Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

La petite Mu qui plume

22 mai 2016

Mathias Malzieu et l'écriture

 

 

P1030001

Pour Mathias Malzieu, il faudrait dire "A écouter mais pas que". 

On pourrait dire qu'il est devenu écrivain en 2003 avec les 38 mini-westerns (avec des fantômes), recueil de contes, nouvelles, poèmes en prose, peu importe comment on les nomme, déjà bourrés de fantaisies et de trouvailles linguistiques. Mais en fait, cette fantaisie, ces trouvailles, bref, cette plume, elle existe depuis toujours dans ses chansons. Le longboard, les "yeux en pâte d'amande", toute cette "dyslexie magique", ils sont dans Western sous la neige. Et avant ça, il y a déjà eu trois albums, depuis 1996, tout aussi pleins de poésie. 

Moi, je suis devenue accro avec "Coccinelle", dans l'album Haïku. Les mini-westerns m'ont réjouie. Musicalement, j'ai adoré Monsters in love (2005), aussi bien le rock de Giant Jack que le ukulélé de La métamorphose de Mister Chat. Les pochettes dessinées par Joann Sfar, qui n'était pas encore surmédiatisé, étaient un clin d'oeil de plus à l'univers des artistes que j'aimais. 

J'ai voulu lire Maintenant qu'il fait toujours nuit sur toi, mais je ne l'ai pas encore fait. La chronique d'Aemilia sur Forty-five weeks m'en a redonné l'envie. J'ai lu, en revanche, La mécanique du coeur et Métamorphose en bord de ciel. Dans les deux cas, j'ai été déçue. Je l'explique par ailleurs, mais je trouve que la plume de Mathias Malzieu garde toute son intensité lorsqu'elle est concentrée. La forme romanesque trop narrative ne me convainc pas, à l'inverse du minimalisme des chansons ou des textes de son premier livre. J'adore toujours autant son univers, les personnages qu'il invente, mais on les retrouve quasi tous dans les albums, alors je préfère les découvrir ou les retrouver là. 

Pour cette même raison, je n'ai pas voulu voir le film Jack et la mécanique du coeur (dont je n'aime pas trop le graphisme, non plus). Et j'hésite un peu à lire le Journal d'un vampire en pyjama. Comme Aemilia, j'ai découvert la maladie et la "renaissance" de Mathias (oui, on est intimes) chez François Busnel, et, l'émission étant littéraire, il a bien sûr davantage parlé du livre que de l'album (avec, en bonus, une lecture improvisée par Fabrice Luchini !) J'ai écouté l'album, que je trouve très bon. Une ombre de références littéraires et culturelles plane sur l'album du début à la fin. "Chanson d'été" commence par une mise en musique de "Chanson d'automne" de Verlaine qui n'est pas l'un de mes poèmes préférés pour rien ; et tant dans l'instrumentation que dans l'écriture, le chanteur mêle à merveille son histoire avec ce texte à portée universelle. L'explication de texte sur "Dionysos, né deux fois", car c'est bien le sens de ce nom grec (belle coïncidence ou préoccupation de toujours du chanteur ?...), apparaît dans la dernière chanson, Vampire en pyjama. "Ce n'est pas un conte de fées / Mais ça peut y ressembler" : tout est dit, on passe du réel à l'imaginaire en une poussière de notes, c'est la magie Malzieu. "Le petit lion" est une berceuse magnifique, pour endormir les cauchemars de l'hôpital, mais qui peut servir de remède à toutes les angoisses de tous les petits et grands. Le texte qui m'a le plus parlé, c'est celui de "Déguisé en moi" : "Maintenant j'ai envie de me déguiser en moi / Comme c'est compliqué / D'être seulement soi". Tellement en écho avec toutes les réflexions sur le "faux-self" que j'ai rencontrées lors de mes dernières lectures psychologiques ! 

Bref, j'ai peur qu'encore une fois, le Journal m'apparaisse fade, trop dilué, par rapport à l'album. Mais compte tenu de l'expérience vécue par l'auteur, et avec la forme du journal qui s'éloignera un peu des textes de l'album, je tenterai de ne pas passer à côté. Pas comme Le plus petit baiser jamais recensé (2013) et L'Homme Volcan (2011), dont j'ignorais totalement l'existence. 

Publicité
Publicité
19 mai 2016

Entrez dans la Crim' : faites un commentaire de textes

Comment faire entrer les élèves de fin de collège ou de début de lycée dans l’exercice du commentaire de texte ? En leur présentant l’exercice comme une enquête.

La question à laquelle il faut répondre, c’est toujours la même : pourquoi avoir écrit ce texte, et pourquoi de cette manière-là ?

Pour y répondre, il faut chercher des indices. C'est d'ailleurs bel et bien le terme utilisé en sémiotique : Todorov appelle « indices textuels » tout élément du texte qui permet au lecteur de se forger une éventuelle stratégie interprétative.

Ne pas oublier que la scène de crime, c'est le texte, tel qu'il se présente aux yeux de l'élève - même s'il peut être utile, bien sûr, de faire tour dans le paratexte ou dans le reste de l'oeuvre.

Comment trouver des indices ? Il y a les incontournables, ceux auxquels on pense immédiatement : les empreintes digitales et, désormais, les traces d’ADN, sont les leitmotive des enquêtes criminelles ; les figures de style et les champs lexicaux, ceux des devoirs d’élèves.

A cette étape, il faut cependant rappeler aux élèves qu’un indice peut se cacher derrière l’objet (ici, le mot, la phrase, voire la lettre ou le signe typographique) le plus banal. Celui qu’un observateur non averti ne penserait même pas à regarder. La longueur d’une phrase, par exemple, en dit beaucoup sur le rythme d’une narration. La fonction grammaticale d’un pronom personnel distribue les rôles : celui qui est à l’origine de l’action, celui qui la subit.

Justement, le but est de transformer l’élève en observateur averti. Comment faire ? Il est très important de faire comprendre aux élèves, en début de seconde, que tout ce qu’ils ont travaillé en cours de français depuis l’école primaire (les conjugaisons, le vocabulaire, les catégories grammaticales…) constitue un bagage essentiel pour commenter un texte. Sur ce plan, ils sont bien mieux préparés que les enquêteurs criminels qui n’ont que quelques années d’études après le bac !...

