Ilya Green : Mon bébé
Et quand mon bébé est fatigué, il n'est pas content.
Mes aventures pédagogiques, épisode 5
Parce que je ne suis pas que maman, et qu'après une période de réflexion sur mon avenir professionnel, j'ai choisi de persister - pour le moment - dans l'enseignement, voici un nouvel article sur mes projets de classe.
(J'en profite pour remercier les personnes qui m'ont écrit, pendant ces deux ans de parenthèses, à propos de certains articles, notamment sur les lectures cursives, et je les prie d'excuser mes réponses tardives ou mes non-réponses... ce que j'ai écrit plus haut en est l'explication : beaucoup de temps à être maman, et peu à être blogueuse, et un désintérêt passager pour le métier et ce qui s'y rattachait.)
Tout d'abord, retour sur l'année scolaire précédente.
Un jeu de l'oie autour de L'Odyssée
J'ai repris un projet avorté dans mon ancien établissement, et, miracle venant de moi, je l'ai mené à bien !
Le principe dans les grandes lignes : réaliser un jeu de l'oie avec un plateau de 26 cases (en gros), comprenant des cases "épreuves", des cases "quizz" (piocher une question dans une pile), et des cases vides, en s'appuyant au maximum sur l'histoire de L'Odyssée , l'esprit général et les éléments culturels du texte.
J'ai tout simplement compris qu'il fallait changer les paramètres de départ : plutôt que de constituer de petits groupes de 3 ou 4 élèves, leur confiant la réalisation d'un jeu de A à Z (dessins, préparations des questions et des épreuves, etc...), il est beaucoup plus adapté de travailler par effectif plus nombreux. J'ai profité de nos heures d'aide personnalisée en demi-classe. Chacun de mes demi-groupes (donc une quinzaine d'élèves) réalisait un jeu complet, et les rôles étaient répartis entre les élèves. Ainsi, certains étaient dessinateurs, d'autres calligraphes (pour tout ce qui devait être écrit à la main), d'autres concepteurs de questions, d'autres informaticiens (pour saisir puis mettre en forme les questions), et enfin, dernier groupe à ne pas négliger, les bricoleurs (pour découper, coller, fabriquer les pions, les dés...).
Concrètement, nous avons consacré 6 séances d'AP, chaque séance se déroulant ainsi :
1°) Une première phase collective : chaque semaine, le groupe entier se mettait d'accord sur quelques épreuves du parcours. Cela consistait à faire récapituler aux élèves les étapes du voyage d'Ulysse (par exemple, à la première séance : de quelle ville part Ulysse ? Quel est le premier peuple qu'il rencontre ?) et, à chaque fois, de leur demander si cette étape était adjuvante ou opposante pour le héros. Une fois les réponses obtenues, trois élèves au maximum proposaient une épreuve : reculer de trois cases, relancer le dé, accomplir un gage... On votait à main levée pour choisir l'épreuve, je la transformais en consigne claire et courte, et un secrétaire de séance la recopiait sur une feuille de route.
Intérêt pédagogique de cette phase : j'ai essayé de guider les élèves pour que l'épreuve choisie soit la plus adaptée possible à l'esprit de l'épopée. Poussés à la réflexion, les élèves ont ainsi eu de jolies idées : sur la case départ, faire un trois pour avoir le droit de commencer (moi : "Mais, pourquoi un 3 ? Normalement, c'est plutôt un 6, dans les jeux, non ?" L'élève : "Ben, madame, c'est la case de Troie !") ; pour Charybde et Scylla, une épreuve en forme de dilemme (soit on choisit Scylla, et on recule automatiquement de 6 cases, soit on choisit Charybde, on lance le dé, et selon le résultat, on reste sur sa case...ou on retourne à la case départ).
