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La petite Mu qui plume
14 novembre 2013

Stefan Mani : Noir Océan

Challenge Petit Bac 2013 : 1ère grille! : une couleur en littérature scandinave

"Ensuite, direction le centre-ville, où Jon Karl possède un appartement au dernier étage d'un immeuble récent du quartier de Skuggahverfi, le quartier des Ombres. Là, il bourrerait tout le monde de coke et baiserait ces deux pouliches jusqu'à ce que le foutre coule de leurs yeux brillants de larmes. "

Voilà ! Vous venez de faire la connaissance de Jon Karl, alias le Démon, l'un des protagonistes de ce polar bien noir en eaux salées. Ca donne envie, hein ?

Noir Océan, roman islandais qui a reçu un prix, est un récit très foisonnant. Le principe est assez simple, et efficace : on réunit neuf marins, ayant tous un passé trouble et des poids sur la conscience, dans un navire en partance pour le Surinam. On en choisit cinq pour fomenter une mutinerie - en effet, la compagnie a prévu de les licencier sitôt rentrés au port, ils prévoient donc de couper les moteurs en pleine mer pour mettre la pression sur le capitaine -, on en remplace un par un truand sans pitié, on fait se lever une tempête terrible, et on laisse tout ce petit monde s'entretuer gentiment. C'est assez crade, sinistre et tout ce que vous voulez, mais plutôt réjouissant, car on relève çà et là quelques traits d'humour (forcément noir) bien placés. C'est franchement farfelu à certains moments, à force de coïncidences ou de rebondissements abracadabrantesques. Un passage me semble assez révélateur de ces caractéristiques (ATTENTION : SPOILER ; ce passage révèle certaines choses que l'on ne sait pas au début du roman) : 

"Pour commencer, on l'attire sur ce navire et on le plante dans cette cabine, comme s'il n'y avait rien de plus naturel. Ensuite, ce commandant en second vient lui raconter que tous les hommes à bord le prennent pour son beau-frère et qu'il vaut mieux les laisser le croire, puisque, de toute façon, il occupe son poste. Puis, voilà que le même commandant en second lui verse cinq millions pour se prêter à ce jeu stupide. Il y a des hommes à bord qui se baladent avec des fusils démontés à la faveur de la nuit pendant que d'autres s'abrutissent à fumer du cannabis et racontent des histoires à dormir debout sur les dieux antiques et le destin de l'humanité. Le commandant se pointe en robe de chambre à la passerelle dans l'unique but de découvrir qui est allé aux chiottes et à quel moment alors que son second s'efforce de l'embrouiller en accusant Jon Karl d'un truc dont il ne comprend même pas la nature. [...] Et maintenant ce satané téléphone par satellite est bousillé, quand Jon Karl se rappelle justement qu'il doit passer un coup de fil chez lui, alors là, la coupe est pleine ! [...]
C'est déjà assez foutrement déplaisant pour lui de se retrouver comme un naufragé surnuméraire à bord de ce bateau en compagnie d'hommes qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam. Même si tous les individus en question ne sont pas forcément en proie à des errements philosophiques, à des doutes sur leur santé mentale et sur celle de leurs compagnons, même s'ils ne se faufilent pas tous dans la nuit en s'accusant constamment de trahison, de fausseté ou de négligence, certains possèdent l'un de ces traits de caractère et d'autres les ont tous sans exception."

Le roman se veut aussi une réflexion sur la condition humaine, la notion de destin, les relations entre les hommes. Il se fait de plus en plus philosophique au fur et à mesure qu'on avance dans la lecture, et même carrément mystique sur la fin - qui m'a laissée perplexe, je dois le dire. 

Au final, c'est un bon huis clos, qui aurait cependant, à mon goût, gagné à être plus réaliste et moins psychédélique. 

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26 octobre 2013

Alexandre Jardin : L'île des gauchers

Cela fait bien deux mois que j'ai terminé la lecture de ce petit ovni de la littérature contemporaine. Ovni, parce qu'il est très difficile, dans les premières pages, de deviner qu'il s'agit d'une oeuvre de la fin du XXe siècle (1992 très exactement). L'histoire commence en 1885, et le style adopté par Alexandre Jardin colle parfaitement à l'époque, des tournures syntaxiques et du vocabulaire sophistiqués, comme on n'en voit plus guère aujourd'hui en littérature. Seuls quelques mots d'une crudité un peu trop moderne sèment le doute au fur et à mesure, mais l'ensemble est très bien fait. On est en plein trompe-l'oeil, dans un roman de l'illusion, qui raconte l'histoire d'une utopie et qui veut nous y faire croire.

