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La petite Mu qui plume
7 octobre 2011

38 mini westerns (avec des fantômes)

"Pour ceux qui flippent des livres hantés, foutez-le dans le grille-pain, tous les fantômes seront auto-éjectés chez le voisin du dessous, pour l'éternité."

Un petit apéritif qui donne une idée de l'univers "à la Malzieu". Voici mes mots de l'époque : 

Petite tranche de rêve et de poésie au milieu de la neige, des whisky-menthes, des Kinder Surprise et de quelques fantômes... C'est vrai qu'après lecture, on se retrouve avec des morceaux de Dionysos accrochés un peu partout, des étoiles dans les yeux et un sourire tendre et flottant aux lèvres...

(Typiquement le genre de critiques que je n'aime pas lire à présent... Le genre qui ne dit pas grand-chose sur le livre et qui cherche à calquer le style de l'auteur, sans y parvenir bien sûr. Mais j'aime bien voir aussi comment ma propre plume a évolué au fil du temps.)

Je pense que cette lecture allait de pair avec mes rêves et mes pensées de l'époque. Je pense que, si je relisais ce recueil aujourd'hui, je prendrais un peu moins de plaisir qu'à l'époque, je trouverais sans doute les procédés d'écriture un peu répétitifs, un peu mécaniques... mécanique du coeur ou pas, ça peut en devenir lassant. Je place cependant ces 38 mini westerns bien au-dessus de la fameuse Mécanique, éponyme de l'album de Dionysos, que j'ai trouvée, pour le coup, presque fade, trop enfantine à mon goût. Le fait que les Westerns soient "mini" et qu'ils soient "38" contribuait à leur donner une vraie fraîcheur. Le passage au récit long m'a beaucoup moins convaincue.

Je pense donc tout à fait l'inverse de cette critique-là : http://souslefeuillage.blogspot.com/2011/01/38-mini-westerns-avec-des-fantomes.html

Je n'ai pas lu Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi, et, bon, maintenant, je n'ai pas trop envie de le lire ; quant au dernier opus, Métamorphose en bord de ciel, est dans ma bibliothèque : inscrit à la liste des livres à lire tout bientôt. 

Quelques tranches de westerns, sans fantômes, promis : 

"J'en ai rencontré un qui disait que le vent qui passe dans les volcans et les glaciers a un goût de caramel et que l'été, la nuit est argentée au point de se lover contre les cratères, lente et suave, comme une douche de mercure. Ainsi, on peut presque la toucher, grimper au sommet des volcans et se faire un gommage d'étoiles."

"De la pâte à bisous, voilà ce qu'elle est. En pyjama, en robe de soirée, dans son bain, sur son longboard ou devant la télé, c'est une pâte à bisous. Une vraie petite crêpe avec de jolis petits seins, des taches de rousseur et des yeux remplis à ras bord de limonade. Tout le temps elle me donne envie de l'embrasser, de me rouler contre elle et tout ça. Une vraie pâte à bisous."

"Pleine lune, les nuages trempent dedans comme d'incroyables bleutées. On dirait des morceaux d'océan coagulés dans le ciel."

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8 octobre 2017

Chitra Banerjee Divakaruni : Le palais des illusions

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Il y a un peu plus d'un an, je recevais des box de livres du site Exploratology. 

Et en fait, je n'en avais lu aucun en entier. J'avais commencé le premier reçu, Hérétiques de Leonardo Padura, mais je m'étais arrêtée à la moitié, un peu perdue (je compte le recommencer, je n'aime pas ne pas finir un livre). Les deux autres, d'inspiration asiatique, je les avais gardés pour plus tard.

Plus tard, donc, j'ai lu Nostalgie de la rizière d'Anna Moï : bof. J'ai lu toute la deuxième moitié en diagonale, pas tellement accrochée ni par le style ni par la narration de ces pseudo-nouvelles (l'auteure les présente comme telles, mais c'est toujours la même narratrice, et chaque récit est une étape de sa vie, donc je ne vois pas trop la différence avec un roman divisé en courts chapitres). Dans la première partie, la seule chose que j'ai aimée, ce sont les réflexions autour du chant et de la voix (auxquelles le visionnage d'une chouette émission d'Arte, La voix en quelques éclats, a fait écho).

Mais le troisième essai fut le bon : ce Palais des illusions, de l'Indienne Divakaruni, m'a passionnée. D'autant plus qu'il m'a plongée dans un univers que je connaissais très peu : les légendes indiennes issues du livre sacré, le Mahabahrata. 

Comme l'écrit l'auteure elle-même dans sa préface, elle s'était fait cette promesse : "Si un jour j'écris un livre... je placerai les femmes au premier plan de l'action. Je dévoilerai l'histoire invisible qui repose entre les lignes des prouesses des hommes." Ce roman est donc une version féminine du Mahabahrata. Une histoire racontée par une femme, la princesse Panchaali, dont le destin est lié à ceux de beaucoup d'hommes (son père, son frère, ses cinq époux, ses ennemis...), mais dans lequel elle essaie, tant qu'elle peut, de faire exister sa puissance de femme. 

Je n'ai pas pu m'empêcher de penser, à différentes reprises, à Daenerys Targaryen - la Khaleesi, Mother of Dragons et tout ce que vous voulez -, l'une des héroïnes (la principale ?) de Game of Thrones. Chez Daenerys comme chez Panchaali, il y a cette rage de vivre, de se venger de tous ceux qui se mettent en travers de leur chemin, une rage cependant associée à une réelle soif de justice, pour tous, d'harmonie, d'équilibre dans l'univers. L'une comme l'autre, elles sont persuadées du rôle qu'elles ont à jouer dans cette conquête (plus qu'une quête) de l'harmonie. L'une comme l'autre, elles ont de nombreux adversaires, et le premier réside dans leur condition féminine. Repensez à ces premiers épisodes de GOT : on y voit la jeune Daenerys offerte par son frère au khal Drogo (chef d'une tribu nomade, aux rites qui semblent très barbares à la toute jeune femme). Elle saura par la suite transformer ce qui aurait pu être une soumission, voire une humiliation, en la première étape de son ascension vers le pouvoir. Panchaali fait exactement la même chose (elle, elle est même mariée de force à cinq frères à la fois, à cause d'une promesse hasardeuse de leur mère). 

Je n'en dis pas plus sur l'histoire : impossible de toute façon de résumer cette épopée (fleuve comme toute épopée qui se vaut). Il y a tout, des combats, des légendes, des apparitions divines et merveilleuses, de la sagesse, et surtout beaucoup d'introspection et de réflexion sur les sentiments et la manière dont ils évoluent au cours de notre vie. C'est très addictif, avec de petits chapitres, quelques prolepses, juste ce qu'il faut pour donner envie de lire la suite, et rappeler que, dans ce genre de récits, les faits sont prévisibles, écrits depuis le début.Chitra Banerjee Divakaruni a su donner une réelle modernité à des mythes ancestraux, simplement en changeant de point de vue. 

Une belle expérience de lecture, que je recommande vivement ! 

Pour découvrir Exploratology et ses abonnements de livres : 

Slide-Box-livres-Exploratology

 

Et pour revoir l'émission d'Arte sur la voix :

La voix en quelques éclats Arte

10 novembre 2017

Sylvain Tesson : Berezina

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Ah, Sylvain Tesson ! Découvert il y a quelques années dans une émission spéciale de La Grande Librairie (oui, bon, vous allez croire que j'ai des actions à France 5 à force de vous parler de cette émission, mais c'est ainsi !) où il avait lu, en guise de livre préféré, des aphorismes d'un auteur que j'ai été incapable de retrouver malgré mes recherches. Un choix qui détonait parmi les autres propositions, et qui m'avait donné envie de découvrir le personnage. Ma première rencontre avec son écriture a été Dans les forêts de Sibérie, et ce fut un éclair. L'écrivain de la nature et de la culture entrelacées, désormais, pour moi, ce fut lui. J'ai ensuite essayé des nouvelles, S'abandonner à vivre : moins convaincue. Abandonnées en cours de route. Puis j'ai renoué avec sa magie avec Sur les chemins noirs, après avoir découvert (chez Yann Barthès cette fois ! Je varie les plaisirs télévisés !) qu'il avait connu un terrible accident, le privant temporairement de ses jambes. Et comme Sylvain Tesson ne fait jamais rien comme tout le monde, en guise de rééducation, il a traversé la France sur des chemins oubliés. Ben oui. Et ça donne aussi un livre génial. Je ne me suis pas encore procuré son journal, Une très légère oscillation, mais j'ai hâte, j'ai hâte ! Et puis il y en a tellement d'autres que j'aimerais découvrir... 

Aujourd'hui, c'est de son avant-avant-dernier récit de voyage (avant les Chemins noirs et le journal, donc) que je veux vous parler. Vous le savez déjà si vous avez parcouru régulièrement les colonnes de ce blog, j'aime les pays froids, leur neige, leurs grands espaces. Il était donc logique qu'après avoir séjourné au bord du lac Baïkal avec Tesson, je l'accompagne sur la route de la retraite de Russie. Encore un projet original conçu dans cet esprit atypique : rouler sur les traces de Napoléon, dans son retour de Moscou à Paris. Tesson, lui, le fait en side-car (un Oural, bien sûr), avec quelques amis, des Français et des Russes. Cette fois-ci, c'est un dialogue entre le présent et le passé, le voyage intérieur et le voyage lu, l'Histoire et la géographie, que nous livre Tesson. Il y a bien sûr des lectures dont il nous livre de nombreuses citations, mais leurs auteurs ne sont pas des écrivains de Littérature, mais des compagnons de voyage de Napoléon, notamment son grand écuyer Caulaincourt. Et j'avoue que, moi qui ne suis pas une grande lectrice d'essais historiques (exception faite pour certains sur la période médiévale qui me passionne), j'ai pris plaisir à plonger dans les détails les plus précis de ce célèbre échec de l'Empereur. Evidemment, cela permet à Sylvain Tesson de nombreuses réflexions sur le choc des cultures (les Russes face aux Français), l'humanité et l'animalité (il y a de très belles pages notamment sur le sort réservé aux chevaux pendant les batailles), et le pouvoir du voyage sur la méditation : 

"J'en étais persuadé : le mouvement encourage la méditation. La preuve : les voyageurs ont toujours davantage d'idées au retour qu'au départ. Il les ont saisies, chemin faisant. Leurs amis en font d'ailleurs les frais, cela s'appelle les récits de mon voyage. [...] Quand on se "branle" (selon l'expression de Montaigne pour désigner le voyage), l'échauffement du corps produirait de l'énergie spirituelle et contribuerait au jaillissement des idées."

Oui, parce que, cette fois-ci (contrairement aux Forêts), j'ai pensé à prendre des notes ! Indispensable pour retrouver ce style inimitable, mêlant réflexion, culture (Tesson serait-il plus cultivé que la moyenne ?...) et humour décapant. Allez, je vous propose d'autres morceaux choisis. Pour sourire, et s'instruire en même temps : 

"En Russie, on compte en grammes l'alcool que l'on boit. Un petit verre : 50 grammes. Un gros verre : 100 grammes. Une matinée bousillée : 500 grammes."

"[Le Mal napoléonien] Titre du brillant (mais sujet à débat) livre de Lionel Jospin [...], lequel partage avec l'Empereur le fait d'avoir raté une campagne."

Pour réfléchir : 

"Un haut lieu, c'est un arpent de géographie fécondé par les larmes de l'Histoire, un morceau de territoire sacralisé par une geste, maudit par une tragédie, un terrain qui, par-delà les siècles, continue d'irradier l'écho des souffrances tues ou des gloires passées. C'est un paysage béni par les larmes et le sang."

Et pour la beauté de la formule : 

"La lumière de l'été, brouillée par la vapeur, allaitait jour et nuit les côtes de Baffin."

Sylvain Tesson, c'est tout ça à la fois, et bien plus encore. Ses livres, il faut les dévorer et les savourer en même temps - difficile exercice. Ils sont toujours trop courts, mais laissent une saveur bien au-delà de la dernière page. Un bien grand auteur, qui semble avoir tout compris à l'écriture. Si avec ça vous ne vous lancez pas !... 