Donc, on relève les indices. Ensuite, il faut leur faire dire quelque chose, autrement dit, les interpréter. Attention : ne pas tomber dans le piège de l’interprétation artificielle ! En réalité, il faut prévenir les élèves que, peut-être, certains indices relevés n’auront pas d’intérêt pour résoudre la question initiale. De fausses pistes, en quelque sorte. Un indice que l’on garde, c’est une pièce dont on sait qu’elle va compléter le puzzle. Dans l’idéal, il faut avoir l’intuition de sa place dans le puzzle. Encore une fois, cet idéal pourra être atteint avec de l’entraînement.

Parfois, un indice peut avoir plusieurs significations. Tel numéro de téléphone griffonné sur un papier peut diriger l’enquêteur vers un complice, ou vers une explication du crime, ou vers autre chose qui n’a rien à voir (la fameuse fausse piste). De même, un point d’exclamation peut exprimer la colère, mais aussi l’étonnement, ou encore l’enthousiasme, ce qui peut être une piste éclairante pour le texte, ou un simple détail sans importance si ce point d’exclamation n’est pas conforté par d’autres marqueurs de ces mêmes sentiments. C’est là qu’apparaît l’importance de confronter les indices les uns aux autres pour tisser une toile, construire le puzzle.

Se dessine alors sous les yeux du lecteur une réponse à la question initiale : l’auteur vise un certain effet, fait passer un certain message (attention à la facilité de ce « message », il n’y en a pas toujours), ouvre la réflexion vers une certaine thématique. Tous les indices convergent vers cette réponse ; si besoin, on peut aussi rouvrir d’anciens dossiers (d’autres textes présentant des caractéristiques communes : genre littéraire, période, même auteur…) et comparer les conclusions obtenues.

Vient enfin le moment parfois redouté des enquêteurs : la rédaction du rapport. Et oui, cela peut sembler fastidieux, voire inutile, puisque l’affaire est résolue. Mais c’est le seul moyen de transmettre efficacement ses conclusions à son supérieur hiérarchique (le professeur, pour les élèves), et, autre avantage non négligeable, de vérifier que l’enquête ne comporte pas de zones d’ombre non résolues ou d’erreurs notables. Car, on le sait, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément ». Donc, si les mots n’arrivent pas, c’est qu’il y a un couac dans l’enquête. Pour le plan, toujours suivre l’itinéraire suivant : du plus évident au plus profond.

Bien sûr, on ne pourra jamais être dans la tête de l’auteur, éternelle récrimination des non-avertis, de même qu’on ne peut pas être dans celle d’un criminel.  On peut objecter que le criminel, s’il est vivant, peut avouer, ou non, son crime. Mais les aveux ne sont pas toujours à prendre au pied de la lettre, pas plus que les préfaces des auteurs. La réflexion de l’enquêteur, si elle s’appuie sur des connaissances solides, sur une méthode rationnelle et sur des indices concrets, est bien plus importante. Surtout – et là, c’est davantage le professeur que le chef de la police qui parle – il me semble indispensable de faire comprendre aux élèves que le chemin pour parvenir au résultat est plus important que le résultat lui-même. Peu importe, finalement, de savoir ce que Rimbaud a voulu dire exactement dans « Voyelles », ou même s’il a simplement mis des mots les uns derrière les autres. Ce qui compte, en pédagogie, c’est que, pour parvenir à une conclusion, il a fallu mettre les mains dans le cambouis, fouiller dans la grammaire, dans la stylistique, dans l’histoire littéraire, et parfois aussi dans les sciences, dans les arts, dans la philosophie, et j’en passe. Et, sans s’en rendre compte, on devient un Lecteur du monde, et pas seulement du texte.   

16 mai 2016

Stéphane Servant, Laetitia Le Saux : Purée de Cochons

P1030034

Chez les enfants, les histoires de recettes ont toujours fait recette. Cette Purée de cochons fera-t-elle exception ? Ou saura-t-elle combler vos pupilles enchantées ?

Je m'arrête ici. Stéphane Servant maîtrise l'art de la rime bien mieux que moi. J'ai apprécié la qualité du jeu sur les sonorités, qui permet au passage de faire découvrir des mots nouveaux aux petits lecteurs ou auditeurs : le loup est "guilleret" à l'idée de cuisiner les "porcelets", le loup est "barbichu" avec une queue tordue... Toute la panoplie de l'oralité est mise en oeuvre pour rendre cet album facile à lire, à écouter, à mémoriser : les rimes, donc, les comptines, les petites formules récurrentes, un texte qui utilise typographie, couleurs, disposition pour guider le rythme ou les intonations. Presque un manuel d'apprentissage pour conteurs débutants (ça tombe bien, c'est mon cas !).

Et ça tombe bien, puisqu'il est question de lecture là-dedans. L'histoire commence comme il se doit, avec trois cochons dans la casserole d'un loup. Mais, problème, le loup ne sait pas lire. Et comment suivre une recette si on ne peut pas la lire ? Les porcelets vont faire tourner notre loup en bourrique, et l'envoyer chercher des ingrédients inutiles, juste pour gagner du temps. Jusqu'au jour où, sans le vouloir, le loup se retrouve dans une école. Quelle aubaine ! Il va enfin pouvoir apprendre à lire ! Mais alors, les cochons peuvent commencer à se faire du mauvais sang...

J'ai été plutôt déçue par l'histoire. Je m'attendais à ce que les personnages secondaires (l'ours, le corbeau, la grand-mère) soient davantage exploités. Il y a de petits détails intéressants sur les images, mais rien de très exceptionnel. Par ailleurs, je ne suis pas très fan du graphisme. J'aime bien l'effet "papier découpé" mais je trouve les lignes et les couleurs un peu trop tranchées. Je suis allée jeter un oeil sur le site de Laetitia Le Saux, pour voir le reste de son travail. J'y ai trouvé d'autres dessins un peu plus doux, aux traits un peu plus ronds ou aux couleurs un peu plus nuancées. Je pense cependant que, dans Purée de cochons, la franchise des formes et des teintes peut plaire aux enfants.

Bref, une histoire à lire et à tester sur le public concerné : les enfants ! Et s'ils en redemandent, on retrouve les trois petits cochons railleurs et le loup raillé dans La culotte du loup (sorti en 2011, prix des Incorruptibles).

 Ce billet inaugure mon partenariat avec les éditions Didier Jeunesse.