A la fin du XIXe siècle, donc, un groupe d'utopistes français, menés par le capitaine Renard, père de l'écrivain du même nom, aurait créé, sur une île du Pacifique jusqu'alors déserte, une société idéale fondée sur l'Amour. A savoir, une société où l'on apprend à aimer vraiment, et à dépasser les affres des passions trop éphémères pour installer une relation de couple sereine, tendre, et aiguë en même temps. Le héros de notre histoire, lord Jeremy Stork ("Cigogne" en français), cherche justement à ranimer la flamme entre lui et son épouse, Emily. Qu'à cela ne tienne ! Il embarque femme, enfants et valet de chambre à bord d'une montgolfière, direction l'autre bout du monde. Puis commence une nouvelle vie, non dépourvue de difficultés et d'obstacles à surmonter, mais tellement plus intense et plus heureuse !

C'est presque le début que j'ai préféré : le portrait de ce lord Cigogne prêt à tout pour conquérir la belle Emily est savoureux et plein de fantaisie. Alexandre Jardin mime un humour anglais, "pince-sans-rire", à merveille. La suite est intéressante, mais plus sérieuse, car elle se veut une véritable réflexion sur l'amour et le couple, en passant par des questions telles que l'importance accorder à la fidélité, les rituels à ne pas oublier pour entretenir la passion, la question incontournable d'une sexualité épanouie... Mais le roman va au-delà encore : cette "île des gauchers", c'est aussi l'envers de la civilisation "classique", droite et guindée dans ses habitudes sclérosées. C'est aussi pour chercher une liberté inédite que lord Cigogne emmène sa famille loin de leur Angleterre natale. 

On peut lire ce roman comme une belle histoire d'amour, avec ses hauts et ses bas, ses multiples rebondissements. On peut aussi le lire comme un récit de voyage, avec ses descriptions dépaysantes, ses anecdotes, ses réflexions sur l'Ailleurs et l'Autre. On peut aussi, tout simplement, s'amuser, car vraiment, le style est fin et arrache de nombreux sourires. Bref, c'est une réussite. N'ayant rien lu d'autre d'Alexandre Jardin, je ne saurais comparer, mais cela me donne envie de creuser la question. 

A lire, un entretien avec l'auteur pour les éditions Gallimard. 

6 octobre 2013

Herbjorg Wassmo : Un verre de lait, s'il vous plaît

Challenge Petit Bac 2013 : 1ère grille! : un aliment/boisson en catégorie littérature scandinave

C'est un livre assez "coup de poing" que j'ai lu pendant la fin de mon séjour scandinave. Dans les premiers chapitres, l'héroïne, Dorte, jeune lituanienne vivant dans son village avec sa mère et sa grande soeur, respire encore l'innocence, même si elle doit faire face à un événement difficile : la mort de son père. Ses repères en sont malmenés, et, quand une vague copine lui propose de partir pour Stockholm afin d'y travailler - en théorie, comme serveuse -, elle accepte rapidement. Elle n'y voit que l'argent qu'elle pourra envoyer à sa mère, et qui lui permettra de ne pas être expulsée par son propriétaire. Cela semble assez gros, elle ne pose finalement que peu de questions à sa copine sur la nature exacte et les conditions de ce travail (ou plutôt, elle en pose, et ne reçoit que très peu de réponses, mais elle prend quand même la décision de partir) ; mais après tout, n'est-ce pas comme cela que commencent de nombreuses histoires tragiquement banales, comme celle qui arrive à Dorte ? 

Car, bien sûr, le lecteur devine assez vite que, si Dorte sera bien au service d'une cohorte de clients, ce ne sera pas pour leur servir à boire - pas de la manière qu'elle imagine. L'expression de "descente aux enfers" est galvaudée, mais il n'y en a pas de plus précise pour décrire ce que Dorte va connaître, violée le premier soir de son voyage, ballotée de maquereaux en clients, de compagnons en prédateurs. 

Comme le soulignent quasiment toutes les critiques lues ici et là, Herbjørg Wassmo semble se complaire dans un style brutal, presque "sans style", d'ailleurs. Elle décrit toutes les scènes crues avec des détails qui ne laissent rien sous silence. Le lecteur se prend évidemment cette sinistre réalité en pleine face. C'est glauque du début à la fin, mais on tourne quand même les pages. On s'attache à cette héroïne pourtant agaçante de naïveté, au début de l'histoire. On devient voyeur, on a envie malgré soi de savoir jusqu'où l'horreur peut aller, mais, au fond, on espère quand même un rayon de soleil, un peu de lait pour calmer les plaies. 

Ce n'est pas un chef-d'oeuvre littéraire à mon sens, mais, au moins, une oeuvre réussie dans l'objectif de déranger, de dénoncer et de capter le lecteur jusqu'au bout : pari tenu. 