5 octobre 2019

En route vers la propreté !

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Je n'aime pas tellement cette expression, "apprendre la propreté" (ma fille a beau porter des couches, elle est très propre, elle s'essuie les mains si elle a un millimètre carré de yaourt sur les doigts), mais j'ai compris que les livres portant sur le sujet deviennent incontournables à un certain moment. Ici, on en est à peine à l'explication de ce qu'est un pot. Pourquoi pas découvrir par la lecture, comme souvent avec les enfants ! 

Il existe tellement de titres sur le sujet que je me suis lancée un peu au hasard. Le premier, Qu'y a-t-il dans ta couche ? , a été repéré sur le site de Décitre. Le deuxième, Et mon caca ?, aperçu sur les rayonnages des livres cartonnés dans la librairie du coin. Coup de coeur pour le deuxième, petite déception pour le premier. 

La déception est d'abord une erreur liée au fait d'avoir commandé le livre sans l'avoir en main. Il est plus grand et plus fragile que je ne le pensais (pourtant, j'avais lu la mention "avec des rabats" sur la couverture, mais j'avais dû zapper l'information). Du coup, je ne suis pas sûre de pouvoir le mettre tout de suite entre les mains de ma fille (expérience déjà tentée avec d'autres livres non cartonnés et avec des rabats : elle a beau être délicate, un instant de vivacité est fatal pour le livre). Sinon, il est assez rigolo, avec cette petite souris curieuse qui demande à regarder dans la couche de tous les animaux qu'elle croise : 

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A la fin (attention, spoiler), quand tous les animaux réunis demandent à leur tour à la souris ce qu'il y a dans sa couche, surprise ! Il n'y a rien... parce qu'elle, elle fait ses besoins sur un pot, bien sûr ! Et la ribambelle d'animaux de la ferme de s'asseoir chacun sur un pot : image plutôt cocasse et (j'espère) incitative, pour l'enfant, à reproduire la scène. 

Ce qui m'a déçue là-dedans, c'est en fait que l'histoire ressemblait trop à l'autre album, Et mon caca ?, que j'avais acheté et montré à la poupette en premier, mais avec un texte moins travaillé (trop de mots, un mélange de ton entre des mots de bébé, "beurk", "caca", et des expressions qu'on utilise peu ou pas avec un enfant, comme "faire ses besoins"). 

Et mon caca ?, lui, associe défécations et poésie, et c'est très réussi ! Je vous laisse découvrir par vous-même : 

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Vous avez compris l'idée. Les dessins ne sont pas dans le style que je préfère, mais l'association avec ce texte tout en mélodie m'a bien plu. Et ce premier livre sur le caca de notre bibliothèque plaît également beaucoup à ma fille. C'est drôle car j'ai l'impression que, jusqu'à présent, elle n'associait pas vraiment le mot "caca" à une image (en même temps, on ne lui a jamais mis une de ses couches sous les yeux pour lui montrer ce que c'était). Là, cela lui permet de le faire, et en même temps de s'amuser avec les différents animaux. 

Le livre se termine comme il se doit par une petite fille et son pot. On est donc bien dans la thématique de la propreté. 

Et vous, quels sont vos coups de coeur "pipi/caca/pot" ?

3 mars 2020

Un album, deux lectures : Clac la tortue et l'accord du participe passé

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La déformation professionnelle, vous connaissez ? Pour une enseignante, c'est par exemple lire un album à sa fille de deux ans (et même avant) et se dire "tiens, ca, ça pourrait me servir avec mes élèves !" Lesquels élèves ont, en ce qui me concerne, au moins neuf ans de plus que ma Minimu. 

Alors, me demanderez-vous, comment se peut-il qu'un livre pour tout petits ait une fonction pour des collégiens ? Il faut pas mal d'imagination, une dose d'expérience professionnelle et un soupçon d'intuition !

Cette nouvelle série d'articles n'a pas vocation à être réellement pédagogique, mais plutôt à vous faire entrer dans le cerveau de Professeure Mu, dans ces fameux moments de déformation professionnelle. 

Par exemple, prenons ce titre de la collection "La p'tite étincelle" de chez Frimousse, que j'aime beaucoup parce qu'elle décline sur un principe simple et avec des illustrations graphiques et rigolotes toute une panoplie d'animaux, parmi lesquels chaque parent trouvera forcément l'animal favori de son enfant ! 

Eh bien, quand Professeure Mu lit les quelques pages de Clac la tortue, la première chose qui lui saute aux yeux, c'est la foultitude de participes passés utilisés dans le récit! On dirait un manuel de grammaire tant tous les cas sont représentés : avec l'auxiliaire être, avec l'auxiliaire avoir, avec ou sans COD placé devant le verbe, avec des verbes pronominaux, sans oublier les participes utilisés comme adjectif. 

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Une idée malveillante germe alors dans l'esprit de Professeure Mu, celle de faire de ce texte une leçon de grammaire adressée aux collégiens, ou, pourquoi pas, une dictée d'entraînement ! Certes, je me heurte à un certain écueil, à savoir que les accords complexes du participe sont étudiés en 4e ou 3e : des adolescents si grands seront-ils enclins à travailler sur un texte si infantile? Le pari est cependant lancé, et peut-être que j'en rendrai compte un de ces jours chez la petite Mu !

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24 août 2016

Des albums sur le genre

Dans les sorties d'albums jeunesse 2016, deux albums abordant la question du genre ont retenu mon attention. 

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Le premier, Emile ou la danse de boxe, fait partie d'une série écrite par Vincent Cuvellier et illustrée par Ronan Badel, et il m'a fait découvrir le personnage irrésistible d'Emile, un sacré garnement au caractère bien trempé. Quand il veut quelque chose, il ne se laisse pas détourner de son objectif. Vous voyez sa tête sur la couverture ? Eh ben, pareil tout le temps. Si les titres des autres albums de la série sont assez classiques, Emile a froid, Emile fait un cauchemar, Emile invite une copine, et ne semblent pas tellement différents des archi-classiques Max et Lili, de petites surprises se cachent quand même derrière certaines histoires : par exemple, la "copine du parc" qu'Emile fait venir chez lui n'est pas celle à laquelle ses parents (et le lecteur) s'attendent. Et, pour l'album dont il est question aujourd'hui, c'est dès le titre que le lecteur est interpellé. C'est quoi, "la danse de boxe" ?

En fait, personne ne le sait très bien, surtout pas les parents d'Emile, qui veulent "inscrire Emile à l'activité" (joli petit clin d'oeil critique à cette injonction sociétale où tout le monde, dès son plus jeune âge, doit faire "des choses", le plus possible). Sauf que dans la liste, Emile ne veut pas faire éveil au yoga, foot en salle ou découpe papier-carton. Il veut "faire de la danse, mais de la danse de boxe". Parce que "la danse de boxe, c'est pas pour les filles, c'est pas pour les garçons, c'est pour les danseurs de boxe !" Voilà, dans cette phrase, tout est dit. Ce combat d'Emile pour faire l'activité qu'il a choisie, lui, c'est un beau combat pour le droit de chacun à sortir des cases.

Ce que je salue dans cet album, c'est qu'à aucun moment l'auteur n'abandonne pour tenter de faire rentrer son héros dans un cadre plus conventionnel, même s'il fait beaucoup rire ses petites camarades de cours de danse. Jusqu'au bout, Emile "aime bien, il aime bien la danse". Certes, sur l'avant-dernière page, on peut soupçonner le jeune garçon d'aimer tout particulièrement être entouré de filles en tutus qui lui font des bisous. Mais, quand bien même ce serait sa motivation finale, ce n'était pas la première, et l'album se termine bien par une image d'Emile, tout seul, en marcel vert et caleçon rose, imperturbable dans son froncement de sourcils avec les "Hi hi hi" en arrière-plan. 

Un album court et très efficace, à lire dès 3 ans, pour dénoncer plusieurs travers de notre société et de la pression qu'elle cherche à imposer aux parents et aux enfants. 

 

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Le second est plus poétique et s'adresse, d'après les éditions du Rouergue, à un public adolescent. Moi qui suis d'habitude frileuse avec les prescriptions d'âge (j'ai tendance à très vite trouver un ouvrage complexe et déconseillé aux plus jeunes), j'inclurai pour le coup les préados dans cette cible. Parce que le texte repose sur des jeux de sons qu'un écolier de cycle 3 peut certainement comprendre, avec des phrases courtes, au vocabulaire plutôt simple, et que le propos ne doit évidemment pas être réservé aux plus grands. 

"B.B.", en quatrième de couverture, ce n'est pas Brigitte Bardot, mais Annabelle, ou Buffalo Belle, qui dès l'école maternil préfère le tractopil à la maril, et, adolescent-e, refuse le ricelle et rêve de pantalons et de bretils. Le personnage grandit au fil (pardon : au felle) des pages, et arrive l'âge adulte où la question se pose différemment, parce qu'à "l'état civelle [...], elle ou il, ce n'est plus désormais un détail futelle". La fin est très ouverte, et laisse libre cours aux interprétations, lumineuses ou sombres. La fusion avec la nature est évoquée, parce que tout y est plus facile - facelle, plus "subtelle". 

J'ai beaucoup aimé cet album qui se lit à toutes sortes de niveaux : on peut s'arrêter sur le texte ludique qui nous fait redécouvrir la langue française ; on réfléchit, forcément, aux diktats concernant le genre et l'identité sexuelle ; on s'intéresse enfin à la différence, qui prend diverses formes, à l'identité au sens large, au développement de soi. L'auteur et illustrateur, Olivier Douzou, raconte sur le site des éditions du Rouergue la genèse de cet album, fortement inspiré par ses enfants et en particulier sa fille Zélie. Je lui laisse la parole, pour conclure : 

"On peut affirmer dans notre bon français
que certaines gens sont incertains

Les accords réservent des surprises

Singulièrement l'amour est il
et plurielles les amours sont elles"

Un sacré farceur, ce bon français... 

 

Quelques liens pour prolonger la réflexion sur la thématique du genre dans les albums pour enfants :

un article chez La voix du livre, qui prend pour cible les albums Papa et Maman des éditions Sarbacane, et en profite pour nous donner tout un tas d'exemples et de contre-exemples ;
- un blog tout entier, Fille d'album, une vraie mine d'analyses et d'idées lecture ; 
- une réflexion sur le rôle de l'école et du collège, dans un article de Max Butlen intitulé "Que faire des stéréotypes que la littérature adresse à la jeunesse ?"

Et les albums : 

Emile et la danse de boxe 
Auteur : Vincent Cuvellier
Ilustrateur : Ronan Badel
Editions  Gallimard jeunesse - Giboulées

Buffalo Belle
Auteur et illustrateur : Olivier Douzou
Editions du Rouergue 
 

 

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8 mars 2020

Journée de la femme, petite et grande !

De plus en plus d'articles de blogs fleurissent avec pour intitulé : "livres féministes pour enfants", "littérature jeunesse anti-sexiste", et c'est génial ! Je n'ai donc nulle vocation à dire quelque chose de neuf à ce sujet. Un prochain article fera néanmoins le point sur certains lectures plus ou moins anciennes que je souhaite remettre à l'honneur pour l'occasion. Vous pouvez donc plutôt prendre la plumerie d'aujourd'hui pour un tour d'horizon des meilleures présentations des meilleurs livres mettant à l'honneur les femmes, la lutte contre le sexisme, et la réflexion sur les préjugés liés au genre

Des idées de lectures anti-stéréotypes 

Le blog qui à mon sens fait référence en la matière, c'est celui-ci : 

2020-03-02

Fille d'albums, le titre annonce la couleur. D'après l'auteure, bibliothécaire en section jeunesse à Paris, "le blog tire son nom du passionnant livre de Nelly Chabrol-Gagne, Filles d’albums, les représentations du féminin dans l’album". Il promet de devenir mon nouvel outil de référence en matière de littérature jeunesse, car il foisonne de liens, de bibliographies, d'études développées... Le fait d'être spécialisé dans "une littérature jeunesse antisexiste" n'en appauvrit nullement le contenu, car il s'agit tout simplement de proposer une littérature de qualité et de réfléchir sur le sujet. La question des représentations du genre dans les livres pour enfants est tellement féconde qu'elle permet de parler de beaucoup d'auteurs, d'illustrateurs, d'éditeurs ou de médias. 