16 mai 2016

Les découvertes de la semaine #7

L'affaire L'école des Loisirs, la suite

@LaFicelle

Alors que La Ficelle, le blog des (ex?)-auteurs de L'école des Loisirs, ne cesse de s'enrichir (ma mailing list clignote chaque jour), la direction et les équipes (moins Geneviève Brisac, au coeur de la polémique) ont fait paraître un communiqué destiné à apaiser les tensions. Mais Agnès Desarthe, auteure reconnue de L'Ecole des Loisirs, mais pas que, n'a pas du tout été convaincue et le dit haut et fort lors d'un entretien, dans lequelle elle parle de "mise sous tutelle éditoriale", de "Corée du Nord" et où elle se dit "verte de rage". Actualitté donne la parole aux deux camps et développe les différentes positions : lisez le communiqué, la réaction d'Agnès Desarthe, et, bien sûr, le blog des auteurs.

Les initiatives des bibliothèques

LivresHebdo

Connaissez-vous le "Biblio-bingo" ? C'est une animation autour du livre, venant des Etats-Unis, et que la bibliothèque de Languidic, dans le Morbihan, après l'avoir testé avec succès l'été dernier, remet à son calendrier des animations de l'été 2016. Le principe ? Une grille de neuf cases avec un défi lecture à relever sur chaque case (exemples : un livre qui fait voyager, un livre avec bulles et cases...), et possibilité de réussir un "petit bingo" (trois défis relevés sur une même ligne) ou le "grand bingo" (tous les défis de la grille). Et moi, je découvre ainsi une nouvelle variante de défi lecture, plus léger que le challenge petit bac (que j'avais beaucoup aimé) ! Chouette idée à piquer, pour des challenges de blogueurs comme pour des défis-lecture pédagogiques.

Les informations étonnantes

Sweet Tea Apothecary

Thé noir, vétiver, clous de girofle, musc, vanille, héliotrope et tabac : voilà le vrai parfum des livres. En tout cas, c'est ce qu'a décidé la société Sweet Tea Apothecary, qui a ajouté à son catalogue le parfum "Dead Writers", qui se compose des fragrances précédemment citées. Le site nous apprend que le parfum est unisexe et qu'il évoque "le sentiment de se trouver dans une vieille bibliothèque, entouré de copies jaunies des œuvres d’Hemingway, Shakespeare, Fitzgerald, Poe et d’autres". Vaste programme ! Et vous, offrirez-vous le parfum "Auteurs morts" à la fête des mères ou des pères, pour 30 dollars ?

 

15 mai 2016

Théâtre : Un avare, d'après Molière, Jean-Pierre et Sylvie

Afficher l'image d'origine

Ayant découvert cette pièce de théâtre dans un cadre scolaire, j'en fais un article "pour les profs". Mais je précise d'emblée que des représentations "tout public" existent aussi.

A l'origine du spectacle, il y a la compagnie Le voyageur debout. Trois personnes (je dirais presque : trois personnages) sacrément douées, et tout particulièrement dans le cadre scolaire. Jean-Luc Bosc est metteur en scène et comédien. Il y a vingt ans, il a donné des cours de théâtre à Sandrine Gelin et Marie-Emilie Nayrand, comédiennes : depuis, ils ne se sont plus quittés. Ils aiment se glisser dans la peau des personnages du "répertoire" comme de "ceux qui sont de pure création" (je reprends leurs propres termes), et ils se spécialisent aussi dans des rôles de clown, Philomène et Félix.

Je les ai découverts, en scolaire également, avec un Don Quichotte(e) qui m'avait enthousiasmée. Attention, spoiler : le (e), c'est parce que tout les personnages de l'histoire sont joués par les deux comédiennes. Et la troupe joue énormément sur la question du travestissement, certes inhérente au théâtre, mais qui peut être plus ou moins mise en avant. Dans le cadre d'un travail avec les élèves, les comédiennes étaient venues en classe parler de ce travestissement : elles avaient montré, en direct, comment elles se maquillaient et s'habillaient pour jouer leur(s) rôle(s) respectif(s). Pour la comédienne jouant Don Quichotte, la métamorphose était spectaculaire : sans l'avoir vue se costumer, impossible de savoir qu'elle se cachait sous le personnage. Grand succès auprès des élèves. (Davantage que la pièce, parce que l'histoire ne leur était pas assez familière.)

Cette année, donc, c'était L'Avare. L'Avare ? Vraiment ? Non : Un avare, d'après Molière, Jean-Pierre et Sylvie. C'est déjà un régal de travailler sur le titre. Qui sont donc ce Jean-Pierre et cette Sylvie ? On nous dit, en présentation, que ce sont deux spectateurs, à qui on va demander de donner leur avis pendant le spectacle. Et c'est bien ce qui se passe au début de la représentation : on installe nos 130 élèves (oui, rien que ça), et le régisseur demande aux "deux personnes qui se sont proposées pour faire les interventions" de monter sur scène. Deux personnes du public, un homme et une femme, se lèvent, rejoignent le régisseur. Ce dernier leur explique qu'ils vont aller s'installer en coulisses, qu'ils auront un micro avec eux, et que, quand ils en auront envie, ils pourront sortir des coulisses et faire des commentaires sur le spectacle.

Que trouve-t-on, ensuite, dans ce spectacle ? Le texte de Molière, oui, celui qu'on connaît, mais avec quelques scènes en moins. Les personnages de L'Avare, oui, mais qui semblent passés chez les Guignols de l'info : les comédiens portent des masques aux traits exagérés, et certains personnages sont mêmes joués par des marionnettes. Du théâtre sur scène, oui, mais pas seulement. On a l'impression que le spectacle déborde de tous les côtés. Au début, il y a ces voix-off, une sorte de micro-trottoir où différents hommes et femmes parlent de L'Avare - ou de ce qui leur en reste. Puis de nombreuses interpellations du public. Et Jean-Pierre et Sylvie, qui déboulent de leurs coulisses, un peu perdus, un peu hésitants, pour commenter ce qui se passe sur scène. On flaire l'embrouille petit à petit. Jusqu'à la fin où la pièce de Molière semble voler en éclats, jusqu'à ce que les personnages se reprennent et jouent le finale, le vrai.

