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La petite Mu qui plume
29 avril 2016

Humeur : Laissez-nous nos livres !

laissez nous nos livres

 

Voilà, c'est un coup de gueule que je voulais pousser depuis un moment. 

Ca a commencé avec l'adaptation de Nos étoiles contraires. Je remets les choses dans leur contexte : je suis enseignante, une déformation professionnelle fait que, quand j'ai lu et aimé un livre jeunesse, j'ai envie de le faire lire à mes élèves. Voire, je dois leur faire lire des choses (se référer à mes articles sur la lecture cursive). Et ce n'est malheureusement pas un cliché de dire que la lecture n'est pas une activité spontanée, en tout cas pour les adolescents que je connais. Les images, télévisées, cinématographiques, Youtubisées, jeuxvidéosées, constituent une rude concurrence. Donc, proposer dans une liste de lectures obligatoires un titre qui a été adapté en film, c'est risqué. C'est surtout très frustrant et décevant de se dire que l'élève est passé à côté d'un roman formidable, quelle que soit d'ailleurs la qualité de l'adaptation. On sait tous que Harry Potter en films, par exemple, ce n'est pas pareil, ne serait-ce parce qu'aucun film commercialisable en salles ne peut égaler les 850 pages du tome 6. Et que, bien sûr, la psychologie des personnages prend un sacré coup avec le passage sur écran. Alors, même si je ne suis pas une inconditionnelle de Nos étoiles contraires en livre (que je trouve en dessous des autres romans de John Green, lire ici), l'écriture de John Green reste à part dans la littérature jeunesse, et elle vaut la peine d'être découverte. Si elle peut rendre les jeunes lecteurs accros et leur donner envie d'enchaîner avec Alaska ou Will and Will, c'est parfait. Mais le film n'aura pas ce pouvoir-là. Il met en avant l'histoire, les personnages, mais rien ne pourra rendre le style de l'écrivain. (Et je ne vous dis pas comment j'étais déprimée en voyant les affiches pour La face cachée de Margo.)

J'avais déjà rencontré ce problème avec les contes. Difficile d'en trouver que les élèves ne connaissent pas par le biais d'un Disney ou d'une autre production animée ; cela restait le cas du Magicien d'Oz, jusqu'à ce que Disney s'en empare aussi. Alors, là encore, même si ces adaptations dénaturent, voire revisitent entièrement le conte initial, cela n'empêche pas de donner aux élèves l'impression de connaître, et donc, de leur ôter l'envie de lire "la même chose" sans les images. (Voire, de les faire protester catégoriquement que ce qu'on leur fait lire, ce n'est "pas la vraie histoire".)

J'en étais là de mes considérations lorsque je suis tombée en librairie (c'était il y a plus d'un an) sur l'un des livres fétiches de mon adolescence, Le passeur, de Lois Lowry, avec un bandeau : Maintenant au cinéma !

Alors là, c'était trop ! Pas lui, pas ce chef-d'oeuvre de roman d'anticipation avec son univers tellement étrange ! Tout le principe repose sur les souvenirs que le passeur transmet à Jonas, le héros, pour qu'il devienne à son tour le dépositaire du passé de l'humanité. Comment peut-on mettre des images là-dessus, puisqu'il s'agit de pensées ? Comment transmettre à l'écran les souvenirs sensoriels tellement importants pour Jonas, lui qui vit dans un monde où la douleur comme le plaisir physique n'existent tout simplement pas ? Impossible ! 

Qu'on s'entende bien, je ne dis pas que ces films sont forcément mauvais. Pour être parfaitement honnête, je n'ai pas vu ces adaptations dont je parle (sauf Harry Potter, et encore, pas toutes). Parce que j'en ai fait le choix. Mais nos ados, plongés qu'ils sont dans ce monde d'images, et pris dans la pression du groupe, ils ne l'ont guère, ce choix. 

Et puis tout ça me questionne. Les scénaristes seraient-ils arrivés à bout de souffle dans leur imagination ? Mais alors, pourquoi les romanciers ne le sont-ils pas ? N'y aurait-il pas là, plutôt, une énorme paresse intellectuelle, doublée d'une course à la rentabilité ? Pas besoin de créateur, il suffit de regarder les chiffres des ventes littéraires, on contacte l'auteur, et paf, un film. Sauf que le danger est grand : le cinéma comme la littérature sont en train de perdre leur statut d'art à part entière. Ils deviennent des formes d'expression réduites à leur fonction narrative, et à un unique rôle de divertissement. S'il y a une histoire, peu importe qu'elle soit en mots ou en images. Que devient alors le pouvoir du style ? Il existe, pourtant, que ce soit dans l'écriture ou dans la réalisation. Et on est en train de le nier complètement. Pour rester dans la problématique de la jeunesse, on est en train de faire croire à nos adolescents, encore une fois, que tout se vaut. C'est le même problème que je rencontre lorsqu'une illustration présente en marge du texte que j'étudie avec les élèves mobilise davantage leur attention que le texte en lui-même. J'ai un mal fou à leur faire comprendre qu'il s'agit de deux oeuvres différentes, chacune avec leur spécificité et leurs qualités, mais que l'une ne remplace pas l'autre. C'est aussi, j'ose aller jusque là, le même problème que le langage : un mot pour un autre, deux orthographes différentes, pour les élèves, peu importe, "c'est pareil". 