Tout le blog est une mine pour proposer des livres engagés et engageants à nos enfants, mais il faut aller dans Livres si vous souhaitez une liste précise. J'ajoute aussi un lien vers le blog de "Maman, rodarde !" et tout particulièrement son article sur le vernis et les garçons, car c'est là qu'elle partage généreusement ses petits dépliants anti-préjugés destinés aux enfants... comme aux adultes. 

 

Des sélections de littérature jeunesse sur l'égalité garçon-fille et la lutte contre les préjugés de genre, voici également où l'on en trouve : 

 Sur le site Parisianavores,

 Parisianavores – Blog Lifestyle / Food / Voyage / Kids

 Sur le site du collectif "Je suis féministe", évidemment : 

Logo

 

Sur le blog Un invincible été, dont l'auteure est membre du Club de lecture féministe des Antigones : 

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Sans oublier Télérama qui ne manque pas de jolies sélections : 

Résultat de recherche d'images pour "télérama"

Ce qui vous fait déjà une bonne petite pile à lire ! 

 

"La littérature genrée, en 2020, ça n'existe plus !..."

Et côté obscur, qu'est-ce que ça donne ? (Car malheureusement, l'exclamation ci-dessus est fausse...)

 

Livres de filles

 

Pas besoin d'aller très loin, car ce cher Google me propose pour les mots-clés "livres féministes pour petites filles" le lien suivant : Livres filles de 8 à 12 ans - Romans que les filles adorent, renvoyant à une page du site Lisez.com, "le site d'actualité des maisons d'éditions du groupe Editis" (comprenant Nathan, Pocket, Syros...) Un beau concentré de rose et de chick lit déclinée pour les plus jaunes ! Alors, oui, si j'enlève "pour petites filles" en le remplaçant par "littérature jeunesse" dans ma recherche, je ne trouve plus ce lien. Mais voici tout de même ce que Google  : du Sophie Kinsella, des collections nommées "Cupcake girls", "Les princesses magiques" ou encore "20, allée de la danse". Donc les filles aiment la pâtisserie, font de la danse et rêvent d'être des princesses. A peine trouve-t-on deux Peter Härtling, un Hélène Montardre et un Susie Morgenstern. 
Je me suis amusée à chercher d'où venait cette sélection. En fouillant un peu sur le site, je me suis tout simplement rendue compte qu'il s'agissait d'une catégorie de recherches dans la partie "Roman enfant 8-12 ans". Déjà que cette différence de catégories m'horripile sur les sites de vêtements bébé (on ne peut plus chercher un body ou un pyjama sans être obligé de spécifier si l'on cherche pour un garçon ou pour une fille), mais alors pour des livres ! Quand j'aurai le temps, je ferai un tour des différents sites d'éditeurs pour voir s'il s'agit d'une pratique courante, ou d'un cas isolé. 
Tant que j'y suis, une rapide analyse supplémentaire : dans la catégorie "Roman Fille 8-12 ans", on compte 62 titres. Dans la catégorie "Roman Garçon"... 3 seulement. Encore un stéréotype ? A 8 ans, les garçons ne lisent plus, enfin... 

 

2020-03-07 (2)

 

Et pour finir, je ne finirai jamais d'être choquée par la fameuse collection chez Fleurus, "P'tit garçon" et "P'tite fille". Comment un éditeur peut-il encore, en 2019, poursuivre une telle collection ? Le pire, c'est qu'il y a des choses très bien chez Fleurus. J'aime assez la série sur les émotions par exemple : j'ai failli acheter Petite colère il y a peu. 
Je m'attarde un peu sur les pages du site pour faire de nouveau quelques statistiques. Le nombre de titres est à l'opposé du lien dont je parlais précédemment : ici, 38 livres "P'tit garçon" contre... 9 pour les filles ! Alors, oui, si l'on regarde en détail, parmi les 38 titres des garçons, certains sont des rééditions avec des contenus supplémentaires. Le résultat reste le même : la collection ne s'agrandit pas autant pour les filles. 
Poursuivons l'analyse : dans la collection "P'tite fille", on imite. Voici les titres : Lisa joue à la maîtresse, Zoé joue à la marchande, Rose joue à la princesse... En plus d'être cantonnées à leurs rôles, les filles ne semblent avoir de raison d'être que de reproduire une vie d'adulte, sans désir propre. Du côté des garçons, on n'est pas, on possède, et que des gros engins, évidemment : Le camion de Léon, Le tractopelle d'Axel, Le canadair d'Albert, L'avion de chasse d'Elias... Les auteurs de la collection rivalisent d'imagination pour parfaire le vocabulaire des véhicules tout en leur associant les prénoms d'hier et aujourd'hui. 

Je lance une alerte ! Fleurus, si vous m'entendez, arrêtez au plus vite cette collection et remplacez-la par d'autres titres réussis comme vous savez le faire ! Je vous assure que les enfants seront ravis... et les parents aussi ! 

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8 avril 2020

Miss Islande : sois belle et écris

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Dans mon carnet de lecture du mois de mars, je demande le dernier opus de l'Islandaise reconnue, Auður Ava Ólafsdóttir, auteure de Rosa candida et du Rouge vif de la rhubarbe, entre autres (pas tant d'autres que cela, d'ailleurs : sa bibliographie ne compte pour l'instant que six titres).

Une amie m'en a fait le cadeau, et elle a vu juste : j'aime l'auteure, j'aime la collection et ses couvertures graphiques et attirantes, j'aime l'univers islandais, et en plus, ici, le combat d'une femme est à l'honneur ! Et je décide aussi que ce titre comptera dans le Néo-défi lecture 2016 (oui, 2016, vous avez bien lu), que je finirai coûte que coûte, même dix ans plus tard ! 

J’avais déjà lu (et aimé) Rosa Candida, même si je n’en garde qu’un souvenir assez lointain. J’avais voulu lire Le Rouge vif de la rhubarbe, à l’époque du Néo-défi lecture 2016, pour la catégorie « un livre écrit dans une langue parlée par moins de … locuteurs ». Et puis le temps avait passé, et j’avais oublié cette auteure islandaise, jusqu’à ce qu’une amie m’offre le dernier titre paru en automne 2019.

Une histoire de femmes… mais pas seulement

L’héroïne ordinaire de ce roman, c’est Hekla, une écrivaine de vingt-et-un ans, qui décide de vivre sa vie, tout bêtement. Elle quitte donc la campagne islandaise pour la capitale Reykjavík. Elle se fait embaucher dans un hôtel comme serveuse, et organise son temps entre son travail et l’écriture. Le titre du roman fait référence à une proposition reçue par Hekla de la part d’un inconnu dans un car : candidater pour le titre de Miss Islande. Car aux yeux de beaucoup d’hommes qu’elle croise, Hekla est belle. Trop belle pour postuler dans une boulangerie sans que le patron ne lui propose de partager une chambre avec lui. Trop belle pour travailler en cuisine à l’hôtel Borg, on ne cache pas « une reine de beauté dans les cuisines ». Ce sera donc la salle, et toutes les formes de harcèlement et de discrimination qui y règnent au quotidien chez les clients, pour qui tout est permis. Trop belle aux yeux de certains pour écrire.

A l’histoire d’Hekla s’ajoutent celles de de ses deux meilleurs amis : Ísey, jeune mère au foyer délaissée par son époux, aux prises avec une vie intérieure débordante qu’elle cherche à dissimuler, et Jón John, homosexuel en lutte pour affirmer son identité, ses droits, et sa passion du stylisme.

Un roman sur l’écriture

Ce roman n’est pas qu’un manifeste contre le féminisme et l’homophobie. Certes Jón John revient beaucoup sur le sujet, et presque tous ses dialogues avec Hekla tournent autour de la défense de la cause des homosexuels, de l’injustice qu’il ressent et de son rêve d’un monde meilleur et sans jugement. Mais Hekla, elle, ne se formalise que peu du sexisme ambiant dont elle est la victime. Elle avance, étape par étape, remet à sa place ceux qui ont besoin de l’être, refuse un emploi quand il s’accompagne de propositions malhonnêtes, et reprend tous les soirs sa machine à écrire. L’écriture d’Ólafsdóttir, qui ne se perd pas en digressions inutiles, tout en chargeant le texte de poésie et de réflexion, imite parfaitement la démarche d’Hekla : ne pas s’appesantir sur les problèmes, avancer, et consacrer sa vie à l’art.

Les personnages sont vraiment attachants, peut-être davantage les personnages secondaires d’ailleurs. Je crois que celle en qui je me suis le plus retrouvée est Ísey. Il fallait en tout cas ce trio, à mon sens, pour donner toute la force au parcours d’une jeune femme islandaise qui ne sera pas – désolée du spoiler – une Miss Islande, car elle a préféré être elle-même.

Auđur Ava Ólafsdóttir, Miss Islande, 2019, éditions Zulma (celles avec les belles couvertures colorées et géométriques).

17 mars 2020

Hugo Clément : Comment j'ai arrêté de manger les animaux

Comment j'ai arrêté de manger les animaux

Confinement, jour 1. Heureusement, il y a du soleil. Et j'ai passé un peu de temps avec un jeune homme plutôt intéressant. 

Je termine aujourd'hui une lecture entamée il y a quelques semaines, sans grande conviction. Cadeau de mon mari qui, depuis quelques temps, prend des coups de sang à l'idée qu'on mange trop de viande et qu'il faut arrêter. Moi, jusqu'à présent, je n'avais même pas tellement envie de me poser la question. Hugo Clément part d'ailleurs de ce postulat : la plupart des personnes qui mangent de la viande ou du poisson choisissent de ne pas se poser trop de questions et de ne pas trop s'informer, car ils savent que la connaissance entraînera la culpabilisation. Et il faut le reconnaître : il n'a pas tort. 

Je ne compte pas résumer ici les propos du journaliste devenu écrivain avec cet ouvrage : son livre étant justement un résumé des analyses de diverses provenances (ouvrages scientifiques, rapports d'associations ou d'ONG, témoignages oraux...), le résumer encore reviendrait à le vider de sa substance. Je vais seulement partager son plan, à savoir les différents arguments qu'Hugo Clément énonce en faveur de sa thèse : cesser de manger de la viande, du poisson, ou tout produit d'origine animale. 

Argument 1 : les animaux d'élevage sont des êtres sensibles et intelligents, qui éprouvent la douleur et la souffrance psychologique. 
A l'appui de cet argument, des comptes-rendus d'expériences menées sur les bovins, les moutons, les poulets, les cochons et les poissons, démontrant leur intelligence et leur réaction aux différentes formes d'agressions. 

Argument 2 : la majorité des élevages ne respectent pas le bien-être de l'animal ; la quasi-totalité des abattoirs le dénient également. 
A l'appui de cet argument, des témoignages directs et indirects de la vie dans un élevage ou un abattoir et des actes cruels - y compris légaux - qui s'y déroulent. 

Argument 3 : l'élevage est responsable d'une très grande partie des problèmes environnementaux. 
A l'appui de cet argument, des statistiques qui contredisent parfois l'opinion commune. 

Argument 4 : l'être humain n'a pas besoin de protéines animales pour sa santé, son développement ni son bien-être. 
A l'appui de cet argument, le cas personnel du jeune trentenaire ayant cessé assez récemment de consommer des produits animaux, et des propos de médecins et scientifiques. 