On passe un vrai bon moment avec ce spectacle qui nous parle davantage du Théâtre, au sens large, que de Molière, ou d'Harpagon. On a l'impression que toutes les ressources de l'art vivant sont mises à contribution. Les comédiens sont bons, Harpagon, Elise et Frosine sont assez irrésistibles. Aux enseignants qui verraient le spectacle dans la programmation culturelle de leur région : n'hésitez pas une seconde à y inscrire vos élèves, si vous le pouvez. Allez, je vais même me fendre de quelques petits conseils pour vous accompagner dans le projet :

En amont : Dites bien à vos élèves qu'ils vont voir une adaptation de la pièce. Parlez (mais brièvement) des marionnettes et des masques. Rappelez-leur les origines du théâtre, dans l'Antiquité, le rôle des masques à cette époque, exagérés eux aussi pour que tout le public puisse voir les expressions du visage. De mon côté, je suis particulièrement fière de moi : j'ai improvisé une séance la veille du spectacle, sans l'avoir vu, sans en connaître tous les détails, et je suis tombée plutôt dans le sujet : rappels généraux sur le théâtre, la notion de spectacle, de quelque chose qui se regarde ; puis travail sur les tonalités (tragique, comique, pathétique...), en insistant sur le fait qu'une pièce mêlait souvent différentes tonalités (or il se trouve que certaines parties du spectacle jouent là-dessus) ; enfin relecture du monologue d'Harpagon, pour faire le point sur le mélange des tonalités mais aussi la porosité scène/salle, personnage/spectateurs, avec la fameuse phrase "Ils me regardent tous, et se mettent à rire".

En aval : Demandez bien aux comédiens (et prévoyez-le dans la durée de votre sortie) un échange avec les élèves en fin de spectacle. D'abord parce que, vraiment, ces comédiens sont extras, ils savent parfaitement s'adresser aux ados, y compris pour leur rappeler quelques règles de savoir-vivre. Et puis parce que ça complète idéalement le spectacle. Mes élèves, le lendemain, m'ont dit avoir été assez perturbés par le côté peu classique de la représentation, un peu perdus avec toutes ces ruptures dans le fil de l'histoire. De leurs propres mots, ils auraient préféré "le vrai Avare". Eh oui, nos élèves sont conventionnels ! Mais, pour autant, ils ont été très réceptifs à l'échange final avec les comédiens, et ont posé des questions intéressantes. Je pense donc que le but a été atteint : le spectacle les a interpellés. Et on peut facilement s'appuyer dessus, par la suite, en travaillant sur d'autres textes ou d'autres mises en scène.

 

 

Publicité
Publicité
12 mai 2016

L'art de la dédicace

P1030004

A l’ère des salons et autres fêtes du livre, connaissez-vous l’histoire de la dédicace ?

 L’étymologie est en elle-même toute une histoire. Dédier ou effectuer une dédicace, à l’origine, signifie « consacrer au culte divin, mettre [une église, un autel] sous l’invocation d’un saint ». Le verbe latin dedicare vient en effet du vocabulaire religieux et se traduit par « consacrer ». La « dédicace » en tant que nom commun devient ensuite la consécration d’un monument à un personnage, puis la trace écrite liée à cette consécration, et, enfin, en 1613, l’ « hommage qu’un auteur fait de son œuvre à quelqu’un par une inscription imprimée en tête de l’ouvrage ». Le verbe, lui, n’apparaît qu’en 1836. Il fixe définitivement l’entrée de cette famille de mots dans le vocabulaire de l’art et la littérature. 

Comment est-on passé d’un geste religieux aux longues files d’attente devant le stand de Fabrice Luchini ou de Manuel Valls ? Vous allez le comprendre facilement. Roger Chartier, dans son excellent Le livre en révolutions, nous explique qu’au XVIIe siècle, une dédicace est « le geste qui marque [l’]entrée [de l’auteur] en clientèle, ou dans les liens du patronage. » Plus clairement, au XVIIe siècle, un auteur qui veut vivre de sa plume mais n’a pas de fortune personnelle  doit se mettre sous la protection d’un patron. Le plus souvent, il s’agit d’une personne illustre : un ministre, un prince, un souverain. Alors, il s’agit surtout d’un échange de bons procédés : je te « consacre » mon livre, tu assures ma survie.  

C’est pour cela que les dédicaces qu’on trouve alors dans les œuvres sont autrement plus conséquentes que le simple « A Emmanuelle », de Fabrice Luchini. La postérité donne à certaines le statut de véritables oeuvres de littérature : présentes pour éclairer le livre qui va suivre, elles deviennent des manifestes artistiques, des textes à étudier. L'exemple le plus célèbre est la dédicace "A Monseigneur le Dauphin", de Jean de La Fontaine : 

"Je chante les héros dont Esope est le père, 
Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère, 
Contient des vérités qui servent de leçons. 
Tout parle en mon ouvrage et même les poissons. 
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes; 
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes. 
Illustre rejeton d'un prince aimé des cieux, 
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux, 
Et qui faisant fléchir les plus superbes têtes, 
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d'une plus forte voix 
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois. 
Je vais t'entretenir de moindres aventures, 
Te tracer en ces vers de légères peintures; 
Et si de t'agréer je n'emporte le prix, 
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris." 
La Fontaine se place ainsi sous le patronat des auteurs antiques et rappelle la fonction de l'apologue et de la fable : plaire et instruire. Derrière ces "moindres aventures", ces "modestes peintures", se cachent évidemment "des vérités qui servent de leçons". Tout cela, c'est la partie qu'on étudie en cours de littérature, ce que l'on retient du texte. Mais observez un peu les vers consacrés, au sens propre du terme, au dauphin, Louis de France, fils de Louis XIV, à qui s'adresse La Fontaine : vocabulaire hyperbolique, posture de modestie, d'infériorité, voire de supplication du poète à l'égard du prince, inscription du personnage dans l'Histoire, au même titre que les Fables s'inscrivent dans une histoire littéraire. En voilà un exemple de dédicace qui remplit sa mission tout en traversant les siècles ! 
Même époque, autre genre littéraire : les Contes de Perrault. Qu'ils soient "de ma mère l'Oye", ou "du temps passé", selon les différents titres qui ont été donnés au recueil, ils sont introduits par une dédicace à "Mademoiselle" : Elisabeth Charlotte d'Orléans, petite nièce de Louis XIV. L'écriture même de cette dédicace est une énigme : elle est signée non pas par Charles mais par son fils Pierre Darmancourt, âgé de dix-sept ans à ce moment-là, car c'est à lui qu'on prête l'écriture des contes en prose en 1695. C'est même un argument utilisé dès la première phrase de la dédicace : 
"On ne trouvera pas étrange qu'un Enfant ait pris plaisir à composer les Contes de ce Recueil, mais on s'étonnera qu'il ait eu la hardiesse de vous les présenter. Cependant, Mademoiselle, quelque disproportion qu'il y ait entre la simplicité de ces Récits, et les lumières de votre esprit, si on examine bien ces Contes, on verra que je ne suis pas aussi blâmable que je le parais d'abord. Ils renferment tous une Morale très sensée, et qui se découvre plus ou moins, selon le degré de pénétration de ceux qui les lisent [...]. 