Peut-être m'essayerai-je un jour à ses trilogies-sagas (Tora, Le livre de Dina) qui en ont fait l'une des auteures les plus lues en Norvège. 

27 août 2013

(Nadine) Testament à l'anglaise

(Ca faisait longtemps : voici un nouvel article par Les lecteurs qui plument !)

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Janvier 2013 : Je remporte, à ma grande surprise, le concours de la petite Mu. Quelques semaines plus tard, m’attend à la poste un gros colis contenant la fameuse première mallette du plumeur, bien garnie, et en particulier par mon roman choisi : Testament à l’anglaise, de Jonathan Coe. J’avoue qu’en pleine année scolaire, en lycée, l’épaisseur dudit roman m’a un peu refroidie, et j’ai donc dû remettre cette lecture aux prochaines longues vacances. 10 jours en Andalousie auront donc été parfaits pour m’y adonner. 

Découverte d’un auteur jusque-là inconnu pour moi, et quelle découverte ! J’ai pu, comme la petite Mu, adorer le style roman policier qui commande ce livre ; me délecter de l’humour grinçant caractéristique de la fresque familiale qui y est dépeinte, dans laquelle les personnages sont plus noirs les uns que les autres ; et attendre avec impatience un dénouement préparé par un suspens bien mené. Le chapitre final, sorte de Cluedo dans un château loin de tout, est une pure merveille. J’aurais sans nul doute conseillé ce roman à bon nombre de mes amis, si un petit grain de sable ne venait enrailler la machine à la toute fin… Les cinq/dix dernières pages, scellant le sort du personnage principal, également narrateur, m’ont paru « tirées par les cheveux ». Il me semblait que la boucle était bouclée, sans avoir besoin de rajouter un ultime tableau, de trop. Petite déception finale donc, après plusieurs jours de délectation, un peu dommage. Si je l’avais su, j’aurais interrompu ma lecture avant la fin, mais ça, on l’ignore toujours…

27 août 2013

La terre des mensonges

Ce roman-là ne pourra malheureusement pas rentrer dans le challenge petit bac, mais il a accompagné très agréablement mes premiers jours en Norvège. 

Je l'ai acheté et commencé il y a plus de deux ans (j'en parlais d'ailleurs ici), sans accrocher. Et, comme cela me le fait parfois, une fois la relecture entamée, je me demande comment j'ai pu ne pas aimer ! 

Une famille, six membres, peu d'unité. Trois frères qui ne se parlent plus : l'un qui a quitté la Norvège pour Copenhague pour s'éloigner le plus possible d'une famille qui n'a jamais accepté son homosexualité, le deuxième qui exerce le métier bien à part d'employé des pompes funèbres et côtoie donc la mort au quotidien (l'histoire commence avec lui, ce qui donne tout de suite la couleur, si l'on peut dire), le troisième qui élève des cochons dans la ferme familiale. Les parents : un père fantôme, qu'on n'entend jamais, dont l'existence croupit au fond de la ferme, et une mère qui vient d'avoir une attaque et dont les jours sont peut-être comptés. C'est l'annonce de cet évènement qui oblige le fermier à contacter ses frères, ainsi que sa propre fille, qu'il n'a vue que quelques fois seulement dans sa vie. 

Evidemment, avec un titre pareil, il sera question de secrets. De terre, aussi, car c'est aussi un roman sur le lien géographique. La campagne de Trondheim sert de décor principal à l'histoire, puisque c'est là qu'est bâtie la ferme d'où tout part, mais quelques échappées vers Oslo et Copenhague permettent de souligner les contrastes, et de réfléchir à la question suivante : l'individu se construit-il par rapport au lieu où il vit, ou à celui d'où il vient ? 

L'attente de révélations qui ne viendront qu'à la fin, la narration qui prend pour cible tous les personnages successivement, les personnalités et les vies très différentes des personnages, le thème du lien, tout cela donne beaucoup d'intérêt à ce premier tome d'une trilogie. Et voilà, à la fin, on est mordus : on n'a qu'une envie, savoir ce que vont devenir les trois frères et leur fille/nièce, face à l'ultime secret, explosif, qui intervient dans les toutes dernières pages. Rendez-vous alors dans La ferme des Neshov, puis dans L'héritage impossible, que je me promets de lire au plus vite ! 

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27 août 2013

Roseanna

 

Challenge Petit Bac 2013 : 1ère grille! : un prénom en littérature scandinave


Pas grand-chose à dire sur ce polar-là. C'est assez daté : 1965 pour la première édition de ce premier roman d'une série rédigée à quatre mains par un couple, Maj Sjöwall et Per Wahlöö. J'en avais déjà lu un, Le policier qui rit, attirée par ce titre qui me rappelait le roman de Hugo (sans pour autant pouvoir dire, à la fin de la lecture, s'il y avait référence ou non), et je n'avais même pas eu envie de le plumer tellement il m'avait laissé peu de souvenirs. 