Ces arguments sembleront une évidence pour certains d'entre vous. Cependant, le propos d'Hugo Clément, c'est de faire remarquer qu'entre nos pensées et nos actes, il y a souvent un fossé. En fait, il ne suffit pas de lire les arguments résumés en une phrase. Ce qu'il faut pour se convaincre d'arrêter de manger de la viande ou du poisson, ce sont des détails. C'est ce dont cet ouvrage abonde : des chiffres, rapportés sous toutes les formes possibles afin de les rendre compréhensibles, je dirais "appréhensibles" par tous (par exemple, pour moi, c'est plus parlant de savoir combien de bêtes sont tuées à la minute, par exemple, que d'avoir le chiffre total), mais aussi des récits. J'allais dire "des récits de vie", et c'est finalement bien de cela qu'il s'agit : la vie de tous ces animaux d'élevage consommés au quotidien dans notre pays, et, en second plan, la vie de quelques humains marqués par ces pratiques, comme Mauricio Garcia-Pereira, interviewé par Hugo Clément car il a travaillé plusieurs longues années dans un abattoir, avant d'en partir définivement. 

Ces détails fonctionnent. De même que certaines subtilités, dès le titre : Hugo Clément n'explique pas "pourquoi" il a cessé de manger de la viande et du poisson, mais "comment". Son livre s'adresse à des lecteurs déjà convaincus par la théorie, mais qui ont besoin d'un exemple pour passer à l'acte à leur tour. De même, il a arrêté de manger "les animaux", et non pas "des animaux". Cette utilisation généralisée de l'article indéfini pour parler des bêtes que l'on mange, "du poulet", "de l'agneau", est l'une des preuves que les carnivores préfèrent dénier aux animaux leur individualité, car c'est ce qui leur permet de les manger tranquillement sans penser à eux comme des individus. 

Ajoutons enfin que, du début jusqu'à la fin, Hugo Clément précise qu'il ne veut pointer du doigt personne, ni tenir un discours culpabilisant. Il revient plusieurs fois sur ses propres contradictions morales ou environnementales, et raconte en amont qu'il a longtemps mangé viande et poisson sans se poser de questions. 

J'ai trouvé cet ouvrage diablement efficace. L'ayant fini il y a quelques heures, c'est trop tôt pour vous dire s'il sera le déclencheur d'un changement radical de mon alimentation, moi qui mange des produits animaux depuis trente-trois ans. Mais c'est le premier discours que je lis sur le sujet à provoquer en moi autant de réflexions. 

Merci donc, cher Hugo Clément, de m'avoir proposé cette lecture certes difficile à bien des égards, mais moultement intéressante

27 décembre 2011

Le rêveur

Pour une fois, en guise de morceau choisi, voici un extrait de l'interview de Ian McEwan, en fin d'ouvrage (ces pages que j'aimais tellement lire à la fin des Folio ou des Lecture Junior quand j'étais petite, moi qui me targuais de devenir écrivain...). Plus précisément, sa réponse à la question : "Quel conseil donneriez-vous à un écrivain débutant ?"

"Je conseillerais à un écrivain en herbe de tenir un carnet et d'y noter chaque jour quelque chose. Deux sortes de choses : ce qui lui est arrivé dans la réalité, et aussi ce qui s'est passé dans ses rêveries, dans son monde imaginaire."

Associez ces deux mondes, celui du rêve et celui de la réalité, et vous obtiendrez les sept histoires qui composent ce premier et unique (pour l'instant) récit jeunesse de l'un de mes auteurs fétiches du moment. Peter Fortune est un garçon très imaginatif à qui son esprit rêveur en fait voir de toutes les couleurs : Peter se retrouve tour à tour attaqué par la Vilaine Poupée et sa cohorte de consoeurs, transporté dans la peau d'un vieux chat en mal de réputation ou d'un bébé Cadum, contraint d'élaborer des stratégies pour capturer un mystérieux cambrioleur... 

Cette lecture est en fait une relecture. Et, comme par magie, certaines phrases, certains passages entiers se reformaient dans ma tête avant même que mes yeux se posent dessus : ces histoires sont en fait restées bien gravées dans ma mémoire, jusque dans les détails. Preuve du pouvoir captivant de ce petit livre sans prétention autre que de faire voyager un court moment (une centaine de pages) des jeunes lecteurs en quête de fantaisie et d'étrangeté. 

A la fin du livre, Gallimard Jeunesse propose deux autres titres en Folio Junior : Le chat qui parlait malgré lui, de Claude Roy (lu quand j'étais petite mais dont je ne garde qu'un souvenir très, très flou), et J'étais un rat ! de Philip Pullman, que j'aimerais découvrir. Deux futures (re)lectures, donc, qui pourront, en outre, m'être utiles dans le cadre d'un cours sur les métamorphoses... (foutue déformation professionnelle qui fait passer la prof avant la lectrice parfois...)

 

26 janvier 2012

Uglies

Mais comment en viens-je, en ce moment, à lire des romans dont la couverture me déplaît tellement ?... Petite explication pour cet ouvrage-là.

Depuis ma découverte de Jenna Fox, je suis à la recherche de bons romans d'anticipation pour ados, du genre que je pourrais placer dans une liste de lectures à donner à mes 4e au dernier trimestre. Mes critères sont assez simples, et pourtant exigeants : un roman d'anticipation (voire de SF, pas forcément dans le futur) qui critique un aspect de notre société actuelle, et qui soit bien écrit. Le roman de Mary E. Pearson m'avait particulièrement plu pour son style elliptique, incisif, avec un vocabulaire bien choisi. 

Je commence à connaître par coeur le rayon jeunesse de la Fnac de la gare Part-Dieu. Je tombe sur une tranche trop tapageuse à mon goût, mais le titre m'interpelle : Uglies. A côté, il y a aussi un Pretties, puis un Specials, et d'autres.  Je regarde la couverture, et cette phrase d'accroche semble me tirer par le bras : "Dans le monde de l'extrême beauté, les gens normaux sont en danger". 

Que dit la quatrième de couverture ? Nous sommes dans un monde où tous les adolescents atteignant leur seize ans subissent une opération qui les rend parfaitement beaux, selon des critères soigneusement étudiés par les gens hauts placés dans cette société futurise. Ils deviennent des Pretties. Les autres, les "moches", tel est le mot utilisé dans la traduction, sont les fameux Uglies. Ce thème n'est pas courant dans la littérature de science-fiction : je décide de tenter le coup. 

J'ai du mal à rentrer dans le récit, avec un long début, plutôt laborieux, sorte de prétexte pour nous présenter toutes les particularités du monde dans lequel vit Tally, l'héroïne. Mais c'est le principe de tout roman de SF, ou presque : il faut bien nous présenter l'univers du récit. Ce n'est que quand l'histoire commence vraiment, lorsque Tally rencontre des rebelles (c'est-à-dire des personnes qui ont refusé l'Opération, préférant rester des "moches"), que je me laisse emporter. 

J'ai aimé l'histoire à partir de ce moment-là, ainsi que la complexité des personnages, dont on ne se doute pas au début. Les forts apparaissent finalement assez superficiels et peu résistants, alors que Tally, qui paraît être une ado banale et sans grande personnalité, prend de l'épaisseur au fil des pages. J'ai aimé le dilemme qui règne du début à la fin de ce roman : accepter l'Opération ou refuser d'entrer dans le monde des Pretties ? Et quelles véritables raisons peuvent bien motiver cette décision ? Car la fin nous réserve une surprise : la décision prise ne sera pas vraiment celle que l'on croit. 

Ce roman m'a donné envie de lire la suite, ou plutôt devrais-je dire les suites. Il reste cependant quelques défauts : un style peu convaincant (avec des essais de métaphores poétiques qui tombent plus ou moins à plat, un manque de liaison entre certaines phrases qui rend parfois leur logique difficile à suivre), une volonté de trop en faire (la critique se fait un peu fourre-tout : critique de la pollution, du gaspillage, de l'anorexie...). Une bonne lecture, mais qui ne méritera pas de figurer dans ma liste "scolaire". 

14 février 2013

(Hélo) Ernest et Célestine

[Les lecteurs qui plument : seront signalés par cette mention les billets rédigés par mes lecteurs. C'est donc Hélo qui a la parole aujourd'hui.]

A la demande de La Petite Mu (qui plume), je vous gribouille quelques lignes sur deux héros de mon enfance, Ernest et Célestine. Quel plaisir quand je les ai vu réapparaitre dans mon rayon jeunesse ! Avec en plus un roman, et un film !

J'ai retrouvé avec bonheur les dessins de Gabrielle Vincent, chez Casterman. Des dessins tout doux, et des histoires itou.
J'étais un peu réticente sur le roman, puisque je n'accroche pas sur Pennac (crime de lèse -majesté parait-il !)
Et pourtant... l'histoire d'un ours et d'une souris qui deviennent amis, alors que non, non et non, ce n'est pas possible.
"Un ours et une souris ? Jamais ! Scandaleux !
Absolument interdit !"
Et pourquoi pas... ?

Voici la base de l'histoire ; Ernest l'ours, et Célestine la souris, chacun aux prises avec leurs congénères, se rencontrent, s'entraident, et deviennent même amis, envers et contre tout, et surtout tous. Emprisonnés et jugés, ils deviendront des héros malgré eux, et, ainsi graciés, se retrouveront enfin.

A lire à partir de 8 ans, mais pour de bons lecteurs quand même. A coup sûr, l'invasion du récit par l'Auteur, Ernest, Célestine, mais aussi le Lecteur amusera petits et grands ! Les explications de mots compliqués par l'Auteur et dans le texte, également.

Enfin le film, où l'on retrouve la patte de Gabrielle Vincent. Voici un dessin animé comme on n'a pas l'habitude d'en voir. De grands aplats de couleurs et de paysages, et les personnages qui s'animent sur ces fonds immobiles, et malgré tout terriblement vivants !
Et l'on retrouve, aux détours de l'histoire, quelques scènes qui évoquent bel et bien les albums premiers.

Pas de points négatifs me direz-vous. Et pour cause, je suis redevenue une vraie gosse, tant dans ma lecture que lorsque je suis allée voir le dessin animé. Un chouette cadeau de fin d'année !

15 février 2013

(Arty) Petit manuel de gayrilla à l'usage des jeunes ou comment lutter contre l'homophobie au quotidien

[Les lecteurs qui plument : Arty]

            La Petite Mu a déjà largement abordé la question de l'homosexualité dans la littérature destinée à la jeunesse, mais uniquement à travers son pendant fictionnel. Cet article a donc pour objet de parler de ce sujet par le biais du documentaire.

            Il est aisé de dire, pour planter le décor, que documentaire jeunesse et homosexualité ne font pas très bon ménage. Les quelques ouvrages s'intéressant aux ados gays, qu'ils s'adressent directement aux jeunes ou plutôt aux adultes, sont, à mon sens, peu convaincants dans la mesure où ils n'échappent pas aux écueils habituels. Souvent compatissants voire condescendants, toujours enclins à dicter une certaine norme sous couvert d'un discours poliquement correct et humaniste, ces documentaires me semblent passer totalement à côté de leur vocation. S'il s'agit bien sûr de pointer les inégalités et les difficultés auxquelles doivent faire face les adolescents homosexuels (les transgenres sont soit totalement "oubliés" soit cantonnés à un minuscule encart), il est difficile d'y percevoir une réelle remise en cause. Ces ouvrages se rejoignent donc autour d'une idéologie sociale bien-pensante, encourageant implicitement le lecteur à ne pas remettre en cause les règles régissant notre société, mais au contraire à les accepter pour pouvoir s'intégrer au monde.

            Je ne citerai donc pas de titres précis, histoire de ne pas faire de mauvaise publicité, mais je vous encourage à vous rendre dans votre bibliothèque ou dans votre librairie pour vous faire votre propre idée. Le vide intersidéral auquel vous ferez face traduira bien l'état de la production éditoriale du moment sur le sujet.

            Malgré tout, un livre sort du lot : le Petit manuel de gayrilla à l'usage des jeunes ou comment lutter contre l'homophobie au quotidien, par Michel Dorais et  Éric Verdier, respectivement sociologue et psychologue. Il n'est pas anodin de noter qu'il n'a pas été édité dans une collection jeunesse au sens commercial du terme. Néanmoins, le titre ne laisse aucun doute sur le destinataire.