Tout l'art de la dédicace est présent là encore : plaidoyer pour une littérature à double niveau d'interprétation, et flatterie de la personne consacrée, qui aura l'intelligence nécessaire pour accéder au degré le plus profond. 

Mystification littéraire, textes à rallonge : rien de tout cela n'est possible aujourd'hui, alors que les dédicaces se font à la chaîne sur une table envahie par les exemplaires imprimés. Je salue réellement la patience et la sympathie des auteurs qui prennent le temps d'échanger quelques mots avec leurs lecteurs et d'inscrire des remarques personnalisées. Pour l'anecdote, quand j'avais quinze ans, toute excitée de pouvoir rencontrer Christian Grenier au festival Sang d'encre, à Vienne, je lui ai apporté les six livres que je possédais de lui. Eh bien, je vous assure, il me les a tous dédicacés, et tous de manière différente ! Chapeau, l'artiste ! 

Il reste les dédicaces d'illustrateurs et dessinateurs, aujourd'hui, pour voir s'ajouter à l'ouvrage existant une véritable oeuvre d'art originale. Certains se déplacent avec pinceaux, encres, couleurs, et on ne regrette pas de s'être déplacé. Ces séances laissent des souvenirs aux lecteurs... mais aussi aux dessinateurs, comme on peut le lire dans ce florilège de témoignages récoltés par Le Parisien. Moins drôle, en 2010, la colère des auteurs de BD constatant que les lecteurs, sitôt rentrés de la séance de dédicaces, s'empressent de mettre en vente leurs dessins, inédits, forcément. 

En tout cas, au cas où vous vous posiez la question, Charlotte n'a pas réussi à devenir invisible, comme le lui souhaitait Eric Boisset. Sans doute n'a-t-elle pas bien suivi les instructions du Grimoire d'Arkandias. Dommage... mais, au moins, elle a eu son dessin.

9 mai 2016

Mes découvertes # 6 : Sur la blogosphère

Ils existent déjà dans ma colonne de liens, ou bien ils viennent d'y apparaître, mais j'ai envie de vous les présenter rapidement, ces blogs que j'aime.

 

Méli-Méludes

@LaurentDivina

Le blog d'un ludothécaire dont on sent la passion, et qui veut partager avec la Toile ses découvertes : des tests de jeux de société, de jouets, des présentations de lieux ludiques, mais aussi des mini-articles sur des sujets autour du jeu, de manière large (interview de créateur, histoire du jouet, initiatives récentes...) ou encore des compte-rendus de lecture.  Pour les petits et grands joueurs, pour les pros, ou ceux que cet univers passionne, ou questionne, tout simplement.

http://laurentdivina.wix.com/meli-meludes

 

Bric à Book

le mystère henri pick

@Leiloona, sur Bricabook

Un blog de littérature, mais pas que ; régulièrement classé dans le top 5 du classement Teads des blogs de littérature. Beaucoup, beaucoup de chroniques en littérature jeunesse, avec ce personnage-testeur récurrent qu'est TroGnon, fils de l'auteure... De la littérature adulte aussi, de tous horizons, avec plein de concours pour gagner des livres ! De réguliers compte-rendus de sorties parisiennes, culturelles ou gastronomiques. Et un atelier d'écriture hebdomadaire, à partir de photographies d'articles, qui attire beaucoup de plumes à chaque fois.

http://www.bricabook.fr/

 

Forty-five weeks

Bérénice3

"Culture et humeurs, humour et coups de coeur" : un sous-titre très efficace pour annoncer la couleur. Tout tourne autour de l'idée de challenge : de lectures, de photos... Des chroniques culturelles, au sens large. Des critiques littéraires sur des titres très variés ; des compte-rendus de sorties, de films ; une rubrique "Le replay de la semaine" qui permet de découvrir ou redécouvrir des émissions télévisées. Des articles nourris et précis dans un blog au graphisme impeccable, très visuel. Le blog a déjà été remarqué sur Hellocotton.

https://fortyfiveweeks.wordpress.com/

 

L'atelier de la Licorne

Image of Sautoirs

Les coulisses, en quelque sorte, d'une créatrice de bijoux. On y découvre son univers, à la fois éclectique et cohérent : des licornes, oui, en images ou en mots, des coups de coeur artistiques qui vont de David Bowie au design de mobilier, un peu de voyage et de gastronomie, de temps à autre. De belles images, choisies avec soin par la bloggeuse, graphiste de formation. Et, bien sûr, une invitation vers la boutique de la Licorne, avec une vitrine de colliers, sautoirs, boucles, bracelets, headbands... qui n'en finit pas de grandir.

https://lejournaldunelicorne.wordpress.com/

 

 

8 mai 2016

Musée d'Orsay : Le Douanier Rousseau, l'innocence archaïque

"Comme dans les, comme dans les, comme dans les, comme dans les... Comme dans les tableaux, du Douanier Rousseau" : comment ne pas avoir cette chanson dans la tête pendant toute la durée de la visite ? Après tout, quand la Compagnie Créole parle d' "un jardin merveilleux, un spectacle permanent", force est de reconnaître que c'est tout à fait ça. On ne peut certes réduire l'oeuvre de ce peintre à ses "jardins", mais les mots "merveilleux" et "spectacle", eux, prennent tout leur sens quand on découvre l'ensemble de ses tableaux. 

L'exposition nous conduit dans un parcours qui s'appuie sur la notion d'archaïsme. Archaïsme : caractère d'une oeuvre artistique, ou d'un élément à l'intérieur d'une oeuvre, qui se rattache à une époque antérieure (Larousse). Pourtant, le hors-série Télérama titre "Le Douanier Rousseau, charmeur de son temps". Alors, Rousseau, de son temps, d'un autre temps ? Ou peut-être : hors du temps ?