Le seul intérêt, peut-être, dans ces enquêtes de Martin Beck, c'est de montrer le travail des enquêteurs sous un jour réaliste et non romanesque, comme on a tendance à le montrer en littérature, au cinéma ou à la télévision. Une enquête, ça commence d'abord par une longue attente, comme le prouve "l'affaire Roseanna" : le corps d'une jeune femme retrouvé dans un canal. Pas de papiers d'identité, bien sûr, et aucune trace de commencement d'indices pour déterminer ne serait-ce que la nationalité de cette victime. Autant dire que, pour en arriver à retrouver le coupable, il va y avoir du boulot - et beaucoup de temps perdu (ça rappelle d'ailleurs un peu le roman de Mons Kallentoft que je venais juste de lire). On voit donc les enquêteurs, non en train de courir les rues pour mener des interrogatoires ou des perquisitions à tout va, mais au bureau, en réunion toutes les semaines, avec la même inutilité dans ces réunions que ce que connaissent nombre d'employés de bureau ! Bon, au bout d'un moment, on arrive quand même à quelque chose, et tout s'enchaîne alors assez vite. Mais, du coup, ça m'a presque paru trop facile. Je ne suis peut-être tout simplement pas habituée à ce genre de rythme, moi qui regarde pas mal de séries policières calibrées pour boucler une enquête en quarante minutes... Une bonne partie de la fin du livre est consacrée à l'appât mis en place pour prendre sur le fait le criminel possiblement récidiviste. Un peu plus d'action et de tension, donc, mais sans plus. 

Le but des deux écrivains était, d'après ce que j'ai pu lire ici et là, de révéler les bas-fonds de la société suédoise, à une époque où le pays était donné en modèle. Sans doute manquè-je donc de recul pour apprécier cet aspect-là, politique, de leurs romans. A mes yeux, ils font partie de ces romans qui ont l'air plus intéressants quand ils sont commentés sur un site ou un blog que quand on les lit vraiment... 

27 août 2013

Hiver

Challenge Petit Bac 2013 : 1ère grille! : un phénomène météorologique en littérature scandinave

Et voilà, nous arrivons à la partie scandinave de mon été ! 

Je suis partie en Suède et en Norvège (avec un passage par le Danemark) pour un road trip de presque quatre semaines. Evidemment, beaucoup d'activités diverses et variées étaient au programme de ce voyage de noces aux pays du Grand Froid (pas si froids, quand même, en tout cas pas en été !), mais il ne s'agissait pas de partir sans lecture. Je suis donc allée m'approvisionner à la médiathèque avant mon départ. Problème ; difficile, en médiathèque, de trouver des éditions de poche. Et nos valises sont déjà bien remplies ! Deux ouvrages n'ont donc pas fait partie du voyage et ont attendu sagement mon retour (et ils attendent encore, parce que, même revenue, je ne déborde pas de temps non plus...), à savoir Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de Selma Lagerlöf, et un polar d'Herbjorg Wassmo. A suivre, donc. Les trois gagnants qui ont eu le droit d'embarquer dans mes bagages sont deux polars, un assez vieux et un plus récent dont je vais parler ici, et un roman d'Anne B. Ragde que je possède depuis déjà longtemps. Les deux premiers se déroulaient en Suède, le dernier en Norvège, près de Trondheim, avec quelques chapitres à Copenhague. 

C'est vrai que c'était assez amusant de reconnaître des lieux, des types de paysages, ainsi que certains noms propres dont je n'aurais jamais compris le sens si je n'avais pas été sur place (comment deviner que Preems est le nom d'une station-service ?...). 

En avant pour les critiques ! 

Mons Kallentoft est l'auteur d'une tétralogie de polars dont les titres reprennent chacun le nom d'une saison. Tétralogie qui s'est transformée en *quintalogie (comment qu'on dit ??), si j'ai bien compris, puisque La cinquième saison est paru récemment. 

Comme c'était mieux de commencer par le commencement, Hiver est donc le premier tome des aventures de la superintendante Malin Fors, enquêtrice dans une ville moyenne de Suède, Linköping, pas très loin de Stockholm. L'affaire en question, ici, c'est le corps d'un homme obèse, retrouvé pendu à un arbre, nu, dans une atmosphère glaciale puisqu'on est en plein hiver. L'atmosphère compte beaucoup dans un polar, et, si cette ambiance hivernale n'est pas extrêmement originale dans un polar scandinave, elle colle cependant bien à l'histoire. 