            Au contraire des autres documentaires évoqués précédemment, celui-ci a pour caractéristique majeure de ne proposer un discours ni genré ni normatif. Comme les auteurs le disent dès le préambule, leurs propos concernent les « gays, lesbiennes, bisexuels, ambisexuels, queer, transgenres ou non conformistes dans leur manière d'être » et s'opposent par là-même au  « sexisme, [à] l'hétéroconservatisme, [à] l'homophobie et [aux] autres intolérances face aux différences ».

            Le concept de ce petit livre est un peu surprenant puisque, à l'inverse de beaucoup de documentaires jeunesse, le choix a été fait de ne pas partir des questions que peuvent se poser ces jeunes, mais plutôt des stéréotypes ou des situations diverses auxquels chacun peut être confronté. À partir de là, l'enjeu est de proposer différents exemples, informations ou répliques qui tuent, pour faire face aux mépris voire à la violence des autres.

            S'il s'agit surtout d'une sorte de bouée de secours pour ces jeunes trop souvent marginalisés, c'est auprès d'un lectorat extérieur à la problématique que ce livre joue tout son rôle de documentaire en démontrant que la logique binaire qui régit notre société n'est pas valable aux vues des diversités sexuelles qui existent. Et petit plus pour les non-initiés, un très complet lexique à la fin de l'ouvrage.

15 février 2013

Le monstrueux (1) : la phrénologie

            Parce qu'un jour (enfin, plusieurs jours), dans ma vie, j'ai rédigé un mémoire portant sur la "Poétique du monstrueux dans les nouvelles de Maupassant", et que, ce mémoire étant le premier et unique ouvrage que j'ai publié, il fallait bien que j'en parle un jour ou l'autre sur ce blog.

          Comme il y a fort à en dire, procédons étape par étape. Pour aujourd'hui, je souhaitais simplement vous parler à nouveau de phrénologie, dont vous avez déjà entendu parler dans cet article. Si j'y repense, c'est parce qu'on en parle également dans Django Unchained, dernière oeuvre de Quentin Tarantino, qui passe peut-être encore sur certains écrans, et dont voici la bande-annonce : 

             
        Dans ce film, Calvin Candie, le riche propriétaire blanc joué par DiCaprio, se pique de phrénologie, et tente notamment d'expliquer à un Jamie Foxx impassible - avant qu'il ne se déchaîne - pourquoi l'obéissance et la stupidité sont inscrites dans le crâne même des Noirs. Le tout armé d'un véritable crâne humain et d'un marteau, dans une scène où la tension entre les personnages atteint son sommet : 
         
           Je rappelle que la phrénologie a été, au XIXe siècle, une science momentanément reconnue - avant d'être peu à peu abandonnée - et qu'elle a servi d'assise à de nombreux procès et enquêtes criminels menés à cette époque. C'est Cesare Lombroso qui a élaboré cette théorie du "criminel-né", illustrée dans ses productions par de nombreuses planches iconographiques, assemblages de photographies censées mettre en évidence les traits communs à différents criminels, et créer, pour les futurs enquêteurs, un "faciès", autrement dit un visage-type du parfait criminel. Comme ici : 
                                                                        
         
        Si cette pseudo-science et les utilisations qui en ont été faites vous intéressent, vous pouvez feuilleter et lire sur Gallica le Manuel de phrénologie de Johann Gaspar Spurzheim, daté de 1832, ou l'ouvrage de Lombroso, L'homme criminel, publié en 1887.  Vous pouvez également consulter, sur le site de la cité des Sciences, le Cours de phrénologie de Broussais, de 1836. 
                Tout le travail mené dans mon mémoire consistait à montrer que la monstruosité morale était bien présente au XIXe siècle et que Maupassant savait à merveille rendre compte de cette "fabrication de monstres" dans le regard humain, c'est-à-dire cette capacité à voir du monstrueux là où il n'y avait que particularité physique. 
            Mais rappelons également que cette discipline quelque peu effrayante est très proche de ce qu'on nomme la physiognomonie, dont voici la définition par Johann Kaspar (encore un) Lavater :  
« La physionomie humaine est pour moi, dans l’acception la plus large du mot, l’extérieur, la surface de l’homme en repos ou en mouvement, soit qu’on l’observe lui-même, soit qu’on n’ait devant les yeux que son image. La physiognomonie est la science, la connaissance du rapport qui lie l’extérieur à l’intérieur, la surface visible à ce qu’elle couvre d’invisible. Dans une acception étroite, on entend par physionomie l’air, les traits du visage, et par physiognomonie la connaissance des traits du visage et de leur signification. » 
         Et quel écrivain français fort célèbre a fait de la physiognomonie un fondement de sa poétique ? Balzac, bien entendu. Rappelons seulement le portrait de Madame Vauquer, dans Le père Goriot

          "Bientôt la veuve se montre, attifée de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux cheveux mal mis ; elle marche en traînassant ses pantoufles grimacées. Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet ; ses petites mains potelées, sa personne dodue comme un rat d'église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle où suinte le malheur, où s'est blottie la spéculation et dont madame Vauquer respire l'air chaudement fétide sans en être écoeurée. Sa figure fraîche comme une première gelée d'automne, ses yeux ridés, dont l'expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l'amer renfrognement de l'escompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. [...] L'embonpoint blafard de cette petite femme est le produit de cette vie, comme le typhus est la conséquence des exhalaisons d'un hôpital. [...] Quand elle est là, ce spectacle est complet. Agée d'environ cinquante ans, madame Vauquer ressemble à toutes les femmes qui ont eu des malheurs. Elle a l'oeil vitreux, l'air innocent d'une entremetteuse qui va se gendarmer pour se faire payer plus cher, mais d'ailleurs prête à tout pour adoucir son sort, à livrer Georges ou Pichegru, si Georges ou Pichegru étaient encore à livrer."

             Admirez cet art de la généralisation, et cette capacité à créer un faciès. Et amusez-vous (ou pas...) à lire, ou à relire, la Comédie humaine, et d'établir la liste de portraits-types proposés par notre cher Honoré. 
 
         Voilà, la première étape du compte-rendu de mon mémoire est à présent terminée. Je vous donne rendez-vous ultérieurement pour de nouvelles observations à travers la littérature ! 
 
 
20 février 2013

Le rocher de Montmartre

Voici que j'ai envie de faire quelque chose que je n'avais pas encore fait : plumer sur ce livre avant de l'avoir terminé. 

Pourquoi ? Parce que mes impressions de lectrice ont beaucoup évolué entre le début de ma lecture et le moment présent, où je suis en train de tourner les dernières pages. D'où l'idée de tenir une sorte de "journal de lecture", relatant ces modifications qui se sont opérées en moi. Il est trop tard pour le faire en direct puisque, comme je l'ai dit, je l'ai bientôt fini, mais je peux essayer de recréer ce journal a posteriori, avant de lire la fin et de vous livrer mes toutes dernières impressions. 

Petits rappels avant de me lancer dans ce journal : j'ai découvert Joanne Harris il y a peu avec les Cinq quartiers de l'orange (voir ici). J'avais adoré. Et voici que je retrouve dans mes étagères un livre non encore lu de cette même écrivaine. Maintenant, cette nouvelle histoire de femmes et de secrets de famille me plaira-t-elle autant ? Tout ce que je peux savoir au début, c'est que l'imaginaire fera bien plus souvent irruption dans ce deuxième récit que dans les Cinq quartiers... 

Début de ma lecture (la semaine dernière environ), tout premiers chapitres. Problème. Je ne comprends pas. Je suis obligée de relire trois fois les premiers chapitres avant de comprendre qu'il y a trois narratrices différentes : Zozie de l'Alba, Vianne Rocher et sa fille Anouk. J'ai été trompée par la quatrième de couverture, qui présente la première comme le seul personnage principale de l'histoire, mais aussi par le fait que les personnages se ressemblent beaucoup, et qu'il est donc difficile de les différencier dans un premier temps. 
Du coup, cette lecture commence sous de mauvais auspices. J'avance laborieusement. Je ne suis pas conquise comme je l'avais été, dès les premières pages, par les Cinq quartiers de l'orange

Fin de semaine dernière, moitié du livre. Maintenant que j'ai compris qui était qui, l'histoire me plaît. J'ai envie de savoir ce qui va arriver aux personnnages. J'aime ce mélange de réalisme et d'imaginaire, cette manière de montrer que la magie est une chose très banale qui peut se pratiquer en plein coeur de Paris. Je comprends aussi pourquoi les personnages se ressemblent. Ce ne sont pas des femmes ordinaires, et je me doute très vite que quelque chose de plus ou moins mystérieux les relie. 
Il n'empêche que je trouve le roman inégal. Certains passages sont vifs et beaux en même temps. D'autres traînent en longueur et on se demande s'ils ont une réelle fonction. On répète souvent les mêmes choses. Les réactions des personnages sont parfois trop prévisibles, ou bien, au contraire, on s'attend à ce qu'il se passe quelque chose, et ce quelque chose intervient des pages et des pages plus loin, sans pour autant qu'il n'y ait eu beaucoup d'éléments indispensables entre deux. 

Dimanche soir, une bonne partie de la deuxième moitié du livre. Ah, c'est amusant, on retrouve des lieux et des noms qui ne peuvent manquer de rappeler les Cinq quartiers... Coïncidence ? Clin d'oeil ? Peu importe, c'est assez agréable, on se sent en terrain connu. 

Hier soir, derniers chapitres. Ca y est, je suis mordue, je ne peux plus m'arrêter. Je trouve toujours certaines longueurs, certains passages un peu obscurs ou qui n'apportent rien à l'histoire, mais je suis captivée par l'histoire et fascinée par les transformations de certains personnages que l'on voit d'un oeil tout neuf. Me voici contrainte de m'empêcher d'aller plus loin, de fermer le livre malgré moi, pour ne pas finir trop vite, et me garder un petit réconfort en ce mercredi après-midi rempli de tâches ingrates et obligations diverses. 

Toutes dernières pages, il y a une heure. Un peu déçue... En fait, j'ai tout découvert hier soir, ou presque. De mystère, il n'y en avait pas tant que cela. On devine ce qui va se produire. Cela dit, la fin est belle, elle laisse un joli goût dans les yeux. 

Internet. Il y a quelques minutes. Voilà-ti-pas que je découvre que Chocolat (roman que je savais déjà être de Harris, en plus d'avoir été adapté au cinéma avec Binoche et Depp) est en fait l'histoire précédant Le rocher de Montmartre. Moi qui me demandais pourquoi, même à la fin du livre, on en savait encore si peu sur cette histoire de boulangerie à Lansquenet et les évènements qui ont poussé Vianne, Anouk et Rosette à quitter le village pour Paris ! 
Il va donc sans dire que j'ai, à présent très envie de lire ce fameux Chocolat. Tout en ayant peur d'être déçue car je crains que ça ne ressemble terriblement aux Cinq quartiers... (sorti après, mais que j'ai lu avant). 

En tout cas, j'ai découvert ici un nouveau filon littéraire que je me promets de suivre ! 

 

31 mai 2013

Fraise et chocolat

Challenge Petit Bac 2013 : 1ère grille! : un aliment (et même deux) en catégorie BD


Et à présent, de la bande dessinée. Ca faisait longtemps. 

C'est d'abord pour les besoins du challenge que j'ai décidé de retrouver cette BD lue pour la première fois il y a six ans, dans une bibliothèque bruxelloise, lors d'un voyage avec une amie. Avant cela, je n'y connaissais pas grand-chose à la bande dessinée d'aujourd'hui, j'en étais restée aux grands classiques. Comme bédéistes contemporains, je ne connaissais que Joann Sfar (pas si connu à l'époque, je l'ai découvert avec les Grand Vampire, puis Le chat du rabbin), guère d'autres. Lors de ce voyage à Bruxelles, j'ai commencé à mettre les pieds dans l'immense paysage  de la BD contemporaine. Et il y en a, des choses, là-dedans ! Tellement qu'il est parfois difficile de s'y retrouver, d'autant plus que les formats changent, et brouillent les pistes. Roman graphique ? Bande dessinée pour adultes ? Album illustré ? La frontière est parfois mince, et je ne suis pas spécialiste.