Je rêve donc qu'à l'avenir, les écrivains fassent des livres, les réalisateurs des films, les peintres des tableaux, les photographes des photos, et que l'art continue à grandir parce qu'il n'est pas un, mais multiple. 

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27 avril 2016

Meg Cabot : Avalon High

P1030003

Fiançailles d'Arthur et de Guenièvre présentée par son père le roi Léodagan, bénies par un évêque. Maître de Fauvel, Lancelot-Graal : Merlin, XIVe siècle. Crédits photos : BnF, Paris. 

 

Comme souvent, j'arrive (trop ?) tard. Meg Cabot n'a pas besoin de ma promotion pour être connue : c'est une référence dans la "chick lit", cette littérature "pour filles", comprenez avec des personnages principaux féminins et des couvertures roses (en gros). La traduction, c'est "littérature de poulettes". Il y a eu Bridget Jones, Sex and the city, puis la déferlante est arrivée aussi dans la littérature ado. 

Qu'est-ce qui a bien pu pousser la petite Mu à acheter un livre avec une couverture rose avec un coeur et des petites fleurs ? (Avec une mention explicite "Planète filles", au cas où on ne saurait pas à quoi s'attendre...) Tout simplement parce que je l'ai trouvé dans une liste de romans jeunesse sur le Moyen Âge. L'héroïne, Ellie, a des parents médiévistes qui lui ont donné le prénom de leur personnage fétiche, Elaine, Dame de Shallot, l'amoureuse éconduite de Lancelot. La référence au Moyen Âge pourrait s'arrêter là (ce serait déjà un élément original dans un roman de chick-lit). Mais il y a aussi le nom du nouveau lycée d'Ellie : Avalon High. Et ces faits étranges qui semblent s'accumuler autour d'elle : elle se retrouve avec une dissertation à rendre, justement, sur La dame de Shallot, et il y a ce garçon, Will, qu'elle jurerait avoir rencontré dans une autre vie. 

Voici en fait où l'auteure veut en venir : tout le roman est une réécriture de l'histoire d'Arthur, Guenièvre et Lancelot. Je spoile volontairement pour que vous sachiez à quoi vous en tenir avec ce roman, mais, si vous voulez donner ce livre à des adolescents, peut-être vaut-il mieux les laisser le découvrir. Qu'ils soient familiers des légendes arthuriennes ou non, la lecture fonctionne très bien. Ou bien ils auront plaisir, comme je l'ai eu, à décrypter les détails - nombreux - qui relient l'histoire moderne à l'histoire médiévale, ou bien ils ne s'en rendront compte qu'en même temps que l'héroïne, et un petit "Lexique des personnages" les aidera à comprendre définitivement tous ces liens. 

J'ai eu beaucoup de plaisir à avancer dans cette histoire. J'ai trouvé parfait le dosage entre références culturelles et récit d'adolescence. Pour ce dernier, ne vous attendez à rien d'exceptionnel : une jeune fille qui déménage à cause de ses parents, doit se faire de nouveaux amis, tombe amoureuse d'un garçon en apparence inaccessible... Mais, moi qui aime les réécritures et les univers à double sens, j'ai été convaincue. L'écriture de Meg Cabot est fluide ; je ne l'avais jamais lue, je comprends le succès "grand public". En même temps, les passages narratifs et descriptifs ne cèdent pas aux dialogues ou aux considérations psychologico-egocentrées qui rendent certains (mauvais) romans ados très fades. 

Très satisfaite de ma découverte, donc... mais quand je dis que j'arrive tard, c'est que, non seulement le roman a eu le temps d'être lu, relu, et d'avoir des suites, mais je m'aperçois aussi que le premier tome a été adapté pour Disney Channel. C'est toujours frustrant, quand on espère pouvoir faire découvrir ce qui a été pour nous une surprise. Et je suis encore une fois en colère de voir qu'aucun livre à succès pour ados n'échappe à l'industrie cinématographique. J'en reparle très vite. 

En attendant, ne boudez pas votre plaisir et, si vous lisez les deux autres tomes, donnez-moi votre avis ! 

 

25 avril 2016

Perrine Joe, Anne-Soline Sintès : Ma nounou est une girafe

Ma nounou est une girafe rognée

On aurait envie de rajouter au titre : "Et alors ?" Ce qui résumerait parfaitement l'idée de cet album qui parle de différence. L'histoire pourrait ne jamais avoir lieu, parce que, quand on annonce à un petit garçon, Arsène, que sa nouvelle nounou est une girafe, il commence par faire une sale tête. Mais ça ne dure qu'une double page : dès qu'on la tourne, on découvre plein d'aventures partagées entre les deux personnages. Un long cou, c'est quand même utile de temps en temps.

Mais, après ces premières pages, un nouvel événement se produit dans l'histoire : des panneaux "Interdit aux longs cous" apparaissent à différents lieux stratégiques de la ville. Evidemment, le cerveau du lecteur adulte se met en route. On s'imagine (enfin, je m'imagine) tout de suite des wagons pleins à craquer menant vers un lointain zoo désaffecté, ou même une étoile en peau tachetée. En fait, ça ne va pas si loin. L'histoire se concentre plutôt sur les "manounoufestations" organisées à l'initiative d'Arsène, d'une part, et sur l'enquête visant à trouver qui est à l'origine de ces panneaux, d'autre part. La solution à cette enquête est toute simple et toute la gravité qui aurait pu peser sur la situation s'envole d'un seul coup à la fin.