Les policiers partent de rien : ils ne savent même pas qui est cet homme, s'il s'agit réellement d'un meurtre... alors, trouver un responsable, on n'en parle pas. Comme tout polar réussi, l'enquête est pleine de rebondissements. Des liens apparaissent de nulle part, un puzzle assez complexe se dessine petit à petit. Les passages centrés sur l'enquêtrice alternent avec d'autres dans lesquels on s'intéresse à des personnages plus secondaires, collègues, suspects ou témoins, et certains dans lequel c'est le mort qui parle directement à tous les acteurs de l'intrigue. Cela ajoute un peu de tension : on sent que le pendu s'impatiente et aimerait bien que les enquêteurs finissent le travail, et vite ! 

Plus sérieusement, c'est un bon polar, avec les ingrédients nécessaires à une réussite. C'est aussi un polar assez moderne, dans lequel on retrouve l'esprit de certaines séries télévisées. Une belle place est faite aux femmes - ce qui, en même temps, n'a rien d'étonnant en Suède - et à l'exploration de leur vie privée. Malin vit seule avec sa fille adolescente, elle a des histoires de coeur, se pose des questions sur ses propres démons : autant d'éléments aussi efficaces à la télévision qu'en littérature. 

Pas convaincue au début - car je le suis rarement avec les romans policiers -, j'ai cependant suffisamment accroché pour avoir envie de lire les quatre tomes suivants ! 

18 juillet 2013

L'inespérée

Une deuxième rencontre avec Christian Bobin, après le Carnet du soleil. Ou plutôt devrais-je parler de retrouvailles : dans ce recueil se trouve en effet un extrait que mon professeur de lettres de première nous a fait étudier. En voici les premières lignes : 

Le mal :
"Elle est sale. Même propre elle est sale. Elle est couverte d'or et d'excréments, d'enfants et de casseroles. Elle règne partout. Elle est comme une reine grasse et sale qui n'aurait plus rien à gouverner, ayant tout envahi, ayant tout contaminé de sa saleté foncière. Personne ne lui résiste. Elle règne en vertu d'une attirance éternelle vers le bas, vers le noir du temps. Elle est dans les prisons comme un calmant. Elle est en permanence dans certains pavillons d'hôpitaux psychiatriques. C'est dans ces endroits qu'elle est le mieux à sa place : on ne la regarde pas, on ne l'écoute pas, on la laisse radoter dans son coin, on met devant elle ceux dont on ne sait plus quoi faire."

Je me souviens avoir été assez marquée par ce texte (dont je vous laisse deviner le sujet - qui est-"elle" ?). Et en avoir fait une réécriture (exercice demandé par le prof) dans laquelle je parlais, cette fois-ci, du téléphone portable. Ô heures heureuses de la jeunesse. Bref. 

C'est avec de la nostalgie, donc, mais aussi beaucoup de plaisir que je circule à nouveau entre les lignes et les mots de ce talentueux poète. D'autant plus que je me retrouve parfois trait pour trait dans certains de ses portraits : l'éternelle mélancolique, la voyageuse immobile, celle qui aime "ne rien faire"... Il a les mots pour parler de l'intérieur (le sien, celui des autres), et aussi, comme je l'avais déjà vu dans Carnet du soleil, de l'amour. 

Je ne résiste pas, cette fois-ci, à renouer avec mon ancienne tradition des morceaux choisis. Choisis... si l'on peut dire, tant il y en avait que je voulais vous livrer ! 

Lisez, et savourez (rien que les titres sont déjà des invitations au voyage intérieur) : 

Une lettre à la lumière qui traînait dans les rues du Creusot, en France, le mercredi 16 décembre 1992, vers quatorze heures :
" Il faut que je vous fasse un aveu : longtemps je ne vous ai pas aimée. Longtemps je n'ai pas aimé vos soeurs. Un ciel délivré des ombres, c'était l'horreur pour moi. Je n'appréciais que les temps gris, et cela en raison de la mélancolie en moi, de l'insecte de mélancolie qui cheminait en moi comme dans une souche creuse, vermoulue. C'est une maladie qui affecte l'esprit d'autant plus sûrement qu'il craint alors de s'en défaire : le mélancolique est celui qui est persuadé d'avoir tout perdu - sauf sa mélancolie à quoi il tient farouchement. C'est la maladie de celui qui, dépité de n'être pas tout, choisit, par un revers enfantin de l'orgueil, de n'être rien, ne gardant du monde que ce qui lui ressemble : le morne et le pluvieux. Cette maladie m'est passée, madame."

La traversée des images
"C'est une infirmité que vous avez de ne pouvoir envisager un vouage autrement que comme un détour pour aller de chez vous à chez vous."

Le thé sans thé
"On a toujours trouvé très intéressant, très instructif ce qui vous donne des maux de tête incroyables."

Une fête sur les hauteurs :
"Elle vous parle d'elle, c'est-à-dire de ceux qu'elle aime. Nous sommes faits de cela, nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et de rien d'autre."