2°) Une seconde phase individuelle : chaque élève avance dans le rôle qui lui est confié. Les dessinateurs viennent chercher sur une table de petites cases découpées sur lesquelles ils dessinent la scène, les calligraphes recopient les épreuves directement sur le plateau, les concepteurs de questions les rédigent au brouillon puis les confient aux informaticiens qui les tapent à l'ordinateur (un ordinateur suffit, on peut travailler dans une salle de cours ordinaire si elle est équipée d'un poste pour le professeur), et les bricoleurs bricolent ! Evidemment, les rôles peuvent varier à la marge si certaines tâches demandent plus de travail que d'autres.
Intérêt pédagogique : permettre à chaque élève de s'accomplir dans quelque chose qui lui correspond. Généralement, les dessinateurs et les bricoleurs sont très fiers (et aussi très talentueux : j'ai eu des scènes superbes et détaillées, et des pions en origami miniatures absolument bluffants !). Il faut aller les voir régulièrement pour les amener, là aussi, à suivre de près le récit étudié : on ne dessine pas les Sirènes avec une queue de poisson, on relit le texte pour représenter Scylla, on fait des recherches pour savoir à quoi ressemblerait le lotus des Lotophages... Même chose pour les questions : j'ai fini par créer des catégories (vocabulaire, culture, oral...) en proposant des modèles, sinon les élèves partaient dans tous les sens, ou posaient tous les mêmes questions (Comment écrit-on anthropophage ? De quelle année date L'Odyssée ?) ( et comment leur faire comprendre que cette dernière question n'a pas de sens dans le contexte !...)
Enfin, le plus gros travail fut de finaliser l'objet-jeu : là, je reconnais, c'est Bibi qui s'y est collée... une soirée de boulot à en avoir le tournis à force de chercher le bon dessin qui va sur la bonne case, d'imprimer les bonnes questions qui vont avec le bon jeu... Je m'étais (comme toujours) compliqué la tâche car je voulais que chaque jeu (plateau + pions + dés + questions) soit réalisé en plusieurs exemplaires pour faire jouer les élèves par petits groupes de 4 élèves maximum.
Une fois la réalisation terminée, la dernière séance est évidemment consacrée au jeu. Je n'avais pas trop idée du temps d'une partie ; il s'est avéré qu'en une demi-heure, les élèves finissaient facilement. Chaque petit groupe de 3 ou 4 a donc fait une première partie avec un jeu qu'ils n'avaient pas réalisé, puis une deuxième partie avec leur propre jeu. On a ensuite voté pour les meilleurs jeux : le plus joli, et le plus drôle concernant les épreuves.
Bilan de l'activité
Un travail lourd, tant dans les heures consacrées en classe (6 semaines d'AP sans pouvoir travailler autre chose, c'est beaucoup) que dans les heures passées ensuite à finaliser l'ensemble. Un objectif atteint : donner goût aux élèves de créer quelque chose collectivement à partir d'un livre étudié en classe. C'est sûr, ils se sont bien amusés, à la fois à préparer, puis à jouer. En revanche, je n'ai pas réussi à les canaliser suffisamment sur le texte. Je ne peux donc pas affirmer que les élèves ont mieux compris L'Odyssée avec cette activité (ce qui était quand même l'objectif initial).
J'ai donc choisi de ne pas reconduire le projet cette année ; en revanche, je dispose maintenant de quatre beaux plateaux de jeux dont je n'hésiterai pas à me servir avec mes élèves actuels pour lancer ou clore (j'hésite) ma séquence sur les aventures d'Ulysse.
"Mon petit livre sonore", une collection Didier Jeunesse
D'une petite Mu à une encore plus petite Mu
Chut ! Je lis...
Dans mes toilettes, sur le canapé avec maman Mu, par terre au milieu de mes jouets, avec ou sans musique, en couleurs ou en douceur, des livres de tout-petit ou des livres piqués chez les grands...
Je ne suis pas MiniMu pour rien.
J'ai pas mal accaparé Maman Mu depuis bientôt deux ans... et si je la laissais reprendre la plume, un petit peu ?
Elle a tant à dire ! Si elle a lu moins de "livres pour les grands", et même de "livres pour les jeunes", elle a découvert en revanche beaucoup de choses pour les petits. Et elle a envie de vous en parler. Tout en continuant de plumer sur tout et rien, et sur tout ce qui la passionne : la musique, l'éveil, le jeu, la culture, l'éducation.