Peut-être avez-vous senti que j'ai été un peu déçue par la fin et la teneur générale de l'album. Après une première fausse piste, due à la couverture et à la première page, qui me faisait croire à une histoire d'apprivoisement entre un enfant grognon et un adulte atypique, puis une seconde qui semblait nous emmener sur une réécriture de l'antisémitisme nazi, j'étais un peu décontenancée. Mais je pense avoir lu cet album avec des yeux trop adultes. En fait, c'est surtout une histoire pleine de fantaisie et d'optimisme, qui montre que tout problème peut avoir sa solution. Sans vous en dévoiler trop sur la fin, il y  est question de communication et de confrontation des différences. A la relecture, je reconnais avoir apprécié les nombreuses trouvailles rigolotes, tant dans le texte que dans les illustrations.

En lisant d'autres critiques sur le net, j'ai vu que le chemin de lecture avait été dans le sens inverse, c'est-à-dire que les lecteurs ont d'abord vu la fantaisie, puis ont su déceler le sérieux et la gravité entre les lignes. Le blog Littéraventures le conseille à ceux "qui ont déjà tout lu de [sa] sélection "Vivre ensemble". "

Et vous, adopterez-vous cette nounou d'enfer ?

Auteure : Perrine Joe
Illustratrice : Anne-Soline Sintès
Editions Le Père Fouettard

J'ai piqué cette photo sur Café Powell, webzine culturel

 

25 avril 2016

La découverte de la semaine #4

la ficelle

Beaucoup de choses se sont passées ces derniers temps à L'Ecole des Loisirs. Forcément, elle a fêté ses cinquante ans. L'occasion de souffler dignement ses bougies dans plein d'événements un peu partout en France. A Lyon, il y a eu L'incroyabilicieux anniversaire, une exposition qui retraçait la genèse d'un livre, avec une rimbambelle d'illustrations ou autres pages manuscrites originales. Puis il y a eu Une histoire, encore ! au musée des arts décoratifs à Paris, dans laquelle jouets, livres et oeuvres d'art s'entremêlaient dans un parcours ludique. Deux autres expositions sont prévues en région parisienne.

Mais une autre actualité est venue interférer avec ce joyeux anniversaire. En effet, la politique éditoriale est en train de changer. Geneviève Brisac, directrice éditoriale des collections Neuf, Mouche, Medium (les récits de L'Ecole des Loisirs), est contrainte de passer la main à Arthur Hubschmid pour les choix éditoriaux. Et cela fait beaucoup de bruit, du moins entre les auteurs concernés, dont certains se sont vus écartés des futures publications alors que Geneviève Brisac avait validé leur projet.

Deux personnalités sont en jeu. C'est Arthur Hubschmid qui a découvert nombre d'auteurs jeunesse à succès, notamment du côté des albums (ne citons que Tomi Ungerer ou Stephanie Blake). C'est sur lui que reposent les débuts de la maison d'éditions. On ne peut pas dire qu'il se soit raté. Mais Geneviève Brisac n'a rien à lui envier : Prix Femina en 1996 pour Week-end de chasse avec ma mère, co-scénariste de Non ma fille tu n'iras pas danser avec Christophe Honoré (ce que je viens d'apprendre), auteure d'un roman jeunesse sur l'anorexie, Petite, livre choc que l'on retrouve régulièrement dans les listes des enseignants (je n'y fais pas exception). Et, depuis 1989, elle a découvert les écrivains phare des collections "sans images" de L'Ecole.

Mais s'affrontent aussi, et surtout, deux visions de la littérature jeunesse : la puissance du rêve, de l'imagination, mais sans négation de la douleur, du côté de Geneviève Brisac ; la "non fiction", les livres documentaires, résolument positifs, du côté d'Arthur Hubschmid, qui en parle dans un entretien du mois de décembre.

Du côté des auteurs, la colère gronde. Mais aussi la déception. Un blog a été créé, "La ficelle", parce que "Si ton cerf-volant est cassé, garde la ficelle". Les témoignages variés d'une quinzaine d'auteurs (la liste s'allonge régulièrement), dont Olivier Adam, Agnès Desarthe, Christophe Donner, permettent de mesurer leur amertume mais aussi leur volonté de garder la ficelle, pour d'autres aventures.

 

24 avril 2016

Shyam/Durgabai/Urveti : La vie nocturne des arbres

P1030024 (3)

C'était cet article de la librairie des Croquelinottes, à Saint-Etienne, qui m'avait donné envie de me procurer ce livre particulier. Particulier, d'abord, parce que rare : il a été édité en tirage limité. Et en effet, sur mon site habituel de commandes en lignes : définitivement indisponible. C'est à Paris, à L'Arbre à lettres, que j'ai pu faire l'acquisition de l'exemplaire n°1550 sur 3000.

Particulier, ensuite, car cet album mêle un thème universel et maintes fois traité en littérature, l'arbre, et des auteurs-illustrateurs beaucoup moins connus, issus d'une civilisation indienne, la tribu Gond.