J'espère que mon coeur tiendra, sans craquelures (en référence à la dernière note du peintre Bonnard dans son dernier carnet : "J'espère que ma peinture tiendra, sans craquelures. Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l'an 2000 avec des ailes de papillon.")

La retraite à trente ans
"La couleur verte, en peinture, s'obtient par un mélange de bleu et de jaune. La couleur verte des pelouses privées n'est mélangée ni de bleu ni de jaune - mais de gris et de noir."

L'inespérée :
"Je reviens de Bretagne, mon amour. La Bretagne est une terre belle comme l'enfance : les fées et les diables y font bon ménage. Il y a des pierres, de l'eau, du ciel et des visages - et ton nom partout chantant dessous le nom des pierres, de l'eau, du ciel et des visages.

Cela fait bien longtemps que je ne sors plus sans toi. Je t'emporte dans la plus simple cachette qui soit : je te cache dans ma joie comme une lettre en plein soleil."


31 mai 2013

Carnet du soleil

Challenge Petit Bac 2013 : 1ère grille! : un phénomène météorologique en catégorie "autres"

Une fois n'est pas coutume, un peu de poésie sous la plume de la petite Mu. 

Il faut avouer que je ne suis guère poésie d'habitude. Ou, pour être plus exacte, j'en lis essentiellement pour des besoins scolaires professionnels. J'ai souvent découverts des recueils parce qu'on me les faisait lire en classe, qu'ils étaient au programme des concours, ou que moi-même je les faisais étudier à mes élèves. De fait, je connais surtout les grands auteurs, et peu les poètes contemporains. Ah, si, Jean-Michel Maulpoix (spéciale dédicace à My ^^), dont j'aime beaucoup l'écriture. 

Mais ce petit recueil (ou est-ce un seul et même long poème ? Je ne sais pas vraiment définir ce genre de forme poétique) m'a été offert (édition à l'ancienne avec les pages à découper), et j'avais déjà lu du Christian Bobin, à savoir les courts textes d'Autoportrait au radiateur, dont j'ai gardé un assez bon souvenir. 

Et c'est vrai que ce Carnet du soleil, avec ses fragments de pensée égrenés au fil des pages, est un doux moment de lecture. Pourtant, le poète y parle de Ghislaine, sa bien-aimée disparue trop tôt (toujours trop têt), celle dont il parlait déjà dans La plus que vive. Le lien entre les deux oeuvres est affiché : "Je t'avais promis dans la plus que vive de t'écrire dix ans plus tard. Quinze ont passé avant que je lance ce caillou de papier contre la fenêtre de ta maison au fond des cieux", écrit-il dans les premières pages de Carnet du soleil. C'est donc un rendez-vous, une promesse tenue, un livre de retrouvailles. On voit bien, par le choix des titres, que Christian Bobin a choisi de dire la mort avec les mots de la joie, de la chaleur, de la vie. Cette image de la vie brûlante, du feu d'artifice revient à plusieurs reprises, sans qu'elle soit vraiment connotée négativement. Il y a souffrance, mais cette souffrance fait partie de la vie :  "Il faut que la vie nous arrache le coeur, sinon ce n'est pas la vie." Les souvenirs qui restent sont suffisamment colorés et vifs pour illuminer les mots du poète : "Ton sourire était ce carnet du soleil que nul ne sait écrire."

Un autre deuil apparaît de temps à autre dans l'oeuvre, celui du père. Et peut-être aussi, en filigrane, son propre deuil, à anticiper : "Il faut faire son travail au mieux puis s'en détacher brutalement. La poussière couvrira tout. Il faut aller d'un pas plus léger que la poussière". Belle définition, aussi, du travail de l'écrivain. 

Christian Bobin a réussi ici, sans conteste, un livre plein de légèreté sur l'ode à la femme aimée et le travail de l'écrivain, peut-être même "un livre parfait à deux pages - les ailes du papillon."

29 avril 2013

Chocolat

Et voilà, le retour en arrière est terminé : je connais le passé de Vianne Rocher, l' (une des) héroïne (s) du Rocher de Montmartre. J'ai découvert Lansquenet-sur-Tannes, j'ai connu Anouk plus jeune, Roux pour la première fois, et beaucoup d'autres personnages. 

