Lionel Labosse, rédacteur du site Altersexualités.com dont je parle décidément de plus en plus souvent, m'a fait le plaisir de passer par ici, et surtout de m'envoyer son tout premier roman, L'Année de l'orientation, première tentative littéraire pour parler de ce(s) thème(s) qui lui tient(tiennent) tant à coeur.
A peine reçu, tout de suite dévoré. Et aussitôt lu, aussitôt plumé.
J'ai aimé, tout d'abord, le titre. Une trouvaille simple mais lumineuse, évidente, qui trouve son explication dans cette phrase de Karim, l'un des deux personnages : "A l'école il faut remplir les papiers pour l'orientation, le conseil de classe est dans une semaine. Mais pour mon orientation sexuelle, à qui j'en parle ?" En effet, Karim est en troisième, à l'âge où les études prennent un sens, mais peut-être pas autant que les multiples questionnements sur l'identité et les sentiments. D'ailleurs, les unes ne vont pas sans les autres, car c'est au collège que se jouent de nombreuses scènes décisives, entre rumeurs répandues à travers la cour de récré, moqueries ouvertes de certains "camarades", ou tentatives plus ou moins maladroites des professeurs pour aborder ces sujets-là.
Derrière ce titre, et cette petite citation qui résume à elle seule le projet de l'ouvrage, que trouve-t-on ? Un roman épistolaire à deux voix, masculines : celle de Karim, banlieusard-mais-pas-tant-que-ça, dans un collège assez bien famé autour de Paris, qui s'interroge donc sur son orientation, et celle de Julien, qui vient de déménager, laissant derrière lui Paris et son ami Karim, et qui se pose des questions, lui, sur la nouvelle vie de son père. Très vite, on comprend que les deux copains vont pouvoir partager un sujet de conversation qui les touche tous les deux de près, mais de manière différente ; mais on comprend aussi, avec eux, que ce sujet-là ne sera que le déclencheur de nombreux autres objets de réflexion. Les deux ados décident de tout se dire, de se "tirer des coups d'épistolaire", comme dit Karim, se moquant de lui-même, en souvenir de ce cours de français où il avait mélangé les mots (et moi, ce cow-boy de la lettre qui en perd son français, ça me fait franchement penser aux Mini-westerns de Mathias Malzieu, ce qui n'est pas pour me déplaire). Ce à quoi Julien répond : "je propose que notre échange de lettres soit plutôt une sorte de roulette russe : au lieu de viser l'autre, on met une vraie balle - c'est-à-dire un vrai secret - dans le barillet, et on vise sa propre tête." Car "si on ne joue pas sa vie à tout moment, à quoi rime l'amitié ?"
En tout cas, l'amitié ne rimera pas avec pédé, car, n'en déplaise aux lecteurs avides de romances, dans ce premier tome du moins (je ne connais pas encore le second, Karim et Julien), la frontière ne sera pas franchie. Déjà, on donne un coup de pied dans un stéréotype encore assez marqué de nos jours : oui, deux garçons de quinze ans peuvent s'écrire des lettres, tenir une sorte de journal intime à deux, sans être amoureux l'un de l'autre. C'est donc avant tout un beau roman sur l'amitié, qui pourra rappeler aux adolescents à quel point il est essentiel d'avoir quelqu'un à qui parler, et donc, de l'intérêt d'aller au-delà des préjugés, et d'oser faire le premier pas amical, en choisissant par exemple la voie/voix de l'écrit si ça facilite les choses.
Il y a de très beaux passages, de très jolies formules, que j'ai appréciées tout au long de ma lecture, et que je vous plumerai ici dès que j'aurai un peu plus de temps à vous consacrer.
Malheureusement - tout ne peut pas être parfait, surtout dans un premier roman - je retrouve, à côté de ces beaux passages, certains traits d'écriture qui me gênent parfois en littérature jeunesse. On a des ados qui ne parlent pas tout à fait comme des ados, et cela me titille toujours un peu. Notamment quand les deux garçons se livrent à des considérations syntaxo-linguistiques, réfléchissant à l'influence de l'usage d'une relative par rapport à une complétive dans les relations humaines : moi, en tant qu'ex-étudiante de lettres, ça me réjouit, ce n'est pas le problème, mais j'imagine mal un élève de troisième, même doué en français, en venir à de telles réflexions. Cela dit, Lionel Labosse s'est expliqué dans son essai Altersexualité, éducation et censure : "Quand un adolescent - qui n'est pas forcément un idiot - ouvre un livre, il s'adonne sciemment à une activité de compensation insolite par rapport à son mode de vie, et il n'est pas fâché d'y trouver un contrepoint [...]". Alors, soit. Disons que c'est une question de goût. Quelques jeux de mots, parfois bien trouvés, mais qui semblent un peu perdus au milieu des tirades très sérieuses des deux épistoliers. Enfin, les personnages adultes me semblent moins bien réussis que les personnages adolescents. Un peu trop "cools" pour les personnages sympathiques, un peu trop "nuls" pour les personnages moins reluisants. Comme chez Gudule, on a l'impression que l'univers des adultes entre sans cesse en relation avec celui des ados alors que, souvent, dans la vraie vie, c'est le contraire : les mondes restent parallèles, surtout quand les ados ont entre douze et seize ans.
Pour résumer, en tant que lectrice adulte, j'ai tourné les pages avec plaisir, même si j'ai noté, à intervalles réguliers, des particularités stylistiques qui me déplaisent. Cela dit, je n'hésiterai pas à proposer ce roman à des adolescents, à qui, je pense, l'histoire et l'écriture pourraient plaire, car eux, comme le dit Lionel Labosse, ne cherchent pas toujours (du moins pas ceux qui aiment vraiment lire) un livre en forme de miroir.
Et le pari est gagné puisque j'ai maintenant envie de connaître la suite de leurs aventures, dans ce deuxième tome.