La BD d'Aurélia Aurita joue justement sur cette frontière (ce qui est la moindre des choses pour une artiste à cheval entre deux pays, la France et le Japon). Le format assez petit, la souplesse de la couverture font davantage penser à un roman qu'à une BD traditionnelle. Et, selon la page à laquelle on ouvre le livre, on tombe soit sur une planche assez classique, composée de différentes cases, contenant des dessins et des bulles, soit sur un schéma beaucoup plus libre : une image qui prend toute la page, du texte écrit en dehors de tout phylactère... Le récit, lui aussi, est hybride : l'idée est d'abord celle d'un carnet de voyage. L'histoire est largement inspirée de la vie de l'auteure-illustratrice : invitée à un "gros projet BD franco-japonais, rassemblant en tout dix-sept auteurs", Chenda doit écrire une histoire sur la ville de Tokushima, dans l'île de Shikoku. Et c'est ce qu'elle fait : quelques paysages sont d'ailleurs représentés, et l'amour de cette Française d'origine sino-khmère pour le Japon est bien présent au fil des pages. Mais à ce récit de voyage se superpose très vite une histoire d'amour, entre la jeune femme et Frédéric. Il s'agit de Frédéric Boilet, auteur-dessinateur de BD, l'amant d'Aurélia Aurita. 

Mais là encore, les choses ne sont pas si simples : ce n'est pas une histoire à l'eau de rose que veut nous raconter l'auteure, mais bel et bien un récit hautement érotique, variations sur le thème du sexe, qui renverse tous les clichés, et avant tout celui de la jeune fille effarouchée face à l'homme mûr entreprenant. Aurélia Aurita a choisi de raconter sa vie sexuelle sans pudeur, sans complexe, mais également avec beaucoup d'humour.

"Pas évident de parler de ces deux petites merveilles (car il y a un deuxième tome) sans en abîmer l'essence. De nombreux s'y sont essayé et n'ont réussit qu'à transformer ces albums en banales et rigolotes BD érotiques.", comme je l'ai lu sur un blog. Et, effectivement, il est difficile de rendre, en mots, les diverses sensations qui peuvent nous traverser au cours de cette lecture. C'est sûr, il ne faut pas avoir peur des images et des mots crus. Mais la BD ne se réduit pas à une série d'images pornographiques, loin de là. Aurélia Aurita joue en réalité avec les codes de la BD européenne comme asiatique, où elle pioche ce qui l'intéresse, elle, pour donner sa propre vision de la relation de couple, et pour aborder les questions qui se posent à une jeune femme amoureuse à la fois du sexe et du visage d'un homme plus âgé qu'elle. 

Joann Sfar (justement) a rédigé une sorte de préface (en dessins, évidemment), qui met extrêmement bien en valeur l'oeuvre de la jeune auteure. Il se dit ami avec Frédéric Boilet, et ne dissimule pas sa réticence initiale à lire une BD qui retrace la vie sexuelle de cet ami. Puis il commence sa lecture, et voici ce qu'il en dit :

"Oh, la, la ! C'est bien ! Les dessins, l'histoire. Oh et puis c'est éducatif. On devrait le distribuer en pharmacie pour les amoureux. Ah, et pour une fois, c'est une fille qui parle. [...] D'habitude, quand des filles parlent de cul en bande dessinée, c'est des punks pourrites qui parlent de leurs chaussettes sales. Je ne sais pas qui a pris l'initiative de prêter un crayon à une fille amoureuse mais il faut que ça dure toujours, je veux dire il faut qu'elle en fasse plein, des histoires..."

Alors, plein, pas encore. Mais, pour rebondir sur ce cliché des "filles qui parlent de cul en bande dessinée", on ne peut évidemment pas s'empêcher de penser à l'auréole qui entoure aujourd'hui Le bleu est une couleur chaude, que j'ai déjà plumé. (Enfin, quand je dis auréole... Julie Maroh, l'auteure de cette BD, n'est pas forcément connue de tous pour être l'inspiratrice du film de Kechiche, La vie d'Adèle, qui vient d'obtenir la Palme d'Or. Voir ici.)

Bref, Fraise et chocolat : à goûter ! (métaphore culinaire plus ou moins adaptée quand vous saurez ce que ces deux termes signifient pour Chenda et son amant...) Et, si vous en revoulez, il y a donc un deuxième tome. (Que je n'ai pas relu, car ma médiathèque ne le possède pas. J'essaierai de le trouver ailleurs.)

31 octobre 2013

Lang-Poinsot : Le donjon de Naheulbeuk

Challenge Petit Bac 2013 : 1ère grille! : un lieu (imaginaire, certes) en bande dessinée

Amis lecteurs, si vous n'avez encore jamais entendu parler du Donjon de Naheulbeuk, sachez que c'est un énorme manque dans votre culture et qu'il va falloir y remédier au plus vite. 

Mais keskecé ? A l'origine, Le Donjon..., c'est une saga audio, diffusée gratuitement sur Internet, consistant en des micro-épisodes racontés à la manière des Deux minutes du peuple de François Pérusse (on retrouve le procédé d'accélération des voix, qui rend les dialogues tout simplement irrésistibles). Cette saga hilarante fait la parodie de l'univers fantasy qu'on retrouve dans Le seigneur des anneaux, par exemple, mais aussi dans de nombreux jeux vidéo. Comme ce feuilleton audio a rapidement connu du succès et a créé une communauté de fans, la similitude (en même temps que l'aspect parodique) avec les jeux vidéo est d'autant plus flagrante. 

Le principe, donc, c'est de prendre les personnages-types de la fantasy (un chevalier, un nain, une elfe, un voleur, une magicienne, un ogre et un barbare) et de leur faire vivre les aventures les plus abracadabrantesques - et stupides - possibles. Tous les gags sont permis, mais l'humour réside essentiellement dans les dialogues, du tac au tac : rappelons qu'il s'agit uniquement d'épisodes audio, à l'origine. 

Le succès ayant été grand, donc, cette saga a été mise sur papier, et transformée en bandes dessinées (et, apparemment, en romans). Alors, certes, on y perd : les dialogues n'ont pas tout à fait la même saveur. Je conseille donc d'écouter d'abord les épisodes sur Internet, car c'est ensuite un véritable bonheur de les retrouver sur planches de BD : on "entend" les dialogues, que l'on a gardés dans l'oreille, en les relisant, et, en plus, on a les images !

Par ailleurs, je pense que le principe peut plaire à tout le monde : à la fois les aficionados de jeux vidéo ou jeux de rôle (dotés, tout de même, d'un certain sens du second degré, évidemment) comme à ceux comme moi, qui n'y connaissent rien (ou pas grand-chose), mais qui aiment rigoler un bon coup. 

A savoir qu'il y a plusieurs "saisons" publiées en bande dessinée, elles-mêmes composées de plusieurs épisodes, mais qu'il existe de nombreux produits dérivés, CDs avec chansons, romans, donc, et bien d'autres choses encore ; sans oublier les épisodes audio d'origine, que l'on peut encore télécharger. Tout cela est à découvrir sur le site officiel, un peu fastidieux à explorer, mais qui recèle certainement de nombreuses surprises. 

Bonne lecture (ou bonne écoute) ! 

 

 

 

3 janvier 2014

Des images du Moyen Âge : le dernier ouvrage de Jacques Le Goff et... La Caverne de la Rose d'or en DVD !

Je viens aujourd'hui pour vous parler de deux cadeaux que j'ai eus à Noël, merveilleux l'un comme l'autre, chacun à sa manière. Deux oeuvres pour se plonger dans les représentations du Moyen Âge, imagé, fantasmé. 

 

Pour commencer, cette très belle parution des éditions Seuil, dernier-né de Le Goff : Le Moyen Âge expliqué en images

 

Rien que la couverture fait rêver par l'éclat de ses couleurs, bien loin de l'image sombre que l'on peut avoir de l'époque médiévale... (A savoir que je suis aussi en pleine lecture du petit essai de Michel Pastoureau : Bleu. Histoire d'une couleur, et que, donc, sur les couleurs, je commence à m'y connaître !)

 En ouvrant le livre... je découvre que c'est le même texte que dans Le Moyen Âge expliqué aux enfants, que j'ai déjà lu, et, même, que je possède !... Je ne le savais absolument pas quand j'ai suggéré cette idée de cadeau à ma mère. Mais, réflexion faite, ce n'est pas grave du tout : l'important, c'est bien sûr les images, et je suis ravie d'avoir les deux versions : l'une, de poche, plus maniable, que je peux prêter, consulter rapidement, annoter, et l'autre qui restera à la maison, à feuilleter avec précaution. 

Pour les images : de magnifiques reproductions, souvent pleine page (très utile pour certaines miniatures ou enluminures dont les détails sont peu visibles quand on les reproduit en petit format) ; quelques photos (des intérieurs d'abbayes ou de cathédrales) ; une mise en page à la fois aérée et élégante qui met vraiment l'illustration à l'honneur. Vous me direz, c'était le but de l'ouvrage...

Un bien bel objet, donc, pour se (re)plonger de manière attrayante dans l'univers médiéval. 

 

Et puis, le père Noël m'a aussi apporté... ceci : 

 

 Quoi ? Vous n'avez jamais entendu parler de cette "série culte" de téléfilms des années 90 ? Après sondage autour de moi, y compris des personnes de ma génération, en effet, on n'est pas très nombreux à connaître... Alors, petite présentation : 

Il s'agit donc de cinq téléfilms, chacun en deux volets, de production italienne. De mémoire, il me semble qu'ils étaient diffusés sur nos chaînes françaises à la période de Noël, et que, chaque année, ils ajoutaient un nouvel épisode.
Le décor est celui d'un Moyen Âge totalement fantasmé, certainement plein d'anachronismes (par exemple, la princesse Caroline qui rêve de rencontrer un jeune homme aux yeux bleus : non !! Je sais désormais, grâce à Michel Pastoureau, que cette couleur n'est pas idéalisée comme elle peut l'être de nos jours...). Mais bon, il y a des châteaux, des guerriers à cheval, des paysans, des troubadours, donc je suppose que cela suffit à en faire une "série médiévale".
Nous suivons les aventures d'une princesse pas comme les autres, Fantaghiro (prononcer "Fantagaro" pour ne pas avoir l'air stupide), qui, dès son plus jeune âge, refuse la place traditionnellement réservée aux femmes. Elle, ce qu'elle veut, c'est être chevalier. Et elle le sera, avec de nombreux ennemis à combattre : des ennemis réels, comme les princes des royaumes ennemis, ou magiques, comme la Sorcière Noire, l'enchanteur Tarabas ou le terrible Darken. Elle sera aidée dans ses combats par toutes sortes d'amis, de la "pierre qui revient" à la Sorcière blanche qui se transforme en oie, en passant par les anciens assistants de la Sorcière Noire, ou encore son fidèle destrier - qui parle -, Crin d'Or. 
Mais, bien évidemment, même férue de combats, Fantaghiro n'en reste pas moins une princesse de contes de fées, et elle est éperdument amoureuse du beau prince Romualdo. C'est d'ailleurs par amour qu'elle se battra la plupart du temps. 

Peut-être connaissez-vous les noms d'Alessandra Martines, dans le rôle de Fantaghiro ? (Si, c'est elle qui était jurée de "Danse avec les stars" avant Shy'm ! Est-ce que cette référence vous parle davantage ?...) Ou celui de Kim Rossi Stuart, pour le prince Romualdo ? Ou encore Ursula Dress, qui joue Xellesia, la cruelle mère de Tarabas ? 

