Le 29 août, à Lyon, sur les pentes de la Croix-Rousse, c'était déjà la rentrée : celle des éditions Sarbacane, qui venaient présenter leurs nouveautés dans les locaux du chouette Complexe du Rire.
Sarbacane, c'est une maison d'éditions encore adolescente (treize ans cette année), encore familiale (treize membres cette rentrée), encore audacieuse, mais avec un catalogue déjà sacrément étoffé, riche d'albums pour petits et grands, de romans "ados-adultes", et de BDs jeunesse, adulte, tout public. Quelques fils conducteurs pour la ligne éditoriale : de la création (95% des titres du catalogue sont des manuscrits jamais publiés auparavant), une importance particulièrement accordée à la qualité du texte, y compris dans les albums et les BDs, et, le plus souvent possible, des paris parfois risqués avec les jeunes lecteurs.
En tant que grande lectrice de romans ados, c'est évidemment de la collection Exprim' que je connais le plus de titres. J'y ai découvert Antoine Dole (dans la collection Mini-romans plus exactement, avec A copier cent fois, puis chez Exprim' pour les autres romans) ; j'y ai lu des valeurs sûres, comme Frangine de Marion Brunet qui rencontre un bon succès auprès de mes élèves j'y ai eu un tout récent coup de coeur, avec Dysfonctionnelle d'Axl Cendres. Je connaissais beaucoup moins les albums ; j'ai retrouvé des titres dont j'avais lus de très bonnes critiques à droite et à gauche, comme Le chien-chien à sa Mémère ou Course épique, vanté par la librairie des Croquelinottes. Des albums qu'on identifie immédiatement comme décalés, sortant du lot, par leurs choix de thèmes ou d'illustrations. Et ça se gâte encore pour les BDs, dont j'ignorais même l'existence chez l'éditeur, alors qu'il y en a quand même un certain nombre.
Quel menu alléchant Manue (éditrice albums) et Tibo (éditeur romans) nous ont-ils donc présenté ?
Côté albums, leur choix s'est porté sur trois parutions très différentes les unes des autres.
D'abord un livre musical : Le fantôme de Carmen. Son créateur Pierre Créac'h, s'est payé le luxe de suivre cinq ans de Conservatoire puis cinq ans d'école d'art : c'est dire s'il a plusieurs cordes à son arc. Il est donc entièrement aux manettes de ce livre, à la fois auteur, dessinateur et responsable des choix musicaux et de la bande-son. Le fantôme de Carmen est le troisième tome d'un projet qui vise à faire découvrir la musique dite "classique" aux plus jeunes. L'histoire est toujours centrée autour d'un jeune garçon, Louis (parce qu'il écoute !), embarqué dans des aventures qui se déroulent bien sûr en musique. La bande-son est assurée par des instrumentistes de qualité, et la lecture est assurée par de grands noms, habitués à l'exercice : Jean Rochefort, Pierre Arditi, et pour cette nouveauté, Yolande Moreau. Ce dernier argument pourrait bien me convaincre, ainsi que les illustrations, en noir et blanc à la mine de plomb pour baigner le jeune lecteur dans un univers onirique.
Puis un album plutôt nourri en texte, qu'on a eu la chance d'emporter avec nous après la présentation pour le feuilleter posément : Le Royaume de Minuit, de Max Ducos.
Cet auteur illustrateur est apparemment un habitué des sélections et des prix littéraires, notamment les Incorruptibles que les professeurs (dézécoles ou décollèges) connaissent bien. Il privilégie de larges illustrations à la gouache, aux couleurs franches, en accordant de l'importance aux cadrages. La présentation de Jeu de piste à Volubilis, l'histoire d'une petite fille vivant dans une maison d'architecte qu'elle n'aime pas, et qui se transforme en chasse aux indices avec le lecteur, m'a accrochée. J'ai aimé aussi la couverture et les premières images du ce nouveau Royaume de Minuit.
