"La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge, au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur."
Les mots de l'époque :
Deux adjectifs me viennent à l'esprit pour parler de ce livre : riche et prenant. Riche parce qu'on y trouve des confessions, des récits anecdotiques, de l'humour, de la poésie (l'écriture de Camus, le poète, fait merveille dans ses descriptions d'Amsterdam), et une très grande réflexion philosophique, éthique et spirituelle. Théologien de la mort de Dieu, observateur très lucide de la nature, Camus est en outre un conteur au grand art. Le personnage se dévoile avec subtilité, jamais le texte ne se fait manichéen - bien au contraire, il nous pousse à l'indulgence éclairée. On se prend même à s'attacher au personnage, tout en gardant une certaine réserve. Malgré quelques passages un peu longs, je considère ce récit comme indispensable.
Les mots de maintenant :
Encore une fois, je souris en me relisant : "riche et prenant", ouah, dis donc, le top du top de l'originalité pour une critique de livre, fallait bien attendre la fin de la phrase pour les lâcher, ceux-là !
Bon, plus sérieusement. J'ai créé une catégorie qui est évidemment contestable (mais le temps des dissertations "Qu'est-ce qu'un classique ?" est à présent derrière moi, on ne va donc pas ergoter là-dessus), et qui me posera sans doute problème pour certains titres que je ne saurais où classer. Ce qui est assez drôle, c'est que, dans mon carnet, La chute est le seul classique ; il aurait pu y avoir L'arrache-coeur (Vian), et Mademoiselle Else (Schnitzler, pour la littérature étrangère), mais ces deux titres sont restés à l'état d'ébauche, je n'ai pas voulu, ou pas pu, en écrire une critique. Comme si j'avais éprouvé une sorte de répugnance, ou de gêne, ou je ne sais quoi d'autre, à donner mon avis sur ces oeuvres tellement commentées. Alors, pourquoi l'ai-je fait sur Camus ? Peut-être parce que l'oeuvre m'a vraiment marquée (pourtant, je n'en ai qu'un souvenir assez vague aujourd'hui), peut-être aussi parce qu'à l'époque, ça "faisait bien", pour moi, d'avoir fait la critique d'"un Camus"...
De lui, j'ai aimé aussi Les justes (que j'ai relu, d'ailleurs, et que j'aimerais relire aujourd'hui), je n'ai pas été spécialement emportée ni marquée par L'étranger, et je n'ai pas aimé La Peste, dont j'ai trouvé le style très plat.
Juste un morceau choisi, pas spécialement représentatif de l'ouvrage, mais que j'aime beaucoup :
"La Hollande est un songe, monsieur, un songe d'or et de fumée, plus fumeux le jour, plus doré la nuit, et nuit et jour ce songe est peuplé de Lohengrin comme ceux-ci, filant rêveusement sur leurs noires bicyclettes à hauts guidons, cygnes funèbres qui tournent sans trêve, dans tout le pays, autour des mers, le long des canaux. Ils rêvent, la tête dans leurs nuées cuivrées, ils roulent en rond, ils prient, somnambules, dans l'encens doré de la brume, ils ne sont pas là."