En tout cas, de ce que j'ai pu lire ici et là sur le Net, pour ceux qui, comme moi, ont vu cette série quand ils étaient gamins, elle possède un impressionnant pouvoir nostalgique : il s'agit là d'un véritable charme qui agit en profondeur... Disons que tous les éléments du merveilleux étaient réunis, de l'amour aux combats, des gentilles fées aux méchantes sorcières, de la musique aux paysages... En revanche, la regarder pour la première fois adulte, au XXIe siècle,  ne provoque certainement pas les mêmes sensations. Les effets spéciaux ont bien entendu terriblement vieilli, de même que le discours sur les rôles sociaux de l'époque, qui restent terriblement empreints de conformisme. Mais je garde espoir que la magie opère encore pour de jeunes enfants d'aujourd'hui, pas encore trop abreuvés d'images modernes...

27 mars 2016

Katarina Mazetti, Le mec de la tombe d'à côté

 

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Ce roman suédois est un roman d'amour pas tout à fait comme les autres. Rien qu'aux prénoms des deux protagonistes, Désirée et Benny, on sort un peu des sentiers battus. Leur rencontre a lieu dans un lieu inattendu, spoilé par le titre : un cimetière. En effet, Benny vient de perdre sa mère et Désirée, son mari. Entre eux deux commence une "passion dévorante" (pour reprendre la quatrième de couverture), alors que tout les oppose : Désirée est une bibliothècaire très citadine et Benny, un agriculteur très paysan. Enfin... on le sait bien, il ne faut pas se fier aux apparences. Les contraires s'attirent et deviennent complémentaires, on le dit souvent. L'humour et le sexe rendent leur histoire possible, avec de beaux moments de complicité. La narration alterne un chapitre de chaque point de vue ; sans répétition inutile, chaque personnage reprend là où l'autre s'est arrêté, ce qui donne une belle fluidité dans la lecture, tout en suggérant à quel point les deux amoureux se répondent l'un l'autre.

Mais, et c'est là l'originalité du roman, avant même la moitié du récit, on n'en est déjà plus là. Désirée passe sa première nuit chez Benny, et le choc des cultures est trop grand. A partir de là, tout s'effrite, et personne, ni elle, ni Benny, encore moins le lecteur, ne peut dire comment cela va se finir.

J'ai été un peu déroutée, c'est vrai, de voir le mélange tourner si vite. C'est là qu'on voit que les romans utilisent très, très souvent le même schéma, dans les mêmes proportions, au chapitre près. Là, c'est étrange, on voit les choses se dégrader avant d'avoir pu véritablement s'attacher aux personnages. Et puis on finit par comprendre où l'auteure veut en venir. Enfin une histoire où l'amour prend place dans une réalité pas toujours reluisante ; où les personnages sont face à de véritables dilemmes, non pas tragiques mais tristement banals, devant choisir entre la fameuse "passion dévorante" et des plans de vie, plus ou moins choisis, mais dont ils n'arrivent pas à se défaire.

Pas un mot sur la fin : je vous invite à faire cette lecture, plutôt rapide, mais moins légère qu'elle n'en a l'air.

Néo-défi lecture 2016 : Un livre choisi de façon aléatoire. (au pif dans les rayons d'une toute petite bibliothèque)

19 janvier 2012

L’extravagant voyage du jeune et fabuleux T.S.Spivet

 

Excellente lecture, ce à quoi je m’attendais, car j’avais lu des critiques au sujet de ce roman quelque peu hors du commun.

T.S.Spivet est certes un adolescent précocément doué pour les sciences en tout genre, en particulier les sciences physiques et naturelles, il se définit comme cartographe, mais il n’est pas un surdoué, pas un génie capable de faire de tête une opération mathématique très difficile :  il le dit lui-même. Sur bien des aspects, il reste un petit garçon de douze ans, « voire plus jeune », comme je l’ai lu dans une critique avec laquelle je suis entièrement d’accord. T.S. dialogue fréquemment avec les objets qui l’entourent, il a les émotions et les sentiments d’un enfant encore peu à l’aise dans ce monde d’adultes où il est plongé, un peu malgré lui. C’est donc bien de l'histoire d'un enfant qu'il s'agit : certaines critiques parlent de voyage initiatique. 

Par ailleurs, l’objet-livre est bien sûr très intéressant, avec ces nombreuses annotations, croquis, schémas ou cartes placés dans les marges. On peut aller loin dans une réflexion sur la marginalité du personnage, qui vit tout autant, sinon plus, dans ces marges, que dans ce qu’il écrit. Pour simplifier, il y a la vie, et il y a tout ce qui est à côté. C’est cela qui le construit. De manière moins profonde, j’aime beaucoup ces livres qui jouent sur la frontière entre réel et imaginaire, qui nous font croire qu’on a entre les mains un objet appartenant réellement au personnage.

Quelques images : 

                  

Le thème de la généalogie d'une famille à la fois commune et exceptionnelle, qu'on retrouve du début à la fin, m'a rappelé Les monstres de Templeton (voir l'article sur ce blog). Il s'agit tout autant de l'histoire de T.S. que de celle de autres membres de sa famille. 

Un livre, donc, d'une extrême richesse, dont la lecture (qui demande un petit effort, surtout au début, pour s'adapter à ce va-et-vient constant entre récit et marges) vaut véritablement le détour. 

Voir aussi : une critique et une interview de l'auteur sur Culture-café, le site officiel du livre qui a l'air d'être une vraie mine d'or, pour le peu que j'ai eu le temps d'en regarder, et un tout nouvel article sur ce blog, suite à l'actualité cinématographique 2013. 

5 mai 2016

Jeanette Winterson : Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

 

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De Jeanette Winterson, j'avais déjà lu Les oranges ne sont pas les seuls fruits, dans le cadre d'un défi couleur pour honorer un swap (si cette phrase vous semble sybilline, lisez ici, ce qui vous permettra également de découvrir le roman suscité).

Je savais que ce livre avait un pendant autobiographique (enfin : une lectrice qui se reconnaîtra m'en avait signalé l'existence), et je suis tombée dessus récemment. Rappelons que Jeanette Winterson a vécu son enfance dans l'Angleterre des années 70, dans l'univers de la classe ouvrière, et dans une famille un peu particulière. Père et mère font chambre à part, et la mère extrêmement bigote a des comportements déroutants, parfois contradictoires, très souvents violents et intolérants. L'ouverture d'esprit n'est pas au rendez-vous, c'est le moins qu'on puisse dire. Evidemment, découvrir son homosexualité dans une telle famille, cela peut être une épreuve - ou une force. L'auteure esquisse cette piste dans Les oranges..., fortement inspiré de sa vie, et qui s'arrête au moment où l'héroïne, rejetée pour ses préférences amoureuses et sexuelles, quitte la maison. Elle la reprend et l'affirme dans Pourquoi être heureux..., en racontant au lecteur ce qui se passe après ce départ. Paradoxalement, dans l'autobiographie, on découvre encore plus de difficultés qu'on n'en avait perçues dans Les oranges..., mais aussi plus d'espoir, de détermination, de volonté d'être "heureuse". Précisons, pour que le titre soit clair, que c'est une phrase sortie de la bouche de la mère. Tout est dit !

Je dois dire que la lecture en a été encore plus laborieuse. Laborieuse, mais pas infructueuse. Il y a des phrases très marquantes, et une histoire très forte, évidemment. Un thème nouveau, par rapport aux Oranges..., apparaît, celui de la quête familiale : en effet, Jeanette a été adoptée (je n'en avais pas du tout le souvenir). Cette famille qui la rejette, ce n'est pas sa famille biologique. Toute une partie du récit est donc consacré à la recherche de ses véritables origines, ce qui s'inscrit évidemment dans cette question omniprésente de l'identité : familiale, biologique, sociale, sexuelle.

Mais laborieuse car l'écriture de Jeanette Winterson est très heurtée. Elle le reconnaît volontiers, à plusieurs reprises dans le livre, et avoue ne pas savoir faire autrement, et peut-être aussi ne pas vouloir, car cela colle à la façon dont elle a vécu : des heurts, pas de chemin tracé facile à suivre. Implicitement, elle demande donc à son lecteur de faire un effort, pour accéder au sens, à ce qu'elle veut transmettre. Je pense avoir réussi cet effort, puisque j'ai terminé la lecture et que j'en ai gardé un souvenir, mais en effet, ce ne fut pas facile.

Un livre exigeant, donc, à tous points de vue, mais plein de vérité et, surtout, de vie.

11 juillet 2016

Mikaël Thévenot : Flow

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[Toutes mes excuses pour l'erreur qui subsistait depuis 10 jours dans le prénom de l'auteur...]

Ce premier roman d'un auteur passionné de musique vient tout juste de sortir. Concernant l'homme, quelqu'un dont le film préféré est Un air de famille (dixit son éditeur) ne peut pas être quelqu'un de mauvais. Peut-être quelqu'un d'un peu curieux, dans tous les sens du terme, qui, à la question "Qu'aimerais-tu avoir comme superpouvoir ?", aurait répondu : "Lire dans les pensées". 

C'est en effet ce qui arrive à son jeune héros, Josh, un lycéen franco-américain. Plus précisément, il commence par ressentir de violentes migraines, auxquelles lui et son entourage finissent par s'habituer, avec résignation : rentrer chez soi, se mettre dans le noir, dans un silence absolu. Jusqu'au jour où, alors qu'une migraine plus terrible que les autres arrive à Josh pendant un contrôle de maths, il se rend compte qu'il peut capter les pensées de ses camarades de classe. Un rebondissement en entraînant un autre, il est bientôt contacté par un "mystérieux internaute" qui a l'air d'en savoir long sur ce pouvoir non moins mystérieux, qu'on peut définir par la capacité à capter le "flot" intérieur des personnes qui entourent Josh.

J'ai parlé de superpouvoir : on pourrait s'attendre à un récit de superhéros, de superantihéros, ou quelque chose de ce genre dans la mouvance d'un film comme American Hero, mais pas du tout. Josh refuse de se servir de ce pouvoir pour autre chose qu'assouvir sa curiosité et, surtout, calmer ses migraines. D'ailleurs, quand son ami Axel lui conseille de chercher une table de poker et de se faire le plus d'argent possible, Josh rétorque : "Bien sûr, bien sûr, [...] sauf que là, on est à Poitiers, pas à Las Vegas." Mickaël Thévenot affirme ici sa volonté de rester dans un terrain "réaliste", si l'on peut dire. Aucune explication, rationnelle ou non, ne sera d'ailleurs donnée dans ce premier tome : peut-être dans le prochain ? 

C'est donc bien du côté du roman policier ou, du moins, du récit à suspense que l'auteur nous emmène. Une absence marque en effet la vie de Josh depuis son plus jeune âge : celle de sa mère, morte dans des circonstances mystérieuses alors que la famille habitait encore aux Etats-Unis. Un autre récit s'entrecroise avec l'histoire de Josh : celui de l'agent fédéral Kyle Chester qui, douze ans plus tôt, enquête sur l'agression de Leonard Cooper, un médecin collègue de la mère de Josh...

Ce deuxième récit est moins fourni que l'histoire de Josh, et laisse peut-être un peu le lecteur sur sa faim. Mais on comprend aisément qu'elle ne sera qu'un éclairage à tous les mystères qui entourent l'adolescent, et on devine que les deux histoires se rejoindront à un moment ou à un autre. J'ai été captée par les rebondissements et le suspense surtout dans la deuxième moitié du livre. La peinture de la vie quotidienne de Josh m'a moins convaincue. Trop de détails qui se veulent réalistes ne cadrent pas toujours avec le rocambolesque nécessaire pour donner de l'action au récit. La fin, en tout cas, joue parfaitement son rôle de chute, tout en nous laissant avec beaucoup de questions : rendez-vous le 3 octobre pour le tome 2 ! 

Suite de ma collaboration avec les éditions Didier Jeunesse

8 août 2016

Semaine de la BD, #1 : Riad Sattouf, L'arabe du futur

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Pour cette semaine de la BD chez la petite Mu, le principe sera le suivant : découvrir des auteurs, des séries ou des genres que la petite Mu est la dernière - ou presque - à découvrir. 