Sans grande surprise, Chocolat utilise les mêmes ingrédients que sa suite (du coup, c'est plutôt l'inverse) : un grand soin apporté à la création d'une atmosphère, à la description des sensations, et à l'élaboration d'un personnage fort et fragile à la fois. Autre point commun : le choix d'une narration à plusieurs voix. Mais la différence réside dans le choix de ces voix : celle de Vianne, bien entendu, qui prédomine, mais aussi celle d'un personnage "ennemi", le curé du village, forcément hostile à l'arrivée d'une étrangère dont le credo semble être la gourmandise et la volupté - en pleine période de carême, qui plus est ! J'ai trouvé astucieuse l'idée de donner la parole à ce personnage, mais finalement, je me suis demandé si cela n'ajoutait pas à une certaine lourdeur du roman : Joanne Harris a tenu à maintenir à distance tout manichéisme, à explorer la part faible de ce personnage pour bien montrer que rien n'est tout blanc ou tout noir (même pas le chocolat, qui peut être au lait). On obtient certes une ode aux plaisirs de la vie, un réquisitoire des doctrines trop rigides et des privations imposées par l'Eglise ou la société bien-pensante, mais cette ode pâtit peut-être d'un manque de subtilité. On a l'impression que tout est prévu dès le début pour une fin heureuse, que Vianne ne peut jamais rien rater. 

Oui, mais, me direz-vous, c'est une sorcière ! En effet, les références à la sorcellerie et autres formes de magie sont présentes dans cet opus ; de façon un peu plus discrète que dans le suivant. Là, pour le coup, la subtilité et l'équilibre sont de mise. 

Un roman, donc, malin et gourmand, dont les pages se tournent avec plaisir, mais qui, à mon goût, n'arrive pas à la profondeur des Cinq quartiers de l'orange, qui reste pour l'heure mon roman préféré de cette auteure. 

 

PS : Une tablette de chocolat offerte au premier qui trouvera, dans la critique ci-dessus, une référence à Top Chef (c'est la finale ce soir !!) ET une quasi-citation d'une chanson de Goldman !

Donnez-moi vos réponses dans les commentaires, mais attention : je n'accepterai que les réponses donnant les DEUX références : pas la peine, donc, de griller vos cartouches si vous n'en avez repéré qu'une seule ! 

20 février 2013

Le rocher de Montmartre

Voici que j'ai envie de faire quelque chose que je n'avais pas encore fait : plumer sur ce livre avant de l'avoir terminé. 

Pourquoi ? Parce que mes impressions de lectrice ont beaucoup évolué entre le début de ma lecture et le moment présent, où je suis en train de tourner les dernières pages. D'où l'idée de tenir une sorte de "journal de lecture", relatant ces modifications qui se sont opérées en moi. Il est trop tard pour le faire en direct puisque, comme je l'ai dit, je l'ai bientôt fini, mais je peux essayer de recréer ce journal a posteriori, avant de lire la fin et de vous livrer mes toutes dernières impressions. 

Petits rappels avant de me lancer dans ce journal : j'ai découvert Joanne Harris il y a peu avec les Cinq quartiers de l'orange (voir ici). J'avais adoré. Et voici que je retrouve dans mes étagères un livre non encore lu de cette même écrivaine. Maintenant, cette nouvelle histoire de femmes et de secrets de famille me plaira-t-elle autant ? Tout ce que je peux savoir au début, c'est que l'imaginaire fera bien plus souvent irruption dans ce deuxième récit que dans les Cinq quartiers... 

Début de ma lecture (la semaine dernière environ), tout premiers chapitres. Problème. Je ne comprends pas. Je suis obligée de relire trois fois les premiers chapitres avant de comprendre qu'il y a trois narratrices différentes : Zozie de l'Alba, Vianne Rocher et sa fille Anouk. J'ai été trompée par la quatrième de couverture, qui présente la première comme le seul personnage principale de l'histoire, mais aussi par le fait que les personnages se ressemblent beaucoup, et qu'il est donc difficile de les différencier dans un premier temps. 
Du coup, cette lecture commence sous de mauvais auspices. J'avance laborieusement. Je ne suis pas conquise comme je l'avais été, dès les premières pages, par les Cinq quartiers de l'orange

Fin de semaine dernière, moitié du livre. Maintenant que j'ai compris qui était qui, l'histoire me plaît. J'ai envie de savoir ce qui va arriver aux personnnages. J'aime ce mélange de réalisme et d'imaginaire, cette manière de montrer que la magie est une chose très banale qui peut se pratiquer en plein coeur de Paris. Je comprends aussi pourquoi les personnages se ressemblent. Ce ne sont pas des femmes ordinaires, et je me doute très vite que quelque chose de plus ou moins mystérieux les relie. 
Il n'empêche que je trouve le roman inégal. Certains passages sont vifs et beaux en même temps. D'autres traînent en longueur et on se demande s'ils ont une réelle fonction. On répète souvent les mêmes choses. Les réactions des personnages sont parfois trop prévisibles, ou bien, au contraire, on s'attend à ce qu'il se passe quelque chose, et ce quelque chose intervient des pages et des pages plus loin, sans pour autant qu'il n'y ait eu beaucoup d'éléments indispensables entre deux. 