A sa plume !
Andreï Makine : L'archipel d'une autre vie
Comme je lis en décalage les romans de la rentrée littéraire 2016 (ce que j'expliquais il y a peu), j'ai donc retrouvé dans ma bibliothèque ce roman qu'on m'avait offert à Noël et que je n'avais pas encore lu.
J'ai eu du mal à entrer dedans. Peut-être à cause du récit enchâssé ; le roman s'ouvre avec un premier narrateur dont je n'ai toujours pas saisi exactement ni l'âge (vraisemblablement plutôt jeune, étudiant peut-être), ni la nationalité (même si je suppose qu'il est russe), à peine l'activité (il apprend la géodésie en Extrême-Orient russe, au bord de la mer d'Okhotsk). Il se lance en exploration dans la taïga, seul, sur les traces d'un intrigant voyageur croisé au hasard à la descente d'un hélicoptère. Finalement ce voyageur, sachant très bien qu'il est suivi, finit par provoquer la rencontre avec le jeune géodésiste, et un long récit commence alors. Pavel, le voyageur, est un ancien soldat qui s'est lui aussi, il y a de longues années, retrouvé dans la peau du traqueur : avec quatre compagnons, il est chargé de retrouver dans la taïga un criminel qui s'est échappé de l'une des prisons du Parti.
A partir du moment où le récit de cette traque-là se met en place, j'ai été captée. On comprend vite que les sentiments des cinq soldats à l'égard du fugitif sont partagés ; certains sont en quête de succès, de mérite, de récompense, voire sont excités par cette chasse à l'homme, tandis que d'autres commencent à prendre en pitié cet évadé qui semble à certains moments plus misérable que dangereux. Pavel, lui, est traversé par ces différentes pensées. C'est lui seul qui ira jusqu'au bout, ses compagnons étant contraints d'abandonner les uns après les autres, pour cause de blessures. Au cours de cette traque, il ira de découvertes en découvertes : sur sa proie, mais aussi sur lui-même, voire sur la vie. La vie dans ses bons moments, qui tire à Pavel cette réflexion, suite à une veillée avec ses compagnons : "Cette nuit-là - je le comprendrais plus tard - nous étions au plus près de ce qu'il y avait en nous de meilleur." Et dans les pires aussi, comme en parle Vassine, le soldat dont Pavel se sent le plus proche, qui a été emprisonné, après avoir perdu sa femme et son fils pendant la guerre : "Libéré, j'ai compris que le plus simple était de me tuer. Je ne l'ai pas fait, car il m'arrivait de faire des rêves où je voyais ma femme et notre garçon. Je n'étais pas sûr de garder cette chance après la mort."
Un roman que je n'aurais pas choisi de moi-même, mais qui m'a plongée, l'espace de quelques deux cent cinquante pages, dans un univers qui m'était méconnu, dur et intense à la fois, et qui fait réfléchir sur la vie et ses choix.
Shalala cut papers
© Valentine Louafi
Cela faisait longtemps que la petite Mu ne vous avait pas présenté des talents à découvrir... Aujourd'hui, c'est le tour de Valentine Louafi, une artiste spécialisée dans le paper cutting, ou papier découpé en français. Car, oui oui, ce que vous voyez sur la photo ci-dessus, ce n'est ni du dessin, ni de l'encre, ni de la gravure, mais bien une feuille de papier, noire ou blanche selon les oeuvres, découpée d'un seul tenant (et j'insiste là-dessus !) de manière à rendre visible la couleur opposée placée en dessous, et, ainsi, de faire apparaître une image. Si vous tenez l'une de ces oeuvres entre vos mains, vous pouvez vérifier : une seule et unique découpe, aucun raccord. La minutie et la précision des traits sont impressionnantes.
J'ai la double chance de compter une artiste-qui-coupe-du-papier parmi mes amies, une amie d'enfance de mon mari plus précisément, et d'avoir un mari attentionné et expert en surprise. J'ai ainsi eu le plaisir de recevoir, à Noël, un Snufkin (personnage musicien de mes Moumines adorés) encadré, dont mon chéri avait trouvé le modèle sur un petit agenda japonais, que j'avais montré ici.