Qui sont les Gond ? Ce peuple du centre de l'Inde est issu d'un ancien royaume se nomment eux-mêmes "montagnards". Leur attachement à la nature et à leur environnement est ancestral et toujours ancré dans leurs traditions. Sur le site d'une galerie, on lit ceci : "Sous l’empire Britannique et après l’indépendance de l’Inde, la spoliation de leurs terres et la déforestation sont telles que les Gond ne trouvent plus leur arbre bien aimé, le Mahua : « On nous a pris la forêt, nous ne savons plus d’où nous venons », disent les Gond. L’arbre sacré très souvent représenté, est le symbole de cet attachement à leur mémoire et de cette perte." Ca ne vous rappellerait pas quelque chose ? Un film avec des gens tout bleus qui se battent, eux aussi pour un arbre sacré ? Ce n'est pas donc pas pour rien que notre époque actuelle, qui commence à s'inquiéter des rapports de l'homme à la nature, découvre et met à l'honneur des artistes qui parlent de la nature originelle. D'accord, l'art gond reste assez confidentiel encore, mais depuis les années 1980, ils se font une place dans les galeries et les musées. Et pour les livres, depuis la première édition de La vie nocturne..., c'est Actes Sud Junior qui s'en charge.

Voilà pour le contexte. Mais le livre, le livre !

C'est un bel objet pour tous les sens. 
Il se touche : les pages sont épaisses, striées, presque rugueuses ; les dessins sérigraphiés, avec leurs lignes croisées et entrelacées, se lisent du bout des doigts autant qu'avec les yeux.
Il se respire... enfin, il le faisait peut-être au tout début (les Croquelinottes parlent d'"une odeur d’Inde, mélange de papier et de bois de santal"), mais c'est devenu très subtil... Cela dit, la magie de la synesthésie, ce mélange des sens dans notre cerveau, fait effet ; synesthésie d'ailleurs très importante chez les Gond, pour qui la musique se transforme en couleur.
Bien sûr, il se regarde. On a pu reprocher à l'art gond sa naïveté. De fait, chaque image a une apparence de simplicité, couleurs franches sur fond noir, pas de décor. Mais la précision et la richesse du trait interpelle, tout comme certains détails qui ne se révèlent pas au premier regard : on découvre des personnages comme cachés dans les branches, le feuillage ou les racines. On est dans le camouflage, ou bien la métamorphose, en tout cas une union intime des éléments de la nature.
Enfin, il s'écoute. Les textes sont des miniatures de contes, de fables, de mythes, qui disent l'animisme du peuple Gond : "Le Khirsali nous entoure et nous protège où que nous soyons. Il est dans les barrières de nos champs, dans les bordures de nos maisons, dans les lattes des toits au-dessus de nos têtes et dans les portes qui gardent nos entrées." Je parlais de métamorphoses et de camouflage : goûtez donc l'histoire de "l'arbre à douze cors". C'est facile, elle tient en une phrase : "Il arrive qu'un arbre soit en réalité un cerf à douze cors se tenant sur une butte et abritant un nid d'oiseau".

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Vous avez goûté, écouté, regardé, respiré et touché : vous pourrez poursuivre le voyage avec les récits et les images de Création, chez le même éditeur, ou d'autres albums, écrits ou illustrés par Bhajju Shyam ou Bai Durga.

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22 avril 2016

Sur les branches de L'Arbre à lettres

L'Arbre à Lettres - Bastille

A l'occasion de la Journée de la Terre 2016, dédiée à l'arbre, laissez-moi vous présenter un lieu avec, lui aussi, plein de feuilles.

J'ai redécouvert cette librairie de la rue du faubourg Saint-Antoine lors de mon dernier passage dans la capitale. L'Arbre à lettres, c'est une boutique toute en longueur, avec deux accès : côté rue, on tombe sur les Pléiade derrière le comptoir ; côté cour, sur le secteur jeunesse dans une salle qui lui est consacrée. Le décor est posé !

Alors, même si dans mon souvenir, les lieux étaient plus grands (mais moi, j'étais plus petite... ceci expliquant certainement cela), j'y ai trouvé mon compte.

J'ai pu feuilleter le groooos livre de l'exposition "Carambolages", en ce moment au Grand Palais, dont les affiches m'intriguaient pas mal. D'ailleurs, on raconte la visite chez Bricabook. 

Afficher l'image d'origine

 

J'ai découvert deux maisons d'édition mini-prix (10€ maximum), mini-format, mais maxi-authenticité.

Au milieu de la boutique, les éditions Allia, "petite maison d'édition dynamique qui publie des textes érudits, rares ou originaux dans des présentations toujours soignées à des prix serrés", avec une ligne éditoriale "qui tourne autour de la critique du fonctionnement de la société [...] et conséquemment des tentatives politiques et artistiques de créer une autre société ou façon d'exister et enfin des révoltes individuelles [...] contre un certain ordre de la société." (lu sur le site de la librairie Mollat, de Bordeaux) Au hasard, on peut y trouver le Sarrasine de Balzac, un recueil de textes dadaïstes sous la plume d'Aragon, Man Ray et Benjamin Péret, ou encore le texte indispensable d'Yvonne Verdier sur Le petit chaperon rouge dans la tradition orale.