Mais, une fois l'album lu en entier (assez long, c'est un engagement des éditeurs pour faire aller les jeunes lecteurs vers des textes développés), je suis restée sur ma faim, surtout concernant l'histoire : deux enfants que tout oppose et qui se retrouvent réunis, tous seuls dans une école pendant une nuit entière. La manière dont Max Ducos a développé cette trame ne m'a pas semblé si originale, et l'écriture n'a rien d'exceptionnel non plus.
Enfin, un événement, à l'échelle éditoriale : Rébecca Dautremer, très connue pour ses Princesses et la panoplie de cartes et carnets qui en dérivent, anciennement publiée chez Gautier-Languereau, arrive chez Sarbacane après une période de "sommeil" artistique. Et c'est tout naturellement qu'elle se tourne vers une histoire de réveil : après avoir réinterprété le Petit Poucet et Alice, elle met en scène la Belle au bois dormant dans son album sobrement intitulé Le bois dormait. La même inspiration visuelle, bien sûr ; on peut être surpris, cependant, par la modernité de certains décors, les gros plans sur des visages, qui se démarquent quelque peu des précédents. Nouveauté en revanche, qui marque le début de cette nouvelle collaboration éditoriale, Rébecca Dautremer s'est mise à l'écriture. Parmi les petites anecdotes glanées au fil de la présentation, on apprend que c'est un coup de coeur pour Moi j'attends de Serge Bloch qui lui a donné envie, d'une part, de venir chez Sarbacane, et, d'autre part, d'écrire sur l'attente.
Passons maintenant aux romans ados :
L'éditeur fête les 10 ans de la collection Exprim'. Tibo, le directeur de collection, a rappelé le caractère "exceptionnel" de l'année 2015-2016, avec quatre romans très remarqués :
Il a avoué ensuite s'être demandé comment faire aussi bien cette année... Le choix semble avoir été celui du challenge, avec des tentatives audacieuses.
Pour commencer, Songe à la douceur, de Clémentine Beauvais, dont on a déjà beaucoup entendu parler sur les blogs et les sites de libraires. Il s'agit d'une variation autour d'un roman de Pouchkine, Eugène Onéguine, rédigé en vers : eh bien, l'auteure a décidé de conserver cette écriture en vers pour en faire un roman ado. Rien que ça ! Et il paraît que ça marche : de jeunes blogueurs ont été interrogés, et visiblement, passée la surprise de départ, le roman plaît. Cela rend curieux, en tout cas, et c'est pour ça que j'ai fait figurer ce titre dans mon TTT sur la rentrée littéraire 2016.
Puis l'incontournable de cette rentrée littéraire : le roman sur les attentats. En littérature adulte comme ados, c'est LE thème qui revient. Sarbacane a donc aussi, dans son nouveau catalogue, un roman intitulé sobrement et clairement 14 novembre, de Vincent Villeminot. L'histoire d'un jeune homme dont le frère meurt dans les attentats des terrasses, et qui, le lendemain, croise l'un des terroristes dans le métro. Après ce début très proche des événements réels, une fiction se met en place, dans laquelle il sera question de la soeur du terroriste, et de dialogue entre les deux hommes. Forcément, on peut être méfiant, trouver que c'est prématuré, s'attendre à du voyeurisme, se demander si l'auteur, et tous les autres qui se sont attaqués à ce sujet, sauront trouver le recul qui manquait tellement au flot d'images et d'informations qui nous a noyés à plusieurs reprises ces douze derniers mois... Là encore, la curiosité me poussera peut-être à lire ce roman.
Voilà... c'est là que j'ai dû partir ! Je ne peux donc malheureusement rien vous dire sur les romans 8-12 ans (je suis repartie avec un livre de Marion Brunet, L'ogre à poil(s), mais c'est un tome 2, et bon, ce n'est pas trop ma tasse de thé...), ni sur les BDs. Mais à vrai dire, cela faisait déjà beaucoup d'idées, d'envies, pour mon budget qui n'est pas celui d'un libraire ni d'un bibliothécaire !...
Bonne rentrée à Sarbacane, et bonnes lectures à vous !