En effet, les deux premiers tomes de l'autobiographie dessinée et racontée par Riad Sattouf ne datent pas d'aujourd'hui : le premier tome, paru en 2014, a remporté le Fauve d'or au festival d'Angoulême de 2015, et le deuxième tome est sorti dans la foulée en juin 2015. Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire : à défaut, donc, de vous apprendre qui est cet auteur et de quoi parle cette bande dessinée, je me contenterai de vous livrer mes impressions sur un phénomène déjà connu. 

Je suis plutôt bonne cliente pour les autobiographies en bande dessinée. Qu'elles s'inscrivent dans un cadre historique, comme Persepolis, Couleur de peau : miel, Deuxième génération, ou pas du tout, comme Fraise et chocolatj'aime lire des récits de vie, voir le regard qu'un auteur porte sur lui-même, et, qui plus est en BD, un regard au sens propre : comment cet auteur illustrateur voit-il son propre corps, comment se le représente-t-il dans l'espace et le temps ? Je partais donc assez convaincue d'avance, avec, en outre, l'envie d'en apprendre davantage sur l'histoire du Moyen Orient, vue de l'intérieur. 

Je suis sortie de ma lecture un peu noyée sous le flot d'informations. C'est, parfois, je trouve, l'écueil de ces autobiographies dessinées. Le genre de la BD appelle la vivacité, exige de ramasser des morceaux entiers en une case efficace, tant par le dessin que par le texte. Dans une bonne BD, l'histoire se joue presque autant entre les cases que dans ce qui est dessiné. Or, quand on entre dans un univers qu'on ne connaît pas, ou mal, il est difficile de lire entre les lignes. J'ai eu parfois l'impression de passer à côté de faits qui devaient être évidents à Riad, enfant et adulte. Cependant, là où le pari est gagné, c'est que cette lecture donne envie d'aller chercher des précisions ou des compléments sur les faits historiques ou sociologiques abordés dans cette BD. 

De même, la BD n'étant pas spontanément un genre se prêtant aux développements ou à l'analyse, Saatouf prend le parti, justement, de ne jamais prendre parti. Les comportements de ses parents - le père et son admiration aveugle du "socialisme arabe", la mère et ses quelques coups de colère comme des coups d'épée dans l'eau - sont déstabilisants, et parfois clairement choquants. Mais aucun jugement de valeur n'est proféré par le narrateur. Dans le deuxième tome, le petit Riad qui grandit se laisse aller à exprimer davantage d'émotions : une "incroyable envie de pleurer" quand son père l'emmène chasser les moineaux, une peur bleue de l'école syrienne et de sa terrible maîtresse. Certainement que le choix d'une certaine distance vient d'une volonté de réalisme : il est toujours difficile pour un enfant - à la fin du tome 2, Riad n'a jamais que sept ans - de mettre des mots sur ses sentiments. En cela, la narration est très naturelle, car elle restitue par images des scènes que l'enfant a mémorisées, sans pour autant les avoir analysées. Finalement, il en est de même dans Persepolis, où Marjane Satrapi cherche bien à montrer à quel point il est difficile de poser un regard critique sur des lieux, des gens, des habitudes qui ont rythmé son enfance. 

Peut-être que le tome 3 (à paraître le 6 octobre) introduira peu à peu un regard plus critique ? A moins que ce parti pris de distance soit maintenu tout au long des cinq tomes annoncés ? Je reste en tout cas quelque peu sur ma faim, et j'aurai certainement besoin de relectures pour apprécier davantage cet énorme succès de la bande dessinée. 

10 août 2016

Semaine de la BD, #2 : Ms. Marvel

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D'un Fauve à l'autre (voir l'article sur L'arabe du futur), d'un genre à l'autre, la petite Mu plonge à présent dans l'univers des comics et des histoires de superhéros. 

J'étais tombée une première fois sur une référence à cette nouvelle série de chez Marvel ; considérant, justement, que ce n'était pas mon domaine de prédilection, je n'avais pas donné suite. Puis j'en ai entendu parler une nouvelle fois, dans un magazine professionnel, en des termes élogieux. La curiosité l'a alors emporté : une superhéroïne musulmane, à mes yeux, ce n'était pas banal ! Bon, en fait, après quelques recherches, ce n'est pas la première : dans l'univers des X-men existent en effet déjà M, depuis 1994, et Dust, depuis 2002. En outre, une série d'animation a été lancée en 2013 au Pakistan met en scène "Burka Avenger" (si, si), enseignante de jour, justicière au nom de l'éducation pour les filles de nuit. (Quelques détails à lire ici et à écouter là.)

Ms Marvel, c'est donc l'histoire de Khamala Khan, une jeune pakistaine, musulmane pratiquante, vivant aux Etats-Unis, qui écrit une fanfic sur les Avengers et qui voudrait être (pas ressembler à, vraiment être) Captain Marvel, la superhéroïne blonde qui accompagne Captain America et Ironman dans certaines de leurs aventures. Et, bim ! Un soir où elle se retrouve à une fête pour essayer d'être une ado comme les autres, et où elle boit par accident une gorgée d'alcool, un étrange brouillard se lève dans la ville, et elle se réveille face à son idole, puis, encore mieux, elle se transforme en superhéroïne ! Dans la foulée, elle sauve une de ses camarades de la noyade : ce ne sera que le début de ses aventures, évidemment. 

Au final, le premier volume de cette série prometteuse m'a laissée quelque peu sur ma faim. J'ai aimé toutes les pages où l'héroïne se pose des questions, que ce soit sur son mode de vie différent de certains de ses camarades américains, sur les limites que lui imposent ses parents et qu'elle aimerait franchir, sur sa relation avec son ami Bruno, qu'elle trouve trop protecteur avec elle mais qu'elle est quand même bien contente d'avoir à ses côtés... En revanche, dès que les superaventures se mettent en marche, ça me laisse plutôt froide. Les pouvoirs de Miss Marvel sont tellement variés qu'ils en deviennent extravagants, même pour des superpouvoirs : elle peut changer de forme, rapetisser, grandir, cicatriser ses blessures mais seulement quand elle change d'apparence... Elle trouve un méchant presque par hasard, quand le frère de Bruno se retrouve mêlé à de sales embrouilles avec un homme nommé "L'inventeur" qui a des chats électroniques dans son sous-sol. Bref, autant de choses qui peuvent certainement réjouir les fans de Marvel mais auxquelles j'aurais préféré des aventures plus réalistes. 

Ms Marvel, c'est donc bien un comic, peut-être un peu plus actuel et original que d'autres, mais j'avoue si peu m'y connaître que je ne peux même pas l'affirmer. Cette lecture confirme que ce n'est pas mon genre de prédilection ; cependant, j'avoue m'être attachée à l'héroïne et avoir envie de savoir comment elle se débrouille avec ses nouveaux pouvoirs. Ca tombe bien, il y a un tome 2 : "Génération Y". Et certainement une ribambelle de suites qui s'annoncent. 

10 août 2017

Joël Dicker : Le Livre des Baltimore

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On ne présente plus Joël Dicker, qui avait déjà fait un carton avec son précédent roman, La vérité sur l'Affaire Harry Quebert, obtenant entre autres le Goncourt Lycéen 2012. Un jeune auteur à la belle gueule (que l'éditeur partage gentiment avec nous en quatrième de couverture). Mais si jamais vous ne le connaissiez pas encore, tant mieux : cet article sera l'occasion pour moi de vous recommander plus vivement son troisième roman, le dernier en date, que j'ai trouvé bien meilleur que Harry Quebert

Cet Harry Quebert, je l'ai lu il y a quelques temps déjà. J'avais été attirée par la couverture (Portrait of Orleansun tableau de Hopper, ce peintre qui arrive à donner du mystère au quotidien), et la promesse d'un roman à rebondissements, un "page turner" comme disent les Américains. Je l'avais aimé, mais sans plus, finalement. Deux histoires s'y mélangeaient : une affaire policière, et la vie d'un jeune écrivain en mal d'inspiration qui trouvait justement le sujet de son prochain livre dans l'histoire policière en question, car l'accusé était son mentor en écriture (le fameux Harry Quebert). Autant l'histoire policière était bien ficelée, avec ce qu'il faut de mystère et de péripéties, autant l'autre histoire, correspondant au moment présent, m'avait moins passionnée. Un peu trop "métalittéraire", avec d'assez grosses ficelles : en gros, un roman qui explique comment on fait pour écrire un roman. Dans cet article de Slate, "Joël Dicker est-il un bon écrivain ?", la journaliste en conclut que oui et reconnaît avoir finalement apprécié ces ficelles. Bon, ce n'est pas pour rien que le roman a eu du succès, quand même. 

Mais là, avec Le Livre des Baltimore, on a un véritable page turner, qui prend pour thématique une famille et ses secrets : ingrédients infaillibles d'un bon récit à suspense. Même personnage principal que dans le roman précédent (Marcus Goldman, le jeune écrivain), même composition avec une double narration : le moment présent, où Marcus s'apprête à écrire son nouveau livre, en même temps qu'il retrouve Alexandra, son ancien grand amour, et le passé, avec l'histoire passionnante de la famille Goldman. 

Cette famille est binaire : il y a Marcus et ses parents, qui, vivant à Montclair, sont appelés "les Goldman de Montclair", et l'oncle, la tante et les deux cousins, vivant à Baltimore, surnommés donc (vous n'allez pas en revenir) "les Goldman de Baltimore". Mais derrière ces innocentes appellations se cache une rivalité pernicieuse car masquée sous d'apparentes bonnes relations. Les Baltimore (surnom raccourci) surpassent en tout les Montclair : plus brillants, plus riches. Plus heureux ? C'est en tout cas ce dont Marcus, qui passe toutes ses vacances chez ses cousins, est persuadé. Evidemment, le but du roman est de déconstruire les apparences, de montrer que le bonheur et la jalousie ne sont pas forcément du côté que l'on croit. 

Le fait qu'il y ait davantage de personnages que dans Harry Quebert joue en faveur du plaisir de lecture. Car plus de personnages, cela signifie plus de destinées qu'on a envie de connaître, plus d'interactions et donc plus d'intrigues (amicales, fraternelles, amoureuses...). Les éléments du suspense sont aussi, je trouve, plus habilement distillés que dans le roman précédent. Des éléments apparaissent assez vite au lecteur, mais certains détails (pas si anodins) sont retenus par le narrateur (donc, par l'auteur) jusqu'au bout. 

La notion de métalittérature est présente aussi. Et avec encore plus d'humour et d'autodérision (en tout cas, de réflexion sur sa propre image) que dans le roman précédent. Après La vérité sur l'Affaire Harry Quebert, Joël Dicker est devenu célèbre. Dans Le Livre des Baltimore, il se met en scène, en interrogeant tout à la fois cette célébrité et l'impact qu'elle peut avoir sur la vie personnelle, les actes que l'on se retrouve à faire pour obtenir, sinon la célébrité, du moins une certaine aura dans les yeux des personnes qui comptent autour de nous (ou dont on croit qu'elles comptent), et cet entremêlement incessant de la vie publique et de la vie privée. Le Livre des Baltimore est une fausse autobiographie, dans laquelle l'écrivain imaginé par Joël Dicker se met à raconter ses histoires de famille. On y croit comme si Joël Dicker lui-même, après avoir écrit son premier best-seller, avait rédigé un "roman de la maturité", sur sa vie intime. Et en même temps, l'auteur nous rappelle sans cesse qu'il ne s'agit, en fin de compte, "que" de littérature. Or, pour lui, ce n'est pas rien : dans les derniers mots du roman (ce n'est pas un spoiler puisqu'ils sont repris en quatrième de couverture) : "Pourquoi j'écris ? Parce que les livres sont plus forts que la vie. Ils en sont la plus belle des revanches. Ils sont les témoins de l'inviolable muraille de notre esprit, de l'imprenable forteresse de notre mémoire."

Alors, pourquoi Joël Dicker écrit-il ? Pour nous faire rêver, nous émouvoir, nous faire haleter d'impatience, ou bien pour lui-même ? La question n'a que peu d'importance, pas plus que de se demander si, oui ou non, Joël Dicker est un bon écrivain : Le Livre des Baltimore est un bon livre. Lisez-le ! 

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Le royaume de Kensuké

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