 Au fond, avec les livres d'art, les éditions Marguerite Waknine. Un format et une présentation originale, avec la couverture plastifiée qui retient des liasses de feuillets blanc cassé, sans agrafes, attirent l'attention. Là aussi, le catalogue est éclectique et permet la rencontre avec des auteurs ou des titres inattendus. J'ai longuement hésité entre les textes de Huysmans, Félicien Rops suivi de Le monstre, dans la collection "Livrets d'art", un livre présenté comme "rare" regroupant des dessins d'espèces aquatiques d'un certain Louis Renard (j'aimais beaucoup les couleurs, et le mélange entre réalité et imaginaire), et j'ai finalement choisi Les Songes drolatiques de Pantagruel : des gravures faussement attribuées à Rabelais, mais en fait créées par un certain (bis) François Desprez. Cent vingt monstres engendrés du sommeil de la raison, pour reprendre Goya, et publiés pour la première fois en 1565.

P1020994

 

Enfin, j'ai bavé devant moults albums pour enfants. J'ai fait la connaissance d'une amie de l'illustratrice Chiara Armellini (dont j'ignorais totalement l'existence, mais que cette rencontre fortuite m'a permis de découvrir, et c'est tant mieux !). Elle a publié des Devinettes, énigmatiques, graphiques et poétiques : ici, les Devinettes en herbe, en version originale.  

@Chiara Armellini

 

Mais c'est sur cet album que j'ai craqué : La vie nocturne des arbres, un livre "entièrement fabriqué à la main" (dixit Actes Sud Junior, son éditeur), qui nous fait découvrir l'art Gond, issu du centre de l'Inde. Produit en tirage limité, j'avais déjà constaté que je ne pouvais plus le commander chez Décitre. J'étais donc ravie de le trouver ici ! Je vous en reparlerai très vite.

P1020931

 

Ne manquez donc pas de pousser la porte si vous passez dans le quartier Mouffetard, ou allez faire un tour sur leur site : http://www.arbrealettres.com/

 

22 avril 2016

Dupuy-Berbérian : Le journal d'Henriette

P1030010

Oui, Henriette, ce n'est pas nouveau, et même que je l'ai connue à ses débuts, dans Je Bouquine, nanère. Enfin, ses débuts... c'est ce que je croyais, jusqu'à ce que j'emprunte hier ce que je pensais être le tome 3 des aventures que je connaissais, après Une envie de trop et Un temps de chien.

Dans ces deux premiers volumes, je retrouve avec plaisir les trois copines écervelées, le groupe Etalaaaaaaage qui danse en se grattant le dos, le chien Chirou, diminutif du Chiroubistan, pays en guerre, "parce qu'on ne peut pas sauver un pays mais on peut adopter un chien". Un peu trop de pages avec Fatman, le supergros héros et son entraînement à base de hamburgers, pages dont j'aime un peu moins le graphisme et dont les aventures tournent un peu en rond. Et puis, bien sûr, Henriette, ses lunettes, ses couettes, son pull bleu et son journal. Beaucoup de réflexions autour de la force de l'imagination, de l'espoir et du rêve, qui apporte un contrepoint optimiste aux nombreuses problématiques de l'adolescence vécues à travers Henriette : les complexes physiques, la peur de la solitude, les relations avec les parents (qui sont gratinés, il faut bien le dire)...

J'ouvre donc le troisième volume, et là, au secours ! Qu'est-ce que c'est que ce graphisme que je ne reconnais pas du tout ? Ces histoires dont je n'ai jamais entendu parler et qui ne s'enchaînent pas du tout avec les précédentes ? C'est en refermant l'album que j'ai la solution, en quatrième de couverture : en fait, il y a eu deux séries. Une première, dénommée Le journal d'Henriette, publiée d'abord dans Fluide Glacial entre 1985 et 1990, puis une nouvelle en 1996 qui reprend de zéro, dans Je bouquine, et qui est celle que je connaissais. Ouf, je retrouve mes marques !

Un petit mot, alors, sur la première Henriette, puisque je la découvre seulement. Dans l'album que j'ai lu, les planches sont en couleur, mais dans le magazine, elles étaient d'abord en noir et blanc. En outre, comme je le disais, les dessins sont différents. On retrouve bien sûr les visages des personnages, mais immédiatement, on voit que les traits sont plus durs. Le père, plutôt ridicule dans la deuxième série , est ici presque inquiétant ; Henriette, elle, est plus froide. Le ton général est plus violent, c'est du moins l'impression que j'ai eue.  En passant chez Je bouquine, les traits deviennent plus ronds, les couleurs plus franches, les personnages plus stéréotypés. Mais les dialogues ont gagné en efficacité. Dans la première série, je les trouve trop développés, trop explicites. Ceux de la deuxième permettent davantage au lecteur de lire entre les lignes, et l'humour en est plus percutant.

Petite étude d'une planche de la série initiale, sur CitéBD : clic.

Bref, on voit bien que le public visé n'est pas tout à fait le même. Je garde personnellement une nette préférence pour la série que j'ai découverte enfant, qui garde un pouvoir plus universel.