Dimanche soir, une bonne partie de la deuxième moitié du livre. Ah, c'est amusant, on retrouve des lieux et des noms qui ne peuvent manquer de rappeler les Cinq quartiers... Coïncidence ? Clin d'oeil ? Peu importe, c'est assez agréable, on se sent en terrain connu. 

Hier soir, derniers chapitres. Ca y est, je suis mordue, je ne peux plus m'arrêter. Je trouve toujours certaines longueurs, certains passages un peu obscurs ou qui n'apportent rien à l'histoire, mais je suis captivée par l'histoire et fascinée par les transformations de certains personnages que l'on voit d'un oeil tout neuf. Me voici contrainte de m'empêcher d'aller plus loin, de fermer le livre malgré moi, pour ne pas finir trop vite, et me garder un petit réconfort en ce mercredi après-midi rempli de tâches ingrates et obligations diverses. 

Toutes dernières pages, il y a une heure. Un peu déçue... En fait, j'ai tout découvert hier soir, ou presque. De mystère, il n'y en avait pas tant que cela. On devine ce qui va se produire. Cela dit, la fin est belle, elle laisse un joli goût dans les yeux. 

Internet. Il y a quelques minutes. Voilà-ti-pas que je découvre que Chocolat (roman que je savais déjà être de Harris, en plus d'avoir été adapté au cinéma avec Binoche et Depp) est en fait l'histoire précédant Le rocher de Montmartre. Moi qui me demandais pourquoi, même à la fin du livre, on en savait encore si peu sur cette histoire de boulangerie à Lansquenet et les évènements qui ont poussé Vianne, Anouk et Rosette à quitter le village pour Paris ! 
Il va donc sans dire que j'ai, à présent très envie de lire ce fameux Chocolat. Tout en ayant peur d'être déçue car je crains que ça ne ressemble terriblement aux Cinq quartiers... (sorti après, mais que j'ai lu avant). 

En tout cas, j'ai découvert ici un nouveau filon littéraire que je me promets de suivre ! 

 

17 janvier 2013

Maybe the moon

Et voici ma toute dernière lecture de Maupin, qui restera la dernière tant que le nouveau tome des Chroniques ne sera pas sorti. Le moment où j'ai refermé ce livre a donc été teinté d'une émotion toute particulière. Pour diverses raisons, d'ailleurs. 

J'ai attaqué le récit sur les chapeaux de roues, étonnamment surprise de découvrir une histoire originale et assez différente, cette fois-ci, des Chroniques (ce qui n'était pas le cas avec Une voix dans la nuit, enfin, de mon point de vue). Nous ne sommes plus à San Francisco, mais à Hollywood, où Cady, une naine actrice et chanteuse cherche à se faire une place - ou plutôt, devrait-on dire, à occuper une place, une vraie. 
Alors, bien sûr, on retrouve des personnages désormais typiques sous la plume de cet auteur, assumant - quoique, pas tous - leur différence, toujours hauts en couleurs. Mais le simple fait de les avoir placés dans cet univers du star-system vu de l'autre côté du rideau donne vraiment un air de nouveauté à l'ensemble. 

Passé le début, j'ai un peu traîné la patte. J'ai trouvé des longueurs dans le récit, le point de vue interne (également choisi dans Micheal Tolliver est vivant et Une voix dans la nuit) mis en place à travers le journal intime de Cady a entraîné chez moi une certain ennui par moments. Peut-être voulu, d'ailleurs : Cady voit sa vie piétiner, son journal n'est pas le trépidant récit plein de paillettes qu'elle aurait rêvé. Elle n'a pas les choses en main, hormis son stylo - et, de temps en temps, son amant, mais la relation n'est pas toujours au beau fixe. 

Puis le rebond final a largement compensé ces faiblesses. J'ai trouvé cette fin magistrale, la seule qui pouvait vraiment terminer cette histoire. Les toutes dernières pages (la lettre d'une réalisatrice donnant son avis sur une possible adaptation filmée du journal de Cady) sont parfaites : dans ces lignes d'une réalisatrice absolument enchantée par cette histoire, mais de laquelle elle cherche à supprimer tous les éléments "dérangeants" (bah oui, une naine, un Noir, un gay... tout ça, ça fait beaucoup pour le grand public), tout est dit. L'hypocrisie, la non-visibilité de ces stars potentielles qui n'en deviendront jamais, l'aveuglement forcené, nourri par la peur, de ceux qui tirent les ficelles du système... MAis lorsqu'on connaît le succès qu'a pu avoir la saga des Chroniques, y compris dans le grand public, on se dit que revanche a été prise. Et qu'à défaut de la guerre, une bataille a été gagnée. 

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Le royaume de Kensuké

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