C'est plutôt cette piste-là qu'il faut suivre. Tout se mêle dans ses oeuvres : un certain académisme, que l'on retrouve dans la première salle de l'exposition, nommée "Portraits-paysages", mais un académisme détourné, interprété ; une modernité dans sa recherche de simplicité des formes, visible dans ses natures mortes (salle 5) et ses tableaux d'enfants (salle 4). Rousseau, plus moderne que les modernes ? Il déclare en effet à Picasso : "Nous sommes les deux plus grands peintres de l'époque, toi dans le genre égyptien, moi dans le genre moderne." L'absolue confiance en son talent peut faire sourire (mais le Douanier était tellement controversé qu'il fallait bien que quelqu'un équilibre les critiques, fût-ce lui-même !...), mais c'est l'adjectif "moderne" qu'il faut retenir. On découvre dans l'exposition que les toiles de Rousseau ont servi d'inspiration à de nombreux artistes. Les dernières salles consacrées aux jungles nous présentent notamment la réception des surréalistes. On peut jouer au jeu des sept différences entre La Charmeuse de serpents, de Rousseau, et La rencontre du 2 bis, rue Perrel, de Victor Brauner (lire ici la petite histoire de la "rencontre" entre les deux artistes) :

Afficher l'image d'origine     LA RENCONTRE DU 2 BIS RUE PERREL

La charmeuse de serpents, Douanier Rousseau, 1907, huile soir toile, musée d'Orsay, Paris.
La rencontre du 2 bis, rue Perrel, Victor Brauner, 1946, huile sur toile, Musée d'art moderne, Paris.

Si les mots "naïf", "innocent", "archaïsme" conviennent si bien à l'oeuvre du Douanier Rousseau, c'est parce qu'il a su poser un oeil neuf sur les merveilles présentes dans tout recoin du monde et de la nature. Et l'exposition nous invite, nous aussi, à poser cet oeil neuf sur l'ensemble de ses tableaux. Ils sont tellement divers qu'on fait forcément des découvertes. J'ai pour ma part été particulièrement marquée par les tableaux d'enfants, plutôt inquiétants, qui titillent vraiment l'imagination, et les paysages quasi vides d'hommes, qui font penser à une sorte d'étape ultérieure aux décors d'Edward Hopper.

Mais j'ai évidemment passé un certain temps dans la salle des jungles, comme on passerait du temps dans un jardin, en observant les moindres détails des merveilles de la nature. (Seule petite déception : pas de Surpris!, qui a dû rester à la National Gallery de Londres.) N'oublions pas de rappeler que Rousseau n'a jamais mis les pieds dans un lieu exotique à l'étranger : toute son inspiration lui est venue de ses observations au Jardin des plantes, ou dans des albums illustrés, d'ailleurs exposés eux aussi sous vitrine. Encore une marque de "naïveté" : Rousseau vient au monde de l'exotisme par la force de l'imagination.

Suivez-donc les traces de ce peintre atypique et méconnu, dans les couloirs du Musée d'Orsay, et prolongez la rêverie dans les serres du Jardin des Plantes. Là-bas, vous verrez, c'est "comme dans les, comme dans les..."...

P1020953 (2)

Exposition Le Douanier Rousseau - L'innocence archaïque
Musée d'Orsay
Du 22 mars au 17 juillet 2016
Plein tarif : 12€ (avec collections permanentes)
Prévoir deux heures

Grandes Serres
Jardin des Plantes
Ouvert toute l'année
Plein tarif : 7€
A éviter par canicule !

Hors-série Télérama : Le Douanier Rousseau, charmeur de son temps
Mars 2016

5 mai 2016

Jeanette Winterson : Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

 

P1020992

De Jeanette Winterson, j'avais déjà lu Les oranges ne sont pas les seuls fruits, dans le cadre d'un défi couleur pour honorer un swap (si cette phrase vous semble sybilline, lisez ici, ce qui vous permettra également de découvrir le roman suscité).

Je savais que ce livre avait un pendant autobiographique (enfin : une lectrice qui se reconnaîtra m'en avait signalé l'existence), et je suis tombée dessus récemment. Rappelons que Jeanette Winterson a vécu son enfance dans l'Angleterre des années 70, dans l'univers de la classe ouvrière, et dans une famille un peu particulière. Père et mère font chambre à part, et la mère extrêmement bigote a des comportements déroutants, parfois contradictoires, très souvents violents et intolérants. L'ouverture d'esprit n'est pas au rendez-vous, c'est le moins qu'on puisse dire. Evidemment, découvrir son homosexualité dans une telle famille, cela peut être une épreuve - ou une force. L'auteure esquisse cette piste dans Les oranges..., fortement inspiré de sa vie, et qui s'arrête au moment où l'héroïne, rejetée pour ses préférences amoureuses et sexuelles, quitte la maison. Elle la reprend et l'affirme dans Pourquoi être heureux..., en racontant au lecteur ce qui se passe après ce départ. Paradoxalement, dans l'autobiographie, on découvre encore plus de difficultés qu'on n'en avait perçues dans Les oranges..., mais aussi plus d'espoir, de détermination, de volonté d'être "heureuse". Précisons, pour que le titre soit clair, que c'est une phrase sortie de la bouche de la mère. Tout est dit !

Je dois dire que la lecture en a été encore plus laborieuse. Laborieuse, mais pas infructueuse. Il y a des phrases très marquantes, et une histoire très forte, évidemment. Un thème nouveau, par rapport aux Oranges..., apparaît, celui de la quête familiale : en effet, Jeanette a été adoptée (je n'en avais pas du tout le souvenir). Cette famille qui la rejette, ce n'est pas sa famille biologique. Toute une partie du récit est donc consacré à la recherche de ses véritables origines, ce qui s'inscrit évidemment dans cette question omniprésente de l'identité : familiale, biologique, sociale, sexuelle.

Mais laborieuse car l'écriture de Jeanette Winterson est très heurtée. Elle le reconnaît volontiers, à plusieurs reprises dans le livre, et avoue ne pas savoir faire autrement, et peut-être aussi ne pas vouloir, car cela colle à la façon dont elle a vécu : des heurts, pas de chemin tracé facile à suivre. Implicitement, elle demande donc à son lecteur de faire un effort, pour accéder au sens, à ce qu'elle veut transmettre. Je pense avoir réussi cet effort, puisque j'ai terminé la lecture et que j'en ai gardé un souvenir, mais en effet, ce ne fut pas facile.