Et il y a quelques semaines, on monte d'un cran, avec un genre dans lequel l'amie en question s'est rendue experte : les portraits. A force de fredonner Renaud à longueur de temps depuis l'annonce de ma grossesse, mon chéri de mari a eu l'idée de "m[ettre] sur l'mur / Au-dessus du berceau / Une photo d'Arthur / Rimbaud"...
Le berceau est plutôt un lit à barreaux, mais Rimbaud, lui, est vraiment Rimbaud, et alors là, matez un peu le travail d'orfèvre que notre amie artiste a su réaliser à partir de cette célèbre photographie du poète. Elle a ajouté un effet de profondeur en plaçant une feuille dorée un peu en arrière du papier découpé : quand le soleil entre dans la chambre et vient caresser le mur, Arthur s'illumine, et nos yeux aussi !
Détail de la découpe :
Un magnifique cadeau, doublé d'un message très émouvant que Valentine a publié sur sa page Facebook, en parlant de son amitié avec mon mari et de l'arrivée de notre puce.
Valentine Louafi a exposé en France, en Angleterre, aux Etats-Unis... Vous pouvez la suivre sur Facebook, donc, ainsi que sur Instagram. Si vous voulez offrir à un proche un cadeau unique, n'hésitez pas à lui passer commande, le travail est parfait et la livraison très pro. C'est quand même bientôt Noël ! Je dis ça, je dis rien...
Sylvain Tesson : Berezina
Ah, Sylvain Tesson ! Découvert il y a quelques années dans une émission spéciale de La Grande Librairie (oui, bon, vous allez croire que j'ai des actions à France 5 à force de vous parler de cette émission, mais c'est ainsi !) où il avait lu, en guise de livre préféré, des aphorismes d'un auteur que j'ai été incapable de retrouver malgré mes recherches. Un choix qui détonait parmi les autres propositions, et qui m'avait donné envie de découvrir le personnage. Ma première rencontre avec son écriture a été Dans les forêts de Sibérie, et ce fut un éclair. L'écrivain de la nature et de la culture entrelacées, désormais, pour moi, ce fut lui. J'ai ensuite essayé des nouvelles, S'abandonner à vivre : moins convaincue. Abandonnées en cours de route. Puis j'ai renoué avec sa magie avec Sur les chemins noirs, après avoir découvert (chez Yann Barthès cette fois ! Je varie les plaisirs télévisés !) qu'il avait connu un terrible accident, le privant temporairement de ses jambes. Et comme Sylvain Tesson ne fait jamais rien comme tout le monde, en guise de rééducation, il a traversé la France sur des chemins oubliés. Ben oui. Et ça donne aussi un livre génial. Je ne me suis pas encore procuré son journal, Une très légère oscillation, mais j'ai hâte, j'ai hâte ! Et puis il y en a tellement d'autres que j'aimerais découvrir...
