à renouer avec cette fameuse "tradition orale" qui caractérise le début du Moyen Âge. Arthur, dont la vie d'aventures est finie, qui ne peut plus être un héros, se mue en conteur, et passe le flambeau : une jolie manière de mettre un point "non-final" à cette histoire. 

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Le royaume de Kensuké

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