Neo-défi lecture 2016 : Un livre avec un personnage qui porte l'un de vos prénoms. (Là, la petite Mu vous dévoile une sacrée partie de son intimité...)

20 avril 2016

Neo-défi lecture 2016

Néo-défi lecture 2016

Sur Neoprofs, en ce moment, il y a un challenge relativement confortable, dans la mesure où il s'étend sur l'année, mais relativement complexe, dans la mesure où il s'agit de relever ces cinquante défis, tous plus variés les uns que les autres !

Devinerez-vous les titres lus par la petite Mu qui se cachent derrière les défis relevés ?

1. Un livre avec une saison dans le titre.
2. Un livre de poèmes.
3. Un livre écrit à la première personne.
4. Un livre avec une robinsonnade.
5. Un livre avec plusieurs auteurs.
6. Un livre traduit d’une langue rare (moins de 10 millions de locuteurs).
7. Un livre avec un personnage qui porte l'un de vos prénoms.
8. Un livre choisi de façon aléatoire.
9. Un livre avec un titre gourmet.
10. Un récit de voyage.
11. Un livre traduit de l'ancien français ou du vieil anglais.
12. Un livre épistolaire.
13. Un livre ayant reçu le prix Goncourt avant 1939.
14. Un livre dont les héros sont des animaux.
15. Une pièce de théâtre du XVIIIe.
16. Un journal intime.
17. Un livre sans mots.
18. Un livre dont l'intrigue se passe dans un pays imaginaire.
19. Un livre acheté/possédé depuis plus d’un an et pas encore lu.
20. Un livre choisi par un proche.
21. Un livre qui a fait scandale à sa parution.
22. Un livre paru en 2016.
23. Un livre traduit de l’antiquité grecque ou latine.
24. Un livre culte d’une génération.
25. Une œuvre politique majeure.
26. Un livre dont l'un des personnages est handicapé.
27. Un livre tombé dans le domaine public en 2016.
28. Une uchronie.
29. Un livre érotique.
30. Un livre dont le sujet est une ville.
31. Un livre dont l'auteur est un académicien (Français, des Sciences ...), de l'Institut.
32. Un livre qui se passe sur une île.
33. Un chef-d'oeuvre de littérature jeunesse.
34. Un livre pris sur la liste d'un autre participant.
35. Un livre qui est la dernière oeuvre d'un auteur.
36. Un livre que vous avez détesté quand vous étiez jeune.
37. Un livre dont le personnage principal meurt à la fin.
38. Un livre avec une fleur ou un arbre dans le titre.
39. Un livre dont le héros est orphelin.
40. Un roman sans histoire d'amour.
41. Un livre "à part" dans l’œuvre d'un écrivain connu (sous un autre nom, dans un autre style...)
42. Un livre qui se passe ailleurs que sur Terre.
43. Un livre écrit par un auteur né la même année que vous.
44. Un livre avec des robots.
45. Un livre dont le nom de l'auteur commence par deux consonnes.
46. Un livre dont l'un des personnages est musicien, ou dont le thème est la musique.
47. Un livre avec une histoire de mer ou de marins.
48. Un livre avec pour thème la montagne.
49. Un livre dont le titre fait explicitement référence à un autre livre.
50. Un livre paru dans la Bibliothèque rose ou verte avant 1990.

18 avril 2016

La découverte de la semaine #3 : l'aventure de BiblioDebout

  

Parce que, pour réfléchir, il est utile de lire, le mouvement Nuit Debout a naturellement donné naissance à BiblioDebout, concept de bibliothèque éphémère où chacun peut échanger des livres sur la place publique. L'initiative vient du collectif SavoirsCom1 et se fait connaître par le bouche à oreille réel et virtuel. Ici, cet article de Nouvel Obs/Rue 89 qui donne un témoignage très intéressant des réticences comme des réussites.

A Paris, ça se passe bien sûr place de la République. Mais ça existe aussi ailleurs, par exemple à Lyon, place Guichard. Vous en retrouverez ici les actualités.

@aggaudion, NuitDebout-Lyon

Mais ces derniers temps, l'occupation de la place de la République étant devenue plus compliquée, le collectif Savoirs Com1 a décidé de changer un peu le fonctionnement de BiblioDebout. Plus de caisses, de palettes, de tentes, mais seulement des sacs, dans lesquels chacun ne met que "les livres qu’il peut porter dans un sac, et du matériel léger comme des cartons ou des bacs".

Pour ces mêmes raisons, les organisateurs ont décidé de recentrer les titres proposés autour des problématiques qui intéressent le mouvement (finalement, la même idée que le Centre Pompidou et le festival Hors-Pistes). Vous pouvez parcourir l'inventaire proposé à Lyon pour vous faire une idée. 

A lire du côté de Savoirs Com1, ou d'Actualitté.  

Information de dernière minute : visiblement, à Lyon, les organisateurs ont mis à fin à l'initiative en raison de trop nombreux vols.

16 avril 2016

Stieg Larsson : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes

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Je suis totalement passée à côté lors de sa sortie, que ce soit le livre ou le film. Non par distraction, davantage par manque d'intérêt. Les couvertures, les affiches, rien ne me donnait tellement envie. Pourtant, quelques années plus tard, devenant une fervente lectrice de littérature scandinave, il fallait bien que j'essaye, quand même. J'ai failli le faire lors du challenge Petit Bac 2013, pour la catégorie "sentiments", mais le manque de temps m'avait fait préférer une autre oeuvre plus courte. Et là, je croise à nouveau sa route dans une petite bibliothèque, alors, allons-y.