Aujourd'hui, c'est de son avant-avant-dernier récit de voyage (avant les Chemins noirs et le journal, donc) que je veux vous parler. Vous le savez déjà si vous avez parcouru régulièrement les colonnes de ce blog, j'aime les pays froids, leur neige, leurs grands espaces. Il était donc logique qu'après avoir séjourné au bord du lac Baïkal avec Tesson, je l'accompagne sur la route de la retraite de Russie. Encore un projet original conçu dans cet esprit atypique : rouler sur les traces de Napoléon, dans son retour de Moscou à Paris. Tesson, lui, le fait en side-car (un Oural, bien sûr), avec quelques amis, des Français et des Russes. Cette fois-ci, c'est un dialogue entre le présent et le passé, le voyage intérieur et le voyage lu, l'Histoire et la géographie, que nous livre Tesson. Il y a bien sûr des lectures dont il nous livre de nombreuses citations, mais leurs auteurs ne sont pas des écrivains de Littérature, mais des compagnons de voyage de Napoléon, notamment son grand écuyer Caulaincourt. Et j'avoue que, moi qui ne suis pas une grande lectrice d'essais historiques (exception faite pour certains sur la période médiévale qui me passionne), j'ai pris plaisir à plonger dans les détails les plus précis de ce célèbre échec de l'Empereur. Evidemment, cela permet à Sylvain Tesson de nombreuses réflexions sur le choc des cultures (les Russes face aux Français), l'humanité et l'animalité (il y a de très belles pages notamment sur le sort réservé aux chevaux pendant les batailles), et le pouvoir du voyage sur la méditation :
"J'en étais persuadé : le mouvement encourage la méditation. La preuve : les voyageurs ont toujours davantage d'idées au retour qu'au départ. Il les ont saisies, chemin faisant. Leurs amis en font d'ailleurs les frais, cela s'appelle les récits de mon voyage. [...] Quand on se "branle" (selon l'expression de Montaigne pour désigner le voyage), l'échauffement du corps produirait de l'énergie spirituelle et contribuerait au jaillissement des idées."
Oui, parce que, cette fois-ci (contrairement aux Forêts), j'ai pensé à prendre des notes ! Indispensable pour retrouver ce style inimitable, mêlant réflexion, culture (Tesson serait-il plus cultivé que la moyenne ?...) et humour décapant. Allez, je vous propose d'autres morceaux choisis. Pour sourire, et s'instruire en même temps :
"En Russie, on compte en grammes l'alcool que l'on boit. Un petit verre : 50 grammes. Un gros verre : 100 grammes. Une matinée bousillée : 500 grammes."
"[Le Mal napoléonien] Titre du brillant (mais sujet à débat) livre de Lionel Jospin [...], lequel partage avec l'Empereur le fait d'avoir raté une campagne."
Pour réfléchir :
"Un haut lieu, c'est un arpent de géographie fécondé par les larmes de l'Histoire, un morceau de territoire sacralisé par une geste, maudit par une tragédie, un terrain qui, par-delà les siècles, continue d'irradier l'écho des souffrances tues ou des gloires passées. C'est un paysage béni par les larmes et le sang."
Et pour la beauté de la formule :
"La lumière de l'été, brouillée par la vapeur, allaitait jour et nuit les côtes de Baffin."
Sylvain Tesson, c'est tout ça à la fois, et bien plus encore. Ses livres, il faut les dévorer et les savourer en même temps - difficile exercice. Ils sont toujours trop courts, mais laissent une saveur bien au-delà de la dernière page. Un bien grand auteur, qui semble avoir tout compris à l'écriture. Si avec ça vous ne vous lancez pas !...
Des naissances
Le 15 octobre, deux parents sont nés...
La petite Mu est devenue une petite Maman au moment où une toute petite mini-Mu a vu le jour.
C'est le début de l'incroyable aventure d'une famille qui se construit. Et, évidemment, c'est au milieu des pages, des mots et des images qu'elle se tissera de semaine en semaine, de mois en mois, d'année en année.
Quant à vous, chers lecteurs, vous risquez de voir fleurir chez la petite Mu de plus en plus de livres pour tout-petits...
En attendant, un souvenir d'une ancienne lecture, que j'ai offert à une amie quand elle est devenue maman : un bel album sur la parentalité écrit par Didier Jean et Zad , un compositeur et une peintre qui se sont associés pour créer plein de chouettes livres pour enfants, et illustré par Sandrine Kao, que vous trouverez sur ce blog en tant qu'écrivaine, avec Le banc.
Je vous laisse, j'ai un biberon en attente !...
Lois Lowry : Le fils
Je parlais du Passeur il y a peu, pour "Science-fiction et contre-utopies en dix romans". Et j'avais plumé sur ce roman il y a longtemps.