Un livre exigeant, donc, à tous points de vue, mais plein de vérité et, surtout, de vie.

2 mai 2016

Les découvertes de la semaine #5

Afficher l'image d'origine 

Afficher l'image d'origine             Afficher l'image d'origine

Le monde des librairies :

Vous voulez voir une librairie... sans livres ? Si, si, maintenant, ça existe. Et même à quelques pas d'une ancienne librairie bien existante et bien pleine de livres : les Presses Universitaires de France ont en effet rouvert un local, dans le Quartier Latin. Mais si vous voulez y acheter un livre, vous n'irez pas le chercher sur une étagère : non, on vous demandera de "feuilleter" le catalogue en ligne sur une tablette, puis, une fois le livre choisi, on vous l'imprimera directement en quelques minutes. Tout ça, c'est grâce à l'Espresso Book Machine, une imprimante qui fabrique des livres à la demande. Vous n'en voyez pas l'intérêt ici ? Oui, pourquoi attendre quelques minutes alors que, dans une autre librairie, on trouve le livre tout de suite ? Mais justement, parfois, ce livre, vous ne le trouverez pas : il faudra le commander. Le concept d'impression à la demande est censé résoudre les problèmes de disponibilité (côté acheteur) et de stock (côté libraire). Est-ce l'avenir des librairies ? On en parle chez ActuaLitté.

Les initiatives des "bibliothécaires" :

Quand un professeur, en Afghanistan, se fait bibliothécaire à vélo : pour apporter des livres aux villages dépourvus d'établissement scolaire, mais aussi pour "remplacer [la] violence [par] la culture". En effet, en Afghanistan, les vélos sont utilisés par les Talibans pour leurs attentats-suicides... En Indonésie, c'est sur un cheval qu'une bibliothèque se promène : une manière d'associer les bienfaits de l'équithérapie à ceux de l'éducation culturelle. Et en Ethiopie, les livres se promènent à dos d'âne, accompagnés d'un théâtre de marionnettes. Merci à ActuaLitté pour ces informations en poupées russes sur les bibliothèques nomades à travers le monde !

Les informations étonnantes :

Bertrand Piccard, le pilote du Solar Impulse, cet avion ultraléger qui fonctionne à l'énergie solaire, qui vient de boucler la traversée du Pacifique, vient d'une sacrée famille. Aéronautes, océanautes, jusque là, ça ne nous étonne pas. Auguste, le grand-père, a été pris en photo avec Einstein et Marie Curie. Déjà, ça commence à en jeter pas mal. Mais surtout, vous le connaissez très bien... sous les traits d'un personnage de bande dessinée. Regardez bien sa photo : mais oui, c'est le professeur Tournesol ! C'est en effet lui qui a inspiré à Hergé le célèbre personnage. Et, pour couronner le tout, son frère jumeau, Jean, aurait quant à lui inspiré le Jean-Luc Picard de Star Trek. Une famille plus littéraire que scientifique, finalement !

Crédits photo : Espresso Book Machine sur Flickr / Photo prise sur ActuaLitté / Bundesarchiv Bild 102-13738, Auguste Piccard.jpg, sur Wikipédia

 

29 avril 2016

Humeur : Laissez-nous nos livres !

laissez nous nos livres

 

Voilà, c'est un coup de gueule que je voulais pousser depuis un moment. 

Ca a commencé avec l'adaptation de Nos étoiles contraires. Je remets les choses dans leur contexte : je suis enseignante, une déformation professionnelle fait que, quand j'ai lu et aimé un livre jeunesse, j'ai envie de le faire lire à mes élèves. Voire, je dois leur faire lire des choses (se référer à mes articles sur la lecture cursive). Et ce n'est malheureusement pas un cliché de dire que la lecture n'est pas une activité spontanée, en tout cas pour les adolescents que je connais. Les images, télévisées, cinématographiques, Youtubisées, jeuxvidéosées, constituent une rude concurrence. Donc, proposer dans une liste de lectures obligatoires un titre qui a été adapté en film, c'est risqué. C'est surtout très frustrant et décevant de se dire que l'élève est passé à côté d'un roman formidable, quelle que soit d'ailleurs la qualité de l'adaptation. On sait tous que Harry Potter en films, par exemple, ce n'est pas pareil, ne serait-ce parce qu'aucun film commercialisable en salles ne peut égaler les 850 pages du tome 6. Et que, bien sûr, la psychologie des personnages prend un sacré coup avec le passage sur écran. Alors, même si je ne suis pas une inconditionnelle de Nos étoiles contraires en livre (que je trouve en dessous des autres romans de John Green, lire ici), l'écriture de John Green reste à part dans la littérature jeunesse, et elle vaut la peine d'être découverte. Si elle peut rendre les jeunes lecteurs accros et leur donner envie d'enchaîner avec Alaska ou Will and Will, c'est parfait. Mais le film n'aura pas ce pouvoir-là. Il met en avant l'histoire, les personnages, mais rien ne pourra rendre le style de l'écrivain. (Et je ne vous dis pas comment j'étais déprimée en voyant les affiches pour La face cachée de Margo.)

J'avais déjà rencontré ce problème avec les contes. Difficile d'en trouver que les élèves ne connaissent pas par le biais d'un Disney ou d'une autre production animée ; cela restait le cas du Magicien d'Oz, jusqu'à ce que Disney s'en empare aussi. Alors, là encore, même si ces adaptations dénaturent, voire revisitent entièrement le conte initial, cela n'empêche pas de donner aux élèves l'impression de connaître, et donc, de leur ôter l'envie de lire "la même chose" sans les images. (Voire, de les faire protester catégoriquement que ce qu'on leur fait lire, ce n'est "pas la vraie histoire".)

J'en étais là de mes considérations lorsque je suis tombée en librairie (c'était il y a plus d'un an) sur l'un des livres fétiches de mon adolescence, Le passeur, de Lois Lowry, avec un bandeau : Maintenant au cinéma !

Alors là, c'était trop ! Pas lui, pas ce chef-d'oeuvre de roman d'anticipation avec son univers tellement étrange ! Tout le principe repose sur les souvenirs que le passeur transmet à Jonas, le héros, pour qu'il devienne à son tour le dépositaire du passé de l'humanité. Comment peut-on mettre des images là-dessus, puisqu'il s'agit de pensées ? Comment transmettre à l'écran les souvenirs sensoriels tellement importants pour Jonas, lui qui vit dans un monde où la douleur comme le plaisir physique n'existent tout simplement pas ? Impossible ! 