Mais ce fut une grande déception. Il n'y avait pas de raison que ça ne me plaise pas : j'aime les polars, j'aime la Suède, je n'ai pas peur du sordide (j'ai lu bien pire, avec Herbjorg Wassmo, par exemple), ni des gros pavés à suites. L'histoire a tout pour passionner : une enquête qui retourne dans le passé, même si on se doute bien dès le début que la page n'est pas tournée, des personnages eux-mêmes aux prises avec des passés ou des présents compliqués, des intrigues apparemment sans lien mais qui finissent par se croiser... Ce qui n'a absolument pas pris avec moi, c'est l'écriture. Je l'ai trouvée d'une platitude extrême, et parfois proche du verbiage. C'est-à-dire que j'ai souvent eu l'impression que l'auteur prenait ses lecteurs (donc, moi) pour des imbéciles, en explicitant chaque raisonnement, chaque sous-entendu des personnages, en enchaînant des paragraphes superflus, répétitifs. Trop de phrases, trop de mots, ce qui explique la taille conséquente du roman. Ma lecture fut souvent laborieuse, au point que, parfois, lisant en diagonale pour essayer de ne pas décrocher définitivement, je ratais une information, ce qui m'obligeait à revenir en arrière, et rendait la lecture encore plus longue. Pourtant, ce n'est pas le suspense qui manquait, ni les rebondissements (quoique, la première moitié du roman en manque significativement). Je n'avais pas envie d'arrêter définitivement de lire, mais j'ai dû me forcer pour aller jusqu'à la clé de l'énigme.

Autre problème : paradoxalement, malgré cette écriture maximaliste, j'ai eu beaucoup de mal à cerner les personnages. Peut-être un peu moins Lisbeth que Mickael, mais quand même. Prenez la scène où elle "punit" son nouveau tuteur, maître Nils Bjurman : le portrait donné par l'auteur de Lisbeth, si long soit-il, ne prépare pas au déchaînement de violence qu'elle laisse éclater face à sa victime. On a beau être plongé dans la tête des personnages, les phrases que l'auteur en sort manquent de profondeur psychologique. J'ai aussi été confrontée à ce problème étrange que j'avais déjà rencontré dans Les chaussures italiennes de Henning Mankell : on peut lire de longs dialogues sans aucune indication de l'émotion des personnages, de leur intonation. Et, seulement à la fin, on apprend que Mickael était "furieux", Erika "bouleversée"... Les dialogues apparaissent alors comme une sorte d'obligation d'écriture, mais on pourrait les faire disparaître sans nuire au portrait des personnages.

Bref, j'ai été la première surprise de me sentir si déçue. Peu de critiques sont négatives. J'en ai lu par-ci par-là, mais qui ne relèvent pas exactement les mêmes "défauts" que moi.

Pour de la vraie lecture scandinave addictive, lisez plutôt Mons Kallentoft ou Anne B. Ragde, plus drôles, mieux écrits, avec des personnages plus profonds.

 

Néo-défi lecture 2016 : Un livre qui se passe sur une île (bon, pas entièrement, mais c'était pour changer un peu de Robinson et autres Vendredi)

14 avril 2016

Daniel Pennac, épisode 2 : Journal d'un corps

Celui-ci, en revanche, ça faisait un moment qu'il me tentait. Pour être exacte, ce que je voulais lire, c'était ça

 

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Mais les beaux livres, ça coûte cher ; alors, comme d'habitude, je l'inscris mentalement dans ma liste à lire, et puis j'oublie. Quand je suis retombée dessus dernièrement, sans les images, je me suis dit, tant pis, j'y vais quand même ! 

Et ce fut encore, non pas une victoire du canard, mais une réussite de Daniel. J'ai beau essayer, je n'arrive pas à être déçue. Pour cet opus, j'ai aimé l'originalité du sujet : un journal qui ne se veut surtout pas "intime", surtout pas psychologique, mais physique, physiologique, clinique. Bien sûr, impossible de ne pas livrer de son âme quand on entreprend de parler de son corps : le personnage inventé par l'auteur pour servir de narrateur se défend de sortir de la ligne d'écriture qu'il s'est fixé, mais il parle souvent par prétérition. C'est trop tard, il a raconté sa vie, et pas seulement son corps. 

Et c'est là que Pennac met dans le mille : toute notre vie intérieure peut être lue à travers les manifestations de notre corps. Quand on essaie de démêler, avec des élèves, les limites entre sensations, sentiments, émotions, on arrive à une sorte de compromis où les émotions seraient l'expression physique et sensible de ce qui se passe dans notre tête. Un raccourci, peut-être, mais tellement vrai dans l'écriture. Il n'y a qu'à voir la richesse d'expressions qui existent pour mettre des mots sur les émotions : rouge de honte, trembler comme une feuille, avoir la chair de poule... Donc, en nous parlant de ses accidents, de ses maladies, de ses orgasmes, le narrateur nous parle évidemment de ses peurs, de ses joies, de ses hontes. 