J'ai dorénavant lu ce que je croyais être le deuxième tome (erreur signalétique de ma médiathèque). En fait, il s'agit de la fin d'une tétralogie, commencée donc avec Le passeur en 1994, prolongée avec L'élue en 2000 et Messager en 2004. Mais, de fait, Le fils (paru en 2014) peut se lire directement après Le passeur - ce que j'ai fait donc. On y retrouve en effet, en tout cas dans la première partie du roman, la même société imaginaire dans laquelle l'auteure nous plongeait en 1994. Une société, rappelons-le, où chaque étape de la vie des habitants est réglée à l'avance, avec minutie, par un conseil de sages qui se veut bienveillant. A douze ans, chaque adolescent se voit donc attribuer son futur métier. Dans le premier tome, l'attribution de Jonas, le personnage principal, avait surpris tout le monde, car il était devenu le nouveau "passeur", un rôle joué par un seul individu, une fonction très mystérieuse. Je n'en dis pas plus évidemment, pour ceux qui ne connaissent pas encore ce best-seller de la littérature jeunesse.
Dans Le fils, le personnage principal est Claire, et on lui a attribué le rôle de mère porteuse ; un métier certes indispensable car c'est la seule voie de procréation acceptée dans cette société, mais considérée comme légèrement honteuse et rabaissante. Claire accouche donc de son premier "produit" - c'est ainsi qu'on appelle les bébés - mais l'accouchement ne se passe pas comme il le devrait, et on lui ôte son attribution, pour la nommer dans une usine de biologie alimentaire, où on féconde des poissons ; ainsi, son destin est toujours lié aux naissances et à la reproduction de la vie. Seulement, très vite, Claire se rend bien compte qu'elle ne vit pas les choses de la même manière que les autres habitants : ils sont détachés de tout, n'éprouvent pas de sentiments forts, alors qu'elle-même est bouleversée par le fait d'avoir été séparée de son bébé. Elle cherche alors à le revoir, dans le centre où il est élevé avec les autres "produits". A partir de là, les événements vont s'enchaîner...
Je suis obligée de spoiler légèrement la suite : le roman est construit en trois parties. Ce que je viens de raconter ne concerne que la première. Dans les deuxième et troisième, on retrouve Claire dans des univers complètement différents : des villages qui semblent hors du temps, où les habitants vivent au rythme de la nature, bien loin de la société policée dans laquelle Claire a grandi. L'ambiance change totalement, et s'y ajoute des éléments qui touchent au merveilleux. J'ai trouvé cela un peu trop désordonné dans un premier temps ; je préférais que cette série reste dans cet univers d'anticipation, sans détail surnaturel. Et puis la narration fait son oeuvre, on s'attache bien sûr aux personnages, on suit le destin de Claire avec enthousiasme, et on ne lâche plus le livre jusqu'à la fin.
Je dirais que ce dernier opus ne surpasse pas Le passeur, dans sa création d'un univers très particulier, mais le prolonge agréablement, et permet aussi d'en approfondir certains aspects. Et il y a bien sûr des croisements entre les deux histoires, qu'on découvre avec plaisir. On se surprend à penser "Ah, mais oui ! C'était comme ça dans Le passeur !"
Pour finir, j'ai découvert récemment (en lisant le psychothérapeute Christophe André, pour tout vous dire) que l'invention des fameuses pilules anti-sentiments (évoquées dans Le passeur, mais bien plus développées dans Le fils) est en fait l'héritage du Meilleur des mondes d'Aldous Huxley. L'auteur a en effet créé le soma, cette drogue qui efface les états d'âme dérangeants :
« Le monde est stable, à présent. Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu’ils veulent, ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir. Ils sont à l’aise ; ils sont en sécurité ; ils ne sont jamais malades ; ils n’ont pas peur de la mort ; ils sont dans une sereine ignorance des passions et de la vieillesse ; ils ne sont encombrés de nuls pères ni mères ; ils n’ont pas d’épouses, pas d’enfants, pas d’amants, au sujet desquels ils pourraient éprouver des émotions violentes ; ils sont conditionnés de telle sorte que, pratiquement, ils ne peuvent s’empêcher de se conduire comme ils le doivent. Et si par hasard quelque chose allait de travers, il y a le soma. »
Un beau roman jeunesse, donc, qui conduit le lecteur vers d'autres lectures et d'autres réflexions.