Qu'on s'entende bien, je ne dis pas que ces films sont forcément mauvais. Pour être parfaitement honnête, je n'ai pas vu ces adaptations dont je parle (sauf Harry Potter, et encore, pas toutes). Parce que j'en ai fait le choix. Mais nos ados, plongés qu'ils sont dans ce monde d'images, et pris dans la pression du groupe, ils ne l'ont guère, ce choix. 

Et puis tout ça me questionne. Les scénaristes seraient-ils arrivés à bout de souffle dans leur imagination ? Mais alors, pourquoi les romanciers ne le sont-ils pas ? N'y aurait-il pas là, plutôt, une énorme paresse intellectuelle, doublée d'une course à la rentabilité ? Pas besoin de créateur, il suffit de regarder les chiffres des ventes littéraires, on contacte l'auteur, et paf, un film. Sauf que le danger est grand : le cinéma comme la littérature sont en train de perdre leur statut d'art à part entière. Ils deviennent des formes d'expression réduites à leur fonction narrative, et à un unique rôle de divertissement. S'il y a une histoire, peu importe qu'elle soit en mots ou en images. Que devient alors le pouvoir du style ? Il existe, pourtant, que ce soit dans l'écriture ou dans la réalisation. Et on est en train de le nier complètement. Pour rester dans la problématique de la jeunesse, on est en train de faire croire à nos adolescents, encore une fois, que tout se vaut. C'est le même problème que je rencontre lorsqu'une illustration présente en marge du texte que j'étudie avec les élèves mobilise davantage leur attention que le texte en lui-même. J'ai un mal fou à leur faire comprendre qu'il s'agit de deux oeuvres différentes, chacune avec leur spécificité et leurs qualités, mais que l'une ne remplace pas l'autre. C'est aussi, j'ose aller jusque là, le même problème que le langage : un mot pour un autre, deux orthographes différentes, pour les élèves, peu importe, "c'est pareil". 

Je rêve donc qu'à l'avenir, les écrivains fassent des livres, les réalisateurs des films, les peintres des tableaux, les photographes des photos, et que l'art continue à grandir parce qu'il n'est pas un, mais multiple. 

27 avril 2016

Meg Cabot : Avalon High

P1030003

Fiançailles d'Arthur et de Guenièvre présentée par son père le roi Léodagan, bénies par un évêque. Maître de Fauvel, Lancelot-Graal : Merlin, XIVe siècle. Crédits photos : BnF, Paris. 

 

Comme souvent, j'arrive (trop ?) tard. Meg Cabot n'a pas besoin de ma promotion pour être connue : c'est une référence dans la "chick lit", cette littérature "pour filles", comprenez avec des personnages principaux féminins et des couvertures roses (en gros). La traduction, c'est "littérature de poulettes". Il y a eu Bridget Jones, Sex and the city, puis la déferlante est arrivée aussi dans la littérature ado. 

Qu'est-ce qui a bien pu pousser la petite Mu à acheter un livre avec une couverture rose avec un coeur et des petites fleurs ? (Avec une mention explicite "Planète filles", au cas où on ne saurait pas à quoi s'attendre...) Tout simplement parce que je l'ai trouvé dans une liste de romans jeunesse sur le Moyen Âge. L'héroïne, Ellie, a des parents médiévistes qui lui ont donné le prénom de leur personnage fétiche, Elaine, Dame de Shallot, l'amoureuse éconduite de Lancelot. La référence au Moyen Âge pourrait s'arrêter là (ce serait déjà un élément original dans un roman de chick-lit). Mais il y a aussi le nom du nouveau lycée d'Ellie : Avalon High. Et ces faits étranges qui semblent s'accumuler autour d'elle : elle se retrouve avec une dissertation à rendre, justement, sur La dame de Shallot, et il y a ce garçon, Will, qu'elle jurerait avoir rencontré dans une autre vie. 

Voici en fait où l'auteure veut en venir : tout le roman est une réécriture de l'histoire d'Arthur, Guenièvre et Lancelot. Je spoile volontairement pour que vous sachiez à quoi vous en tenir avec ce roman, mais, si vous voulez donner ce livre à des adolescents, peut-être vaut-il mieux les laisser le découvrir. Qu'ils soient familiers des légendes arthuriennes ou non, la lecture fonctionne très bien. Ou bien ils auront plaisir, comme je l'ai eu, à décrypter les détails - nombreux - qui relient l'histoire moderne à l'histoire médiévale, ou bien ils ne s'en rendront compte qu'en même temps que l'héroïne, et un petit "Lexique des personnages" les aidera à comprendre définitivement tous ces liens. 

J'ai eu beaucoup de plaisir à avancer dans cette histoire. J'ai trouvé parfait le dosage entre références culturelles et récit d'adolescence. Pour ce dernier, ne vous attendez à rien d'exceptionnel : une jeune fille qui déménage à cause de ses parents, doit se faire de nouveaux amis, tombe amoureuse d'un garçon en apparence inaccessible... Mais, moi qui aime les réécritures et les univers à double sens, j'ai été convaincue. L'écriture de Meg Cabot est fluide ; je ne l'avais jamais lue, je comprends le succès "grand public". En même temps, les passages narratifs et descriptifs ne cèdent pas aux dialogues ou aux considérations psychologico-egocentrées qui rendent certains (mauvais) romans ados très fades. 

Très satisfaite de ma découverte, donc... mais quand je dis que j'arrive tard, c'est que, non seulement le roman a eu le temps d'être lu, relu, et d'avoir des suites, mais je m'aperçois aussi que le premier tome a été adapté pour Disney Channel. C'est toujours frustrant, quand on espère pouvoir faire découvrir ce qui a été pour nous une surprise. Et je suis encore une fois en colère de voir qu'aucun livre à succès pour ados n'échappe à l'industrie cinématographique. J'en reparle très vite. 

En attendant, ne boudez pas votre plaisir et, si vous lisez les deux autres tomes, donnez-moi votre avis ! 

 

Publicité
Publicité
<< < 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 30 > >>
Publicité
Lecture en cours

 

Le royaume de Kensuké

Visiteurs
Depuis la création 97 536
Publicité