Et c'est heureux pour le lecteur, qui ne lit pas du tout un essai médical aride et austère, mais un vrai récit de vie. Autre originalité, que je ne crois pas avoir encore vue ailleurs : la vie, on l'a presque du début (le journal commence à l'adolescence du narrateur), jusqu'à la fin, c'est-à-dire sa mort, à plus de quatre vingts ans. La perspective choisie interdit les trop longs épanchements, chaque nouvel ajout au journal est mesuré, parfois très court, une ou deux phrases. De temps en temps, le narrateur fait référence à une scène vécue dix ou vingt ans en arrière. J'ai alors souvent dû vérifier, ayant du mal à y croire ; mais, oui, on peut bel et bien raconter vingt ans d'une vie en une trentaine de pages ! Belle astreinte littéraire, respect absolu du projet d'écriture, mais léger malaise de se dire qu'on n'est finalement que peu de choses... 

Daniel Pennac est très fort. Il peut écrire sur le corps comme il écrit sur l'école. Il m'avait bluffée, plus jeune, par son fabuleux pouvoir d'imagination (il en fallait pour écrire les histoires déjantées des Malaussène) ; il m'a définitivement convaincue de ses brillantes facultés d'observation et d'analyse. 

Journal d'un corps

 Neo-défi lecture 2016 : Un livre écrit à la première personne (mais PAS un journal intime!)

13 avril 2016

Daniel Pennac, épisode 1 : Chagrin d'école

Dans ma jeunesse, j'ai beaucoup lu Pennac. D'abord, ses romans pour enfants : Cabot-Caboche, L'oeil du loup, et les Kamo avec leur univers parfois étrange, mais captivant. Pas trop longtemps après, j'ai découvert les Malaussène, et leur impressionnant pouvoir addictif. Et puis, comme souvent quand un auteur que j'aime devient trop à la mode, je l'ai snobé. Et en plus, après, il a sorti ça

Chagrin d'école 

Se voulant être le point de vue d'un ancien cancre sur l'école de la République, cette autobiographie aux allures d'essai didactico-sociologique m'effrayait un peu. Pas envie de lire les habituelles rengaines contre l'enseignement, les profs qui sont trop ceci ou trop cela, qui traumatisent les élèves parce qu'ils corrigent en rouge et n'accordent pas un regard aux mauvais élèves. J'ai sauté le pas il y a quelques semaines... et j'ai bien fait. L'ancien cancre est quand même devenu prof lui-même, puis écrivain à la plume sacrément douée, que je n'ai jamais considérée comme facile, ou au rabais. Du coup, il faut bien dire ce qui est, il a quelques bonnes idées sur la chose. Ce genre de phrases, notamment, m'a rassurée sur ses intentions :

 

"En aura-t-elle proféré, des sottises, ma génération, sur les rituels considérés comme marque de soumission aveugle, la notation estimée avilissante, la dictée réactionnaire, le calcul mental abrutissant, la mémorisation des textes infantilisante, ce genre de proclamations..."

J'ai aimé tout particulièrement sa façon de raconter la grammaire : à ses élèves, et puis, à nous, lecteurs. La troisième partie, intitulée "Y ou le présent d'incarnation", est riche de ces analyses grammaticales qu'il estime indispensables à l'enseignement, mais aussi à la compréhension profonde de ces blocages qui transforment des élèves en cancres. Comme il le dit lui-même, 

"Les maux de grammaire se soignent par la grammaire, les fautes d'orthographe par l'exercice de l'orthographe, la peur de lire par la lecture, celle de ne pas comprendre par l'immersion dans le texte, et l'habitude de ne pas réfléchir par le calme renfort d'une raison strictement limitée à l'objet qui nous occupe, ici, maintenant, dans cette classe, pendant cette heure de cours, tant que nous y sommes."

Certains chapitres, comme celui sur la dictée, peuvent se lire comme une séquence de cours prête à l'emploi. Bien sûr, c'est une démarche globale que nous présente M. Pennac professeur, qui ne s'est pas faite en un jour. En tout cas, son récit, agrémenté d'anecdotes qui en font toute la saveur, est convaincant, et donnerait presque envie d'être prof !... 

Le livre suit un fil chronologique : après avoir vu Pennac élève, puis enseignant, le voici écrivain. Se mêlent alors aux pensées sur l'enseignement des remarques sur l'écriture ou le langage . Dont celle-ci : 

"Le comble étant que, dans les classes de banlieue où les professeurs m'invitent, une des toutes premières questions que me posent les élèves regarde la crudité de mon langage. [...] Le mot, à leurs yeux, ne devient vraiment gros que lorsqu'il est écrit."

Très vrai : j'en ai moi-même fait l'expérience en faisant lire Antoine Dole, A copier cent fois. Intéressant rapport au langage des adolescents, rapport au livre également. 

Bref, j'aurais eu tort de me priver de cette lecture. Bien loin de la démagogie que j'appréhendais, j'ai découvert une réflexion riche, nuancée, un propos très pédagogue, et beaucoup de grain à moudre pour mon propre cheminement intérieur. "Chagrin d'école", mais plaisir de lire ! 

 

Neo-défi lecture 2016 : Un livre possédé depuis plus d'un an et pas encore lu. 

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Le royaume